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SCIENCE Dl. DIEU. LA SCIENCE MOYENNE


il parce qu’il l’a ainsi ordonné ; ou on veul qu’il le voie dans l’objet mime comme considéré hors de Dieu et indépendamment de son décret. Si on admet ce dernier, on suppose

des choses future- >oucei taines conditions a uni que Dieu les ail ordonnées ; et on suppose encore qu’il les oit hors de ses conseils éternels, ce que nous avons montré impossible. Que si on dit qu’elles sont fuîmes sous telles conditions, parce que l>ieu les a ordonnées souces mêmes conditions, on laisse la difficulté en son entier ; et il leste toujouis a examiner comment ce que Dieu oi donne peut demeurer Libre. Joint que ces manières de connaître sous condition

ne peuvent être attribuées à Dieu, par ce genre de liâmes « lui lui attribuent Improprement ce qui ne convient qu’a

l’homme : et que toute science précise réduit en propositions

absoluetoutelepropositions conditionnées. Traité du libre arbitre, c. vt.

2. Position thomiste.

fin exposant l’opinion thomiste sur la science divine, on a presque toujours quelque propension à faire entrer en cet exposé la doctrine thomiste de la prédétermination physique, expression thomiste de la motion divine nécessaire à la volonté pour passer à l’acte. Il nous semble que c’est introduire dans l’aspect divin et incréé du problime de la science divine un élément qui, pour lui être connexe, n’en est pas moins spécifiquement distinct.

Essentiellement, la position thomiste dans le problème de la science divine est donc celui-ci : Dieu ne peut connaître les futurs, mêmes libres, que dans son essence déterminée par le décret de sa volonté. Ce n’est qu’une application particulière du principe général émis plus haut sur la causalité de la science divine. Voir col. 1606. Saint Thomas en fait lui-même l’application aux êtres contingents, cf. De reritate. q. n. a. 2. arg. 4, sert contra ; aux actes volontaires, cf. Contra cent., t. III, c. lvi et surtout c. Lxviii. Dans ce chapitre, en effet, saint Thomas expose comment Dieu connaît les actes libres de notre volonté, précisément parce qu’il les cause :

Dieu les connaît en lui-même en tant qu’il est principe universel de tous les êtres et île toutes les modalités de l'être… Comme l'être divin est premier, et cause de tout être, ainsi l’intelligence divine est première et cause de toute opération intellectuelle créée. En connaissant son être. Dieu connaît donc l'être de quoi que ce soit, et en connaissant son intelligence et son vouloir, il connaît toute pensée et toute volonté… Le domaine qu’a notie volonté sur ses actes, et en vertu duquel elle peut à son tiré vouloir ou ne pas vouloir, suppose sans doute qu’elle n’est pas par nature détei minée à tel acte, et exclut la violence d’un agent extérieur, mais il n’exclut pas l’influence de la cause suprême d’où procèdent l'être et l’agir. Ainsi l’universelle causalité de la Cause première s'étend à nos actes libies, de telle sorte qu’en se connaissant, Dieu les connaît. Cꝟ. t. III, c. lxxxix, XC, xci, xciv et Sum. iheol., I'-II*, q. crx, a. 1.

Ainsi donc, aussi bien pour les futurs contingents que pour les futurs nécessaires, leur « présentialité » à l'éternité de la science divine s’explique par le décret de la volonté divine. C’est l’application des principes énoncés, I a, q. xiv, a. 13 et a. 8. Et c’est la même doctrine qu’on retrouve formulée par saint Thomas à propos de la volonté divine. I 1, q. xix, a. 8 et De veritate. q. xxiv, a. 14 ; de la providence, I », q. XXII, a. 2, ad 4um et Contra gent., t. III, c. xc ; du gouvernement divin, I », q. ciii, a. 5, 6, 7, 8 ; q. cv, a. 1, " » ; q. evi, a. 2 et Dr reritate. q. XXII, a. 8 ; de la connaissance divine des secrets des cœurs, I a, q. i.vn, a. I et Dr malo, q. xvi.a. 8.

C’est ici que les molinistes objectent l’impossibilité de sauvegarder la liberté humaine en regard des futurs déjà déterminés pour ainsi dire d’avance par la volontédivine. L’objection est résolue par saint Thomas par l’efficacité transcendante de la volonté divine : " La volonté divine est souverainement efficace ; elle accomplit donc non seulement tout ce qu’elle veut, mais elle fait que tout s’accomplisse de la façon qu’elle veut. I », q. xix. a. x. I lus expressément encore : Puisque

la volonté divine est d’une efficacité souveraine, il s’en dict. DE lui. <L. < ; aiii i

suit que non seulement sent réalisées les choses que

Dieu veut réaliser, mais qu’elles sont réalisées de la manière que Dieu veut qu’elles soient réalisées. » I", q, xix, a. 8. Et, d’une façon plus profonde encore : la volonté de Dieu doit être ic mue comme existant en dehors des réalités créées, ton. me la cause souve raine pénétrant l'être et toutes ses différences. Or, les différences de l'être sont le possible (c’est-à-dire le libre) et le nécessaire. Donc de la volonté divine dérivent la nécessité et la contingence des choses, et la distinction de l’une et de l’autre sous l’influence des causes immédiates. » l’erihermeneias, t. I, leçon xiv.

Cette prédétermination du décret est à la fois formelle et causale, voir Piœmotion, t. xiii, col. 44, c’est à-dire qu’elle est la source et la raison même de l’acte libre qui en résulte. Loin de s’opposer à cette liberté, elle la fonde et l’explique.

Lorsque Dieu, dans le conseil éternel de sa providence. dispose des choses humaines et en ordonne toute la suite, il ot donne par le même décret ce qu’il veut que nous souffrions par nécessité et ce qu’il veut que nous fassions librement. Tout suit et tout se fait, et dans le fond, et dans la manièie, i-( mme il est porté par ce décret. Et il ne faut pas chercher d’autres moyens que celui-là pour concilier notre liberté avec les décrets de Dieu. Car, c< mine la volonté de Dieu n’a besoin que d’elle-même pour accomplir tout ce qu’elle ordonne, il n’est pas besoin de rien mettre entre elle et son effet. Elle l’atteint immédiatement et dans son fonds et dans toutes les qualités qui lui conviennent… La cause de tout ce qui est, c’est la volonté divine, et nous ne concevons rien en lui, par où il fasse tout ce qui lui plaît, si ce n’est que sa volonté est d’elle-même très efficace. Cette efficace e-l si grande que non seulement les choses sont absolument, dès lors que Dieu veut qu’elles soient ; mais encore qu’elles sont telles, dès lors que Dieu veut qu’elles soient telles… Car il ne veut pas les choses en général seulement, il les veut dantout leur état, dans toutes leurs propriétés, dans tout leur ordre. Comme donc un homme est, dès là que Dieu veut qu’il soit ; il est libre, dès là que Dieu veut qu’il soit libre ; et il agit librement, dès là que Dieu veut qu’il agisse librement ; et il fait librement telle action, dès là que Dieu le veut ainsi… Ainsi, loin qu’on puisse dire que l’action de Dieu sur la nôtre lui enlève sa liberté, au contraire, il faut conclure que notre action est libre a priori, à cause que Dieu la fait libre. Bossuet, Traité du libre cu-bitre, c. vin.

Nous pouvons donc conclure : « Bien qu’il soit difficile, pour ne pas dire impossible, à notre esprit de comprendre comment la volonté divine fait notre liberté, nous pouvons cependant concevoir qu’il peut en être ainsi, parce que la causalité divine ne ressemble pas à la causalité des êtres créés. Cette causalité divine, en effet, appartient à l’ordre transcendant, c’est-à-dire existant au-dessus de toute contingence et de toute nécessité. Sans qu’on puisse découvrir le pourquoi de notre liberté sous l’influence de la causalité divine, on conçoit cependant qu’il n’y a pas contradiction entre le fait de l’acte libre, et le fait que Dieu le fasse libre : « S’il y a de la liberté, Dieu l’a créée ; s’il y a de la nécessité, Dieu l’a créée ; mais il ne change ni l’une ni l’autre. Il est au-dessus de ces différences pour les fonder, au dessous pour les porter et bien loin de les annihiler l’une et l’autre, pour les donner à elles-mêmes. Sertillanges, Saint Thomas d’Aquin, p. 263.

Dans le thomisme, la science moyenne ou science des futuribles, qu’on admet pleinement quant à son existence et à son objet, devient donc très accessoire dans l’explication de la connaissance que Dieu a des futurs contingents. Puisque la contingence et la liberté même de ces futurs s’expliquent par le décret prédéter minant, point n’est besoin de recourir à une dé ter ml nation du futurible avant tout décret de la volonté divine. Certes, le futurible existe dans la science di Ine, mais il y est détermine comme tel en vertu d’un décret

hypothétique de la volonté de I Heu, tandis que le fut m

absolu y existe en vertu d’un décret absolu. Tout est

logique et cohérent, encore que le mystère demeuri

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