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SPINOZA. MORALE ET POLITIQUE


effort de la substance : la psychologie de Spinoza est partout inspirée par l’idée de la persévérance de l'être, c’est-à-dire par une idée métaphysique. Ce qui augmente ou diminue l’activité du corps augmente ou diminue l’activité de l'âme, puisque l'âme est l’idée du corps : ainsi se déduira la généalogie « les passions, joie et tristesse, amour et haine, espérance et crainte. Spinoza a formulé trois lois d'évocation des passions les unes par les autres : par contiguïté, par ressemblance d’objets, par causation (nous aimons ceux qui nous causent de la joie, etc.). Nous savons que les passions accomplies en nous par les affections du corps causées par les objets extérieurs nous constituent en état d’esclavage : en nous en délivrant par la connaissance adéquate, l’entendement parviendra à la béatitude. C’est cela l’objet de la morale.

IV. La morale. — I.a morale est le but unique de la philosophie spinoziste : il s’agit seulement « de l'âme humaine et de son souverain bien ».

Pour déterminer ce qu’est le bien, on se placera successivement au point de vue de la nature et à celui de la raison. Au point de vue de la nature, chaque chose, considérée eu elle-même, est aussi bonne qu’elle peut l'être, puisque déterminée par les lois nécessaires de l'être. Chacun désirant ou repoussant nécessairement ce qui lui est bon ou mauvais, a droit de faire tout ce à quoi s'étend sa puissance. Mais, si l’on se place au point de vue de la raison, c’est-à-dire si l’on envisage l’ensemble des choses, elles nous apparaissent comme une hiérarchie d'êtres plus ou moins parfaits, selon qu’ils sont source de joie. Dieu, souveraine perfection, est par conséquent le souverain bien. La raison est l’agent qui nous fait atteindre le souverain bien. D’une part, puisqu’elle voit les conséquences de nos actes, elle remédie à la violence des passions, elle pratique la tempérance, la justice, le dévouement. D’autre part, en comprenant tous les événements par les lois de la nécessité universelle, c’est-à-dire par l’activité de Dieu, elle s’affranchit des contraintes extérieures et participe à la spontanéité divine. Connaissant toutes choses sous la (orme de l'éternité, elle s’attache à leur principe et trouve la joie dans cette connaissance adéquate, qui engendre Vamor intelleclualis Dei.

On voit les caractères de cette morale. D’abord, la morale selon la nature justifie toutes les violences de ceux qui ont la force, car tout ce qui arrive, étant déterminé par les lois nécessaires, est légitime, et les âmes étant dépourvues de personnalité, la puissance et le droit appartiennent d’abord aux totalités. Comme la morale de llobbes, la morale de Spinoza est pour justifier tous les « totalitarismes ». Il est vrai qu’audessus de la morale de la nature, conditionnée par la connaissance sensible, inadéquate, il y a la morale de l’entendement. Celle-ci ne se propose pas comme un idéal à choisir par un libre arbitre, mais comme un principe qui se réalise nécessairement une l’ois qu’il est connu. Sans doute, il ne s’agit pas d’un fatalisme : celui qui connaît les essences organise sa conduite par l’activité de sa pensée. Mais il ne dépend pas de l’homme d’atteindre à la connaissance adéquate. Bien peu y parviennent, Spinoza le remarque, et ils n’y parviennent que par suite d’une nécessité qui les domine. La morale de la justice, l’amour intellectuel de Dieu ne sont le l’ail que d’une élite : cet le morale là est donc striciemeni aristocratique. El en elle même elle ne consiste qu’en une résignation : cette liberté,

qui est seulement l’intelligence de la nécessité, ne vise

à rien changer de ce qui existe, elle trouve toute sa satisfaction à se l’expliquer. Resterai ! enfin a savoir ce qu’est au juste Yttiwir intellectualis Dei. Esl ce seulement la joie purement Intellectuelle et au fond égoïste du savant qui est parvenu à comprendre les

choses par les lois mathématiques qui en font l’unité? Est-ce l’adhésion de l'âme à un principe divin qui la dépasse et qui mérite l’amour, le dévouement et le culte ? Nous retrouverons cette alternative quand nous aurons à exposer les interprétations possibles de la religion de Spinoza.

V. La politique.

Au temps de l’empire ottoman, on disait que le gouvernement des sultans était une tyrannie tempérée par l’assassinat. Cette définition conviendrait assez bien au système politique enseigné dans la 1Y° partie de V Éthique et le c. xvi du Théologico-polilique, car le droit de l'État, fondé sur sa force, n’y a d’autre limite que la résistance dont sont encore capables les sujets. « Par droit naturel et institution de la nature, nous n’entendons pas autre chose que les lois de la nature de chaque individu, selon lesquelles nous concevons que chacun d’eux est déterminé naturellement à exister et à agir d’une manière déterminée. » Théol.-pol., c. xvi. Puisque la puissance de la nature est la puissance même de Dieu, chaque individu a le droit déterminé par sa nature : « en vertu du droit naturel, tous les poissons jouissent de l’eau et les plus grands mangent les petits ». Tant que les hommes ne vivent que sous l’empire de la nature, ils ont donc le droit de convoiter tout ce qui leur est utile. Mais il leur serait plus utile de vivre selon les lois de la raison et, pour obtenir ainsi la sécurité, ils n’ont pas d’autre moyen que d’abandonner tous leurs droits, c’est-à-dire toute leur puissance, à une autorité qui les régisse. Aucun pacte, en effet, n’ayant de valeur que par son utilité, personne n’est enchaîné à sa parole, sinon par une contrainte qui rende la violation des serments plus dommageable que la fidélité.

Il suit de là que l’Etat possède un droit absolu dans la mesure même où il possède la force totale, et que « nous sommes obligés absolument d’exécuter tous les ordres du souverain, même les plus absurdes ». Seulement, puisque l'État n’a le droit qu’en tant qu’il a la force, et que cette force est toujours précaire, dépendant de la bonne volonté des sujets, il a intérêt à gouverner raisonnablement pour le bien de ceux-ci. Et ceux-ci ne sont pas esclaves en obéissant, puisqu’en se conduisant ainsi ils suivent les lois de la raison. Dans le Théologico-politique, la forme de gouvernement qui paraît à Spinoza « la plus naturelle » est la démocratie, dans laquelle chacun délègue tous ses droits à la majorité et tous demeurent égaux. Le droit civil privé dépend évidemment de la volonté du souverain, qu’il soit une majorité ou un roi : le souverain n’est pas tenu par le droit établi, puisque le dommage ne peut provenir du souverain, qui a le droit de tout faire à l'égard de ses sujets ».

Le droit international est naturellement régi par les mêmes principes. Deux États peuvent s’allier, l’alliance n'étant jamais déterminée que par leur intérêt : chacun garde ses droits et son autorité, et le contrat ne reste valide que tant que persiste le motif de danger ou d’intérêt, « ôtez ce fondement, et l’alliance croule d’elle même ».

En matière de religion aussi, le droit de l'État est pratiquement sans limite. D’abord, la vie selon la nature précède la vie selon la raison, et en principe, et dans l’ordre temporel. Ensuite, le droit naturel dépend des lois de la nature, lesquelles sont plus amples dans leur domaine que celles de la religion. Si le souverain refuse de reconnaître le droit révélé, il le peut à ses risques et périls, et cela ne lui enlève en rien la puissance qu’il tient du droit naturel. Enfin, les hommes s’opposent les uns aux autres en matière de religion, et l'Étal ne peut abandonner aux particuliers la permission de terminer eux-mêmes leurs querelles : il a donc « le droit absolu de statuer en matière de religion tout

ce qu’il juge convenable ». Que si certains hommes ont