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SUAREZ. DOGMATIQUE, I.A JUSTIFICATION


Ce n’est pas seulement de la justification par le baptême et la pénitence qu’il traite dans son décret, mais de la justification en généra]. Ainsi, dans le c. iv, men tionne-t-il à côté de l’adoption divine procurée par le baptême, celle qui s’obtient par le vœu de ce sacrement. Et c’est minimiser arbitrairement et indûment la portée du canon 9 que de restreindre à la seule attrition l’amour de Dieu qui y est signalé comme disposition à la grâce habituelle. Ibid.. c. ix, n. 10, p. 351 ; c. xii. n. il. p. 368.

Mais il ne suffit pas, aux yeux de Suarez, pour être en renie avec le concile de ranger la contrition parfaite parmi les actes qui préparent à la justification. On ne peut s’accorder pleinement avec sa doctrine, semblet-il, qu’en déniant à la grâce sanctifiante toute espèce de priorité sur l’amour de Dieu qui achève de mettre le pécheur en état de la recevoir. D’après les formules employées par le magistère, la grâce, en effet, suit toutes les dispositions nécessaires à son infusion : hanc dispositionem seu præparationem justificatio ipsa consequitiir ; ce qui revient à dire que la grâce nous est donnée parce que nous sommes contrits et non pas pour que nous le devenions. De même la contrition est-elle présentée par le décret sur le sacrement de pénitence comme nous obtenant de Dieu le pardon de nos fautes : fuit quovis lempore ad impetrandam veniam peccatorum hic contritionis motus necessarius. Or, comment la grâce suivrait-elle la charité ou nous seraitel’e donnée par égard pour elle, si elle en était la cause efficiente ? Si la thèse thomiste exprime bien la pensée du concile, pourquoi celui-ci n’a-t-il jamais laissé entendre que, tout en résultant de la contrition, d’un autre point de vue pourtant la justice surnaturelle la précède et la produit ?

Ne faudrait-il pas au moins de pressantes raisons théologiques pour prêter ainsi aux Pères de Trente une doctrine dont il n’y a pas trace dans leurs exposés dogmatiques et qu’il est même difficile d’accorder avec les termes qu’ils y ont employés ? Bien faibles sont pourtant les arguments spéculatifs mis en avant pour justifier la théorie thomiste. L’habitas infus, dit-on, est aussi indispensable à la réalisation d’une œuvre surnaturelle que la puissance vitale à la production d’un acte humain. Il a d’ailleurs été défini par le magistère que les élus méritaient en rigueur de justice leur entrée dans la gloire ; or, comment cela se vérifie-t-il pour ceux qui se purifient de leurs fautes parla charité parfaite si cette charité ne provient pas de la grâce sanctifiante ? Aucun acte ne donne droit à la contemplation béatifique s’il n’est émis par une âme élevée à l’adoption divine. A supposer par conséquent que l’amour de Dieu ne soit effectué qu'à l’aide d’un secours surnaturel transitoire, il n’est vraiment digne ni de la justilication qui le suit, ni du ciel. Celui-ci dans l’hypothèse envisagée n’aura donc pas été acquis de condigno, puisque le premier acte capable de le mériter n’aura été produit que par un homme déjà sanctifié et qui n’a donc plus besoin de le gagner. Quant à la difficulté de concevoir comment une œuvre qui dispose à la grâce habituelle et doit, à ce titre, la précéder, puisse en même temps la suivre comme un effet suit nécessairement sa cause, il n’y aurait pas lieu de s’en préoccuper. N’est-il pas admis en métaphysique que deux principes peuvent influer réciproquement l’un sur l’autre de telle façon qu’ils aient chacun la priorité en divers genres de causalité? Ainsi, en tout cas, se comportent entre elles la matière et la forme. Ibid., c. xi, n. ô,

p. 365.

A « es misons Suarez oppose d’abord l’opinion des théologiens plu> anciens qu’il prétend unanimement contraires a la thèse thomiste. Ibid., c. XII, n. 1, p. 366. Les examinant ensuite en détail, il répond à la première que si Vhabilus infus est nécessaire a la produc DICT. OI. TIIÉOL. CATHOL.

tion normale et continue d’une espèce donnée d’oeuvres surnaturelles, rien n’empêche qu’il ne soit suppléé par un concours divin extraordinaire quand il s’agit d’un vouloir isolé. Pourquoi refuser d’admettre pour l’acte de charité ce que l’on concède sans peine pour les actes de foi et d’espérance antérieurs à la justification ? Le second argument ne vaut guère mieux, car nul n’est tenu de croire sous peine d’anatlième que les élus méritent de condigno leur accès à la contemplation béatifique. Certain canon du concile de Trente pourrait, il est vrai, le donner à penser. Si quis dixerit, y lit-on, ipsum justificatum non vere mereri vitam eeternam et ipsius vitæ œterniv consecutionem… Mais de graves docteurs ne veulent voir dans l’expression : ipsius vitæ œternæ consecutionem qu’une simple répétition des mots : vitam wternam qui précèdent ; rien ne prouve à leur sens qu’elle apporte une précision nouvelle concernant l’admission même à la gloire éternelle. Il est permis de partager leur avis sans encourir aucune censure. Suarez estime cependant, pour son compte, qu’un acte de charité émis d’abord à l’aide d’une grâce actuelle peut en se prolongeant mériter de condigno l’entrée du ciel. Car ce qui vaut à l’amour de Dieu d'être méritoire de condigno, ce n’est point d'être produit par la grâce sanctifiante, mais d'être informé par elle quand il se produit. Or, n’est-ce point ce qui se rencontre dans le cas d’une sanctification par la contrition parfaite ? A peine celle-ci se forrne-t-elle dans l'âme que la vie surnaturelle y est aussitôt infusée par Dieu et rend digne de la vision intuitive, par sa seule présence, le repentir au milieu duquel elle survient. La justification par la charité ne se compose donc pas de trois éléments successifs et étrangers l’un à l’autre : un acte de préparation immédiate, la régénération parles habitus, des actes méritoires du ciel. Elle s’opère en réalité par un seul mouvement d’amour parfait qui d’abord attire la grâce habituelle sans l’exiger strictement, puis, au moment même où celle-ci s’insère en lui, mérite en justice l’accès à la gloire éternelle. Ibid., c. xiii, n. 7, p. 381.

L’impossibilité où se trouvent les thomistes d’expliquer comment la contrition peut être à la fois la cause et l’effet de la justice surnaturelle, suffit d’ailleurs à réfuter leur système. Que, de deux causes agissant à un même moment de la durée du temps, chacune puisse jouir sur l’autre, de points de vue différents, d’une priorité de nature, Suarez ne le conteste pas s’il s’agit d’une cause efficiente et d’une cause finale ou d’une cause matérielle et d’une cause formelle. Ibid., c. xii, n. 22, 23, p. 374. Mais il nie absolument qu’il en aille jamais ainsi dans le cas d’une cause efficiente et des dispositions nécessaires à l’existence de cette cause. Si, par exemple, l’acte de contrition parfaite tient toute sa réalité de la grâce sanctifiante, il répugne métaphysiquement que, par quelque biais que ce soit, cet acte contribue à faire naître la grâce, c’est-à-dire le principe d’où il provient lui-même. Pour influer, ne fût-ce que moralement, il faut être. Or, quand la charité apparaît dans l'âme, la venue des dons infus n’a plus besoin d’y être préparée. Us s’y trouvent déjà si bien qu’ils y ont engendré ce repentir avant lequel ils ne devraient pourtant pas exister. Ibid., n. 29, p. 377.

A cette grave objection les tenants de la causalité réciproque répondent par de subtiles distinctions, qui manifestent beaucoup plus leur embarras qu’elles ne résolvent la difficulté. Ainsi certains se refusent a unir rigoureusement la rémission du péché avec la collation de la grâce ; d’après eux, la ^ràce habituelle n’agirait tout d’abord qu’en principe efficient de la contrition qui, une fois produite, obtiendrait le pardon divin. D’autres, distribuant en divers moments dits i de nature les effets correspondant aux diverses formalités de la justice infuse, supposent que celle-ci ne

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