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SI { : L. DOGMATIQUE, I. A VISION INTUITIVE


propre de la justice dislributive soit un droit moins strict que celui qui découle de ta justice commutative, celle-ci réglant ce qui concerne la propriété ou l'échange des différentes sortes de biens, celle-là répartissant, d’après leur condition ou dignité, entre les membres d’une communauté qui n’ont sur elles aucun domaine personnel, des Fonctions ou des richesses. Ainsi celui à qui est confié un poste d’ambassadeur, s’il doit normalement en être digne, n’a pourtant sur cette charge aucun titre de propriété ; il pourrait même en être investi de préférence à de [dus aptes pourvu qu’il y fût lui-même suffisamment préparé : ce n’est donc pas en vertu de la justice commutative mais distributive qu’il en est pourvu, Opusc, vi, sect. III, n. 15, p. 555. Sans doute n’est-il pas strictement réservé a la justice distributive de répartir des biens suivant des proportions équitables ; la miséricorde, par exemple, octroie ses aumônes au prorata des besoins qui la sollicitent. Mais il y a entre elle et la justice distributive cette différence essentielle, que cette dernière n’a précisément pas d’autre but que de faire respecter en toute répartition les proportions voulues ; ce qui est sa fin primordiale n’est qu’accidentel dans la miséricorde.

On pourrait encore objecter que la récompense des bonnes œuvres ne se fera point par partage aux ayants droit, suivant leur degré de grâce, d’une somme limitée de béatitude. Dieu n’a mis aucune réserve à ses promesses et il y aura assez de gloire au ciel pour payer sans le moindre rabais, donc en stricte justice commutative, chacun de nos sacrifices.

Différentes solutions ont été proposées à cette difficulté. Opusc, vi, sect. iii, n. 27-33, p. 5(10. Suarez estime pour son compte qu’il n’y a point d’inconvénient à ce que les deux justices, commutative et distributive. contribuent en même temps à la rétribution de nos mérites. Si chaque élu recevra le salaire exact qu’il aura gagné, il n’en est pas moins vrai qu'à considérer l’ensemble de la cour céleste, la béatitude y apparaîtra répartie à tous les fils de Dieu proportionnellement à leur dignité. A quoi l’on peut ajouter que le Seigneur, comme il a été expliqué plus haut, n'étant pas rigoureusement contraint de nous récompenser par la seule valeur de nos œuvres, il ne le fera donc pas moins en vertu de ce qui convient au gouvernement équitable de sa providence, c’est-à-dire à sa justice distributive, qu’en vertu de ce qu’il nous doit strictement en justice commutative.

C’est à la même explication qu’il faut recourir, semble-t-il, pour donner â sa justice légale un rôle à jouer dans le dernier jugement. L’on peut douter d’ailleurs qu’il y ait à proprement parler en Dieu une justice légale. Par ce mot, en effet, on désigne chez les hommes cette vertu qui incline le pari leulier à sacrifier les biens dont il est légitimement propriétaire quand l’intérêt supérieur tic l'État le lui demande. Or, il n’existe aucun intérêt prédominant en faveur duquel le ToutPuissant puisse être appelé à renoncer à ses droits, ceux H l’emportanl toujours sur n’importe quels autres. Toutefois, dans la mesure où il est permis d’appeler justice légale le devoir qui s’impose à sa providence de régir ses créatures avec mesurée ! sagesse, il est clair que ce genre de justice intervient dans la manière dont nous serons dédommagés au ciel de nos sacrifices présents, opusc, vi, sect. iv, n. 6 9, p. 566.

VIII. La vision inti itive. l" Sa transcendance. Ayant prouvé l’existence de la vision intuitive par

I Écriture, Suarez se demande aussitôt si les forces de la raison siillisent a en établir au moins la possibilité. De Geo, l. 1 1, i. ii. n. 7, t. i, ]>. 65. Plusieurs passages célèbres du Docteur angélique semblent, en effet,

affirmer que celle démonstration ne dépasse pas la police de noire esprit. Tout en aouanl que saint I bornas est sur ce point difficile à interpréter, Suarezsc

refuse à croire, pour son compte, qu’il ait jamais voulu faire de la contemplation béatiflque le terme normal de l’appétit naturel de notre intelligence. Selon lui. l’argumentation même du saint docteur montre qu’il n’y est pas question d’un désir strictement naturel delà vision intuitive, mais d’un désir élicite. Or. semblable désir a aussi bien pour objet le chimérique que le réel ou le réalisable. Ainsi pouvons-nous aspirer vers tout ce qui nous paraît bon, par exemple vers l’union h postât ique, si l’idée nous en vient à l’esprit. Qui dira pourtant qu’il suit logiquement de ce désir que notre nat ure puisse être assumée par la personne du Verbe ou du Saint-Esprit ? Ibid., n. 9, p. 66.

Tout au plus, par conséquent, l’argument de saint Thomas a-t-il pour but. notre destinée surnaturelle étant supposée connue par la foi, de montrer sa parfaite convenance avec les tendances profondes de nos facultés spirituelles. Ibid., n. 12, p. 66. l’as plus que celui de la Trinité, le mystère de la grâce et de la lin où elle conduit n’est accessible à notre raison qui peut seulement prouver qu’il n’y a rien dans ces dogmes d'évidemment contradictoire.

Cette transcendance de la vision intuitive à l'égard de notre intelligence et de l’intelligence angélique s'étend-elle jusqu'à tout esprit créable'? Ou, pour poser la question comme Ripalda, ne pourrait-on concevoir un esprit fini si élevé dans l'échelle de l'être qu’il eût droit de par la constitution même de son essence à contempler Dieu face a face ? Après tout, ni la lumière de gloire, ni la vision qu’elle effectue n'étant illimitées dans leur perfection, quelle difficulté y a-t-il à ce qu’elles appartiennent en propre à une créature ? Ibid., c. ix, n. 1, p. 73. Les auteurs scolastiques sont pourtant à peu près unanimes à déclarer qu’elles ne peuvent être connaturelles à aucun être tiré du néant. Mais les raisons sur lesquelles ils fondent cette opinion n’agréent pas toutes à Suarez, tant s’en faut.

D’après les nominalistes. Dieu produisant lui-même dans les esprits bienheureux la vision de son essence, pareille laveur ne peut être due normalement à aucune intelligence Unie. Ibid., n..'i, p. "i'.i : c. x, n. 2, p. 78.

Mais, répond Suarez. sans compter que, loin d'être l'œuvre exclusive de Dieu, la vision intuitive est aussi celle du lumen glorite, l’on ne voit pas pourquoi un don créé dépasserait nécessairement de soi les exigences de toute créature. Ibid., c. x, n. 3.

Selon d’autres, un esprit limité étant incapable de connaître L’infini autrement que par un intermédiaire créé et pareil intermédiaire étant incapable de représenter Dieu tel qu’il est, celui-ci n’est donc connaissable intuitivement par une intelligence tirée du néant que si Dieu consent bénévolement à se révéler luimême à elle. Ibid.. n. 5, p. 79.

Cet argument toutefois est sans force pour qui admet comme Suarez qu’il n’y a aucune répugnance de principe à ce que la contemplation béatiflque se pro duisc à l’aide d’une espèce impressc.

On dit encore que la vision intuitive rendant l'âme impeccable et l’impcccabilité ne pouvant appartenir en propre aux créatures, aucune de celles-ci ne sera donc jamais connaturellement apte à voir Dieu.

Mais sur quoi se tonde-t-on, demande Suarez, pour affirmer avec certitude que l’impeccabilité est nécessairement incompatible avec la condition de créature'.' sil > a une certaine tradition dogmatique en ce sens, la raison en tout cas est impuissante a trancher semblable problème. Rien n’empêche d’ailleurs de concevoir un esprit lini qui n’aurait droit par essence â jouir de la vision Intuitive qu’après un certain temps d'épreuve,

où lui serait laissée la libelle de commettre le mal. Ibid., n. 6. p. 79.

Pour sa part, Suarez préfère s’en tenir à l’argument de saint Thomas : modus cognoscendi sequitur modum