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SUAItEZ. DOGMATIQUE, LA JUSTICE ORIGINELLE

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de soi ne l'était pas, ibid., n. 22, p. 262, et en excluant d’autre part de cet état toute inadvertance capable d’atténuer la responsabilité en matière grave, ibid., n. 17 sq., p. 261, il ne lui est plus aussi fidèle quand il en vient à prouver l’incompatibilité du péché véniel pleinement délibéré avec l’intégrité primitive. Ce n’est pas, en effet, comme saint Thomas, sur la nature des choses qu’il la fonde, c’est-à-dire sur l’impossibilité où se serait alors trouvée la volonté parfaitement droite de partager son amour entre sa fin dernière et un bien créé qui, tout en restant conciliable avec cette dernière, lui eût été néanmoins tant soit peu opposé. A son sens, au contraire, ni ses qualités naturelles ou infuses, ni la maîtrise dont il jouissait sur lui-môme n’ayant retiré au premier homme l’entier usage de sa liberté, il pouvait aussi bien se servir d’elle pour un choix de minime importance que pour un choix de portée capitale, pour prononcer une parole oiseuse que pour consommer la ruine du genre humain. Ibid., n. 21, p. 262. Au surplus, rien n’autorise à penser que, pour avoir été prise en pleine lumière et sans passion, une décision coupable s’aggrave nécessairement d’un mépris explicite de la loi ou du législateur. Car on peut, en toute connaissance de cause, s’accorder un peu de plaisir défendu sans vouloir nécessairement par là outrager celui qui l’a prohibé, Est-il même sûr que la première faute grave d’Adam et d’Eve leur ait été inspirée par un mépris formel de l’autorité divine ? Ibid., n. 23, p. 262.

La haute perfection que les dons prétcrnaturels avaient conférée aux facultés humaines n’explique donc pas à elle seule pourquoi aucun péché véniel n’a été commis au paradis terrestre. Beaucoup moins qu’une conséquence nécessaire de la justice originelle, il n’y avait plutôt en cela, au fond, qu’un effet du bon plaisir de Dieu, à qui il parut bon d'écarter le plus possible de cet heureux séjour, fût-ce au prix de fréquents miracles de sa providence, le désordre, le remords et la tristesse. Ce qui l’obligeait, en conséquence, à en bannir totalement les fautes légères, puisque rendant peu à peu les hommes menteurs, cupides, jaloux et ambitieux, ces fautes auraient vite troublé une félicité qu’il voulait parfaite. Aussi s’ingénia-t-il à en supprimer par sa grâce toutes les occasions de manière à ce qu’il ne s’en produisit aucune jusqu’au jour où Adam l’offensât gravement. Ibid., n. 26 et 27, p. 263 et 264.

La justice originelle.

 A l’ensemble de privilèges

préternaturels et surnaturels dont l’homme jouissait avant sa chute, convient-il d’en ajouter un dernier qui soit comme le couronnement des autres ou la source d’où ils proviennent, la justice originelle ? En d’autres termes celle-ci consistait-elle en une qualité distincte, contribuant pour sa part soit à la sanctification, soit au bonheur d’Adam, ou s’identifiait-elle au contraire avec la collection des dons qui lui avaient été primitivement concédés, ne servant qu'à les désigner par un vocable commun ?

Avant le concile de Trente et surtout avant saint Thomas, ce problème ne paraît pas avoir été clairement posé ni traité par les l'ères ou les théologiens. Voir.J. B. Kors, <). P., La justice primitive et le péché originel d’après suint Thomas, Bibliothèque thomiste. Kain, 1922. Le Docteur angélique lui-même ne l’a pas tranché avec une indiscutable netteté puisque sur ce sujet de récents débats l’ont montré - sa doctrine est diversement interprétée par ses meilleurs disciples. Voir Bulletin thomiste, l. i-m, 1924-1926, n. 53, p. 21 1 248, !)21 922. A t-il réservé le nom de justice originelle aux seuls dons préternaturels qui remédiaient aux Imperfections de notre nature, à l’exclusion de la grâce sanctifiante ; OU en a t il étendu l’application jusqu'à cette dernière qu’il aurait dès lois considérée comme

l’un des éléments formels désignés par ce terme ? Tel est l’objet de la controverse. Sa portée dogmatique l’emporte encore sur son intérêt historique. Car, suivant le parti qu’on prend, on prête un sens fort différent à la définition du Docteur angélique : Peccaturn originale est privatio justitiæ originalis. Si saint Thomas, comme on a de sérieuses raisons de le croire, a vraiment réduit la justice originelle aux seuls dons d’intégrité et d’immortalité, sa conception du péché originel s’assimile, à peu de chose près, à celle de saint Augustin ; privatio justitiæ originalis équivaudrait en somme à reatus concupiscentiæ. Mais elle s’oppose par contre irréductiblement à la thèse, aujourd’hui commune, qui veut que la perte de la grâce sanctifiante constitue à elle seule toute l’essence du péché originel.

Suarez s’est-il rendu compte de l’intérêt du débat et a-t-il plus ou moins contribué à l'éclairer ? Il faut avouer que son interprétation de saint Thomas et des auteurs scolastiques du xiir 8 au xvi° siècle ne semble pas reposer sur une étude bien pénétrante ni même suffisamment informée de leur doctrine. Il n’a pas vii, par exemple, que Duns Scot a confondu justice originelle et intégrité et que, en s’expliquant sur celle-là, c'était en réalité de celle-ci qu’il parlait ; qu’il n’a donc point pris parti dans la présente controverse, ne s'étant jamais demandé si l’intégrité dépendait ou non, avec l’immortalité et la science infuse, d’un autre habilus appelé justice originelle, mais seulement en quoi consistait au juste l’intégrité prise à part des autres dons primitifs. De op. sex dier., t. III, c. xx, n. 27, t. iii, p. 300.

Il est beaucoup plus exact par contre en notant chez certains thomistes, comme Dom. Soto, ibid., n. 4 et 5, p. 300 et 301, une tendance très marquée à exagérer dans la soumission originelle du corps à l’esprit le rôle dévolu à la grâce habituelle, comme si cette dernière conférait à notre âme un supplément considérable de forces psychologiques et morales, et non pas seulement une élévation surnaturelle totalement inconsciente et par là-même incapable de contrebalancer la mauvaise inlluence des appétits inférieurs. A vrai dire, les textes ne manquent pas dans l'œuvre du Docteur angélique où une efficacité médicinale est attribuée à la grâce sanctifiante sur les passions des sens, efficacité analogue à celle qu’exercent les vertus et bonnes habitudes acquises par la pratique du bien. Mais, outre qu’il aurait mieux valu amender cette doctrine que la suivre, ce n’est point d’elle en tout cas qu’il s’agit en l’occurrence. Peu importe en effet la manière exacte dont saint Thomas concevait le rôle médicinal des habilus surnaturels, l’unique question est ici de savoir s’il a compté ou non la grâce habituelle au nombre des éléments constituants de la justice primitive. Or, ce point précis, qui fait l’objet du présent débat, Suarez ne semble pas l’avoir beaucoup mieux discerné que Dom. Soto. Il ne s’est point aperçu qu’il y a d’excellentes raisons d’attribuer au Docteur angélique l’opinion d’Alexandre de Halès et de saint Bonaventure, d’après qui le terme de justice originelle s’appliquait uniquement aux dons préternaturels à l’exclusion des vertus infuses. Il lui paraît au contraire si peu contestable que la conception de saint Thomas s’identifie sur ce point avec la sienne, qu’il donne cette conclusion comme indéniable sans guère se donner la peine de la prouver ou de la discuter. Ibid., n. 20, p. 306. Or, pour sa part, il est pleinement convaincu que la justice d’Adam ne consistait pas en un habilus distinct des principaux privilèges qui lui furent d’abord conférés, mais qu’elle comprenait l’ensemble de ses dons primitifs préternaturels et surnaturels, dont elle n'était sans plus que la dénomination collective. Il lui semble en effet qu’en attribuant à Adam une justice extraordinaire ni les l'ères, ni les conciles n’entendaient par là restreindre à