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SUAREZ. DOGMATIQUE, LK SURNATUREL

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la justice commutative ou distributive ou a une autre qualité du même genre la perfection dont un don gratuit de Dieu l’avait favorisé. Ce qu’ils voulaient au contraire désigner par ce mot, c'était un jeu complexe de grâces permanentes et d’aides occasionnelles de la Providence contribuant, chacune pour leur part, à ta domination de l'âme sur le corps, bref tous les avantages dont nos premiers parents avaient été comblés lors de leur création et qu’ils devaient transmettre avec l’existence à leurs descendants, aussi bien par conséquent la participation à la vie divine que l’intégrité et l’immortalité. //> « L, n. 10, 11, 12, p. 302. Sans doute ces divers avantages différaient-ils les uns des autres en valeur et en importance, mais, si la grâce habituelle tenait parmi eux sans contredit le premier rang et méritait par là d'être considérée d’une certaine manière comme leur fondement et leur source, elle ne le devait point a une causalité formelle ou efficiente qu’elle aurait exercée à leur égard, mais à la prééminence crue lui valait sa dignité singulière. Ibid., n. 15, 18 et 20, p. 304 ; voir Proleg., iv, De gratia, c. v.

Ainsi la justice originelle n'était-elle qu’une collection assez arbitraire de divers éléments qu’aucune nécessité métaphysique n’enchaînait entre eux et qu’il avait plu à Dieu de réunir en nos premiers parents pour accroître leur bonheur dès ici-bas. Cet assemblage de privilèges n'était un effet de la grâce sanctifiante que dans la mesure où il avait pour but de conduire plus aisément à la fin où tend la grâce, c’est-à-dire à la vision béatifique, en rendant le péché plus difficile, le mérite moms ardu et plus grand, la vie de ce monde plus heureuse et par là plus digne des fils et des amis de Dieu. Ibid., n. 23, p. 306.

V. Le surnaturel.

1° La puissance obédientielle. — En déniant à l’homme tout appétit strictement inné à l'égard du surnaturel se condamne-t-on par là-mème à faire du monde des esprits et de celui de la grâce deux ordres hétérogènes l’un à l’autre, que rien n’invite à se rapprocher et à s’unir, si bien qu’en entrant dans nos âmes pour les justifier, bien loin d’y combler un vide, les dons infus viendraient au contraire s’y plaquer comme des ornements inattendus et adventices ? Que de fois n’a-t-on pas ainsi reproché aux adversaires du désir naturel de la vision intuitive « de considérer les domaines de la nature et de la grâce… comme des sphères hermétiquement fermées ». Darmet, Les notions de raison séminale et de puissance obédientielle chez saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, p. 160. Y a-t-il pourtant une si grande différence entre l’inclination naturelle inefficace qui, d’après les auteurs de cette accusation, nous orienterait vers le surnaturel et la puissance obédientielle qu’ils rejettent comme insuffisante ? On est inévitablement amené à se le demander pour peu que l’on compare entre elles ces deux notions d’obédientiel et de naturel qu’ils cherchent ici à opposer. Qui dit en effet puissance obédientielle ne dit pas pour autant puissance indifférente ou étrangère au terme qui lui est relatif, mais au contraire puissance essentiellement accordée avec lui, prête à le recevoir volontiers le cas échéant. Ainsi s’explique pourquoi les scotistes ont pu confondre les termes de naturel et d’obédentiel sans autre inconvénient que de créer une équivoque gênante. Cajétan l’a très justement noté en discutant la terminologie du Docteur subtil : pour avoir nettement séparé le naturel de l’obédicntiel les thomistes n’ont pas prétendu nier par là qu’une capacité obédientielle s’identifiât avec la nature où elle se trouve : Aliud est enim potentiam esse naturæ et aliud esse naturalem : primum enim significat subjectum potentise, secundum autem modum potentiæ. In 7 ini, q. i, a. 1, n. 10. La puissance où s’insère en nous la grâce n’est point naturelle parce que, d’après les grands commentateurs de saint Thomas, ne mérite ce nom

qu’une puissance rigoureusement proportionnée à la fin où elle tend et capable de l’atteindre par le jeu régulier des forces créées : Quæ tendit ad Jinem qui naturæ proporlionatur… atque in quem propriis viribus naturæ potest perveniri ; sic enim dicitur aliquid naturelle apud philosophos, nisi abuti vocabulis voluerimus. Silvestre de l-'errare, In 7um cont. gentes, c. v, n. 5, §4. Il y a donc abus de langage à appeler naturel, avec Scot, tout ce qui complète avantageusement une essence, que cela dépasse ou non le niveau de sa perfection propre. Mais, au mot près, ce qu’il entend par capacité ou puissance naturelle, à savoir l’aptitude réelle que donne à un sujet sa constitution physique de s’enrichir des biens qui ne la contredisent pas, se retrouve très exactement dans ce que d’autres ont préféré nommer capacité ou puissance obédientielle. Pour éviter de fâcheuses confusions, ceux-ci ont jugé bon de distinguer, parmi les biens qui ne répugnent pas à un être, ceux qui conviennent normalement à ses facultés et ceux qui, leur étant supérieurs, ne leur sont communicables que par miracle et par grâce. Mais, pour eux comme pour les scotistes, la disposition qui relie une créature aux biens de cette seconde catégorie ne fait pas moins partie de ses propriétés naturelles que celle qui le rattache aux biens du premier genre. Ce n’est donc pas supprimer en notre âme toute amorce qui offre un point d’insertion naturelle à la grâce au cas où Dieu voudrait l’y implanter, que de qualifier d’obédientielle son aptitude à voir Dieu face à face. Car cette dénomination n’a point pour but d’exclure toute convenance physique entre notre intelligence et la contemplation béatifique, bien loin de là, mais seulement de rappeler que cette convenance ne va pas jusqu'à nous permettre de regarder la vision intuitive de la Sainte Trinité comme une fin proportionnée à la perfection de notre essence et dont nous ne pourrions être privés sans désordre ou sans injustice.

1. Puissance obédientielle passive.

A vrai dire tous les tenants de la puissance obédientielle ne semblent pas avoir accepté de l’identifier ainsi, purement et simplement, avec la réalité du sujet où elle réside. Au moins trouve-t-on chez eux différentes manières de s’exprimer sur ce point. Pour Duns Scot, par exemple, et pour Tolet, notre aptitude à être dotés de la grâce se confond tellement avec notre nature, que qui connaîtrait parfaitement celle-ci s’apercevrait qu’elle est capable d'être élevée à la contemplation béatifique. Voir Tolet, In 7 am, q. i, a. 1. Capréolus et Cajétan, par contre, se refusent à aller jusque là et, quoiqu’ils tiennent eux aussi notre puissance obédientielle à la vision intuitive pour une réalité subjective, ilsn’admettent pourtant pas qu’aucun esprit, fût-ce le plus perspicace, puisse en déduire la possibilité de cette vision. D’après Capréolus en effet cette puissance obédientielle ne serait qu’une relation que la connaissance de son fondement ne suffit certainement pas à manifester elle-même. Cajétan, In 7 am, q. i, a. 1, n. 7 ; Capréolus, In prol. Sent., q. i, a. 2, ad arg. contra 6 am COncl. Il en va de même de Silvestre de Ferrare, qui réduit la puissance obédientielle à une sorte de rapport logique, à une simple non-répugnance. In / um cont. gentes, c. v, n. 5, § 4. A en croire Médina, la controverse était sur ce point devenue très vive chez les théologiens de son temps : Quid sit luve potentia obedientialis vehementer conlrouerlitur interlheologos. Ton tefois l’opposition qu’il signale entre eux ne ressemble pas tout à fait à celle qui divisait Duns Scot et Cajétan : « Les uns, constale-t-il. considèrent la puissance obédientielle comme une pure non-résistance a l’ai tion divine, tandis que d’autres la présentent comme un don surajouté à la nature. » In I" n -ll"-. q. m. a. 8.

C’est surtout en critiquant ces deux dernières opi