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SPIRITUELS. APPRÉCIATION


A la décharge de l’ordre on peut citer l’exemple « le saints frères qui n’y ont trouvé aucun empêchement dans l’exercice de la vertu, y compris la pauvreté, lors même que le parti spirituel était en pleine révolte dans la même province. Très significatif est à ce propos un passage de la Légende du bienheureux Jean de l’Alverne († 1322), homme mystique et extatique qui, par sa stricte pauvreté et la régularité de sa vie, était très voisin des spirituels et qui cependant vivait au sein de la Communauté sans y rencontrer le moindre obstacle. L’auteur contemporain de sa légende, Acta sdiicl.. ao.it t. ii. p. 461, rapporte les propos du bienheureux au temps de l’insurrection de cette peste » (des spirituels) : « Quand je vins à l’ordre, Dieu m’a accordé cette grâce, que en tout et de tout ce que je voyais dans l’ordre, j’ai pris motif pour louer Dieu. En voyant une grande et belle église, de grandes maisons, des réfectoires et des dortoirs spacieux et d’amples infirmeries, en tout cela je louais Dieu. Quand je voyais que les frères étaient bien pourvus île tuniques, de livres et d’autres aumônes de la divine miséricorde. j’en louais Dieu. Ainsi j’ai toujours eu la paix de l'âme… <

Aux spirituels on ne peut pas ne pas reprocher d’avoir manqué de cette largeur d’esprit montrée par le bienheureux Jean de l’Alverne et si nécessaire pour comprendre le développement tout naturel et sain d’un ordre nombreux qui, après sa période héroïque, devait se plier aux exigences réelles d’un organisme vivant au service de l'Église et de la société et voulu par saint François lui-même. A la base du conflit se trouve donc, de la part des zelanti, la préférence de la vie contemplative à la vie active, tandis que le saint fondateur avait conçu pour son ordre la vie mixte, c’est-à-dire tour à tour contemplative et active.

Si à la Communauté on peut reprocher le manque de charité et de modération, les spirituels de leur côté n’ont pas moins manqué d’humilité et d’esprit de soumission vis-à-vis de l’autorité constituée. Ils s'érigèrent en juges de leurs supérieurs et crurent pouvoir se soustraire à l’obéissance de l’ordre et de l'Église au nom de saint François, qui pourtant avait hautement déclaré dans le dernier chapitre de sa règle qu’il voulait toujours être soumis entièrement à la sainte Église. Cette attitude réfractaire des spirituels a été inspirée surtout par deux conceptions fausses. Appuyés sur les paroles initiales de la règle franciscaine : « la règle et la vie des frères mineurs est celle-ci, à savoir observer le saint Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, vivant en obéissance, sans rien de propre et en chasteté », ils proclamaient l’identité de la règle franciscaine avec l'Évangile avec toutes les conséquences qui en découlent ; en deuxième lieu ils contestaient au souverain pontife le droit de dispenser îles vœux solennels ou de mitiger d’une manière quelconque la pauvreté franciscaine.

Sur la première de ces erreurs il n’y a pas lieu d in sister, mais la deuxième exige quelques explications. On a vu plus haut que le premier a appliquer ce principe à la règle franciscaine est I lugues de 1)igne. qui en

appelle aux Décrétâtes de Grégoire IX, III, xxxv, c. (>,

mi Innocent III dit que l’expropriation et la chasteté sont tellement unies à la règle monacale quc même le

souverain pontife ne peut pas en dispenser, texte qui a donné beaucoup de lil à retordre aux anciens canonistes et aux théologiens. On a constaté d’abord qu’avant le XIIIe siècle les papes avaient déjà donne des dispenses de VŒUX solennels. Innocent III suit donc ici simplement la doctrine rigoriste de son ancien maître Iluguccin, professée aussi par d’autres cano

nistes et théologiens du temps, par exemple Robert de Flamesbury, qui dès avant 1210 écrit : Unde habet vc~ iiuii liane virtutem, quia de jure naturali est scit, de Lege

vel Evangelio, dieente propheta : vovele et reddite. Contra Legem vel Evangelium autem nemo dispensare potest, quia ab orc bei édita sunt, texte rapporté par J. Brys, De dispensalione in jure canonico præsertim apud decrclistas et decretalistas, Bruges, 1925, p. 212. Saint Thomas lui-même, Sum. theol., II » -II", q. lxxxviii, a. 11. défend la même théorie. Cependant, dès le xiue siècle, on trouve des canonistes et des théologiens qui attribuent au pape le pouvoir de dispenser des vœux religieux. Les spirituels au contraire s’inspiraient d’autant plus volontiers du principe d’Innocent III, qu’ils identifiaient la règle de saint François avec l'Évangile et prétendaient ainsi justifier leur refus d’obéissance. « Contre le Christ et contre l'Évangile il n’existe pas de pouvoir », écrit Ange de Clareno, Archio, t. 1, p. 560, et plus loin : « il n’y a pas d’autorité dans la règle contre la règle, comme il n’en est pas dans l'Église contre l'Église ». lbid., p. 563. Voir encore son Exposition de la règle, p. 201. Les spirituels étaient d’autant plus dans leur tort que, dans l’espèce, il ne s’agissait pas de dispenses de vœux, mais de déclarations authentiques de la règle de la part du pouvoir suprême de l'Église, qui avait approuvé la règle et qui pouvait l’expliquer comme un texte législatif quelconque.

Le joachimisme a eu lui aussi une grande part dans l’opposition des spirituels qui adaptèrent la théorie des sept états et des trois époques, prônée par l’abbé calabrais et par les livres pseudo-joachimites, à la mission de saint François. Selon Olieu et son fidèle disciple Ubertin de Casale, François, l’aime du sixième sceau de l’Apocalypse (vu, 2), inaugura le sixième état de l'Église, qui coïncida avec le commencement de la troisième époque, à savoir, l'époque du Saint-Esprit ou de l'Évangile éternel. C'était là une théorie chère à Gérard de San-Doinnino dès 1254. lui conséquence les spirituels, seuls fils légitimes de saint François, se croyaient les hommes élus de l'époque du Saint-Esprit, qui devaient prêcher l'Évangile éternel dans l'Église spirituelle. En face de l’opposition qu’ils rencontraient de la part des autorités, soit dans l’ordre, soit dans l'Église, ils se consolaient à la pensée que l'Église spirituelle, selon Joachim, devait subir la persécution de la part de l'Église charnelle. L’interprétation de l’Apocalypse dans le sens et à la suite de Joachim fournissait à Olieu et à Ubertin les preuves évidentes de Cette théorie. Ange de Clareno, dont le joæliimisnie est plus superficiel que réel, n’est pas aussi explicite sur ce point ou du moins n’y insiste pas autant. Si les deux théoriciens principaux des spirituels franciscains, Olieu et Ubertin, apparaissent ainsi imbus des faussetés du joæliimisnie, à une époque relativement tardive de son développement, on n’a pas le droit de présumer sans plus que la masse des rigoristes professait ces idées dès le commencement du mouvement. En Italie au moins on n’en découvre pas de traces dans les persécutions avant Jean de l’arme, et il n’en est pas question dans le soulèvement de la Marche d’Ancône en 127 I. Il est vrai, le joæliimisnie se répandit de bonne heure dans la péninsule, mais plutôt dans les milieux de la Communauté, connue l’atteste maintes fois la Chronique de Saliinbene. Le séjour d’Olieu à Florence vers la fin du xiir siècle semble donc responsable de l’introduction générale de cet élément fâcheux et délétère chez les spirituels d’Italie.

L’attitude des spirituels a l'égard des études est notoire. Mais Ici encore il faut tenir compte de nuances assez accusées. D’abord par études il faut entendre les études organisées, c’est à dire les études des univer sites et non pas les études privées et personnelles. Car les trois coryphées des spirituels étaient tous, chacun à sa manière, des savants. Olieu et Ubertin avaient étudie a Taris. Olieu était un des penseurs les plus subtils