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SPINOZA. l ÊTAPH YSIQUE
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connaissance adéquatement ne peut appartenir qu'à un seul. Nous n’insistons pas sur l'énormité du postulat de Spinoza, qui coïncide à peu près avec la conception de l’universel concret chez Hegel ; il est trop évident que, si une substance ne peut être confondue avec aucune autre, nous sommes absolument incapables de saisir en son fond ce qui constitue cette individualité inconfusihle. notre connaissance n’est jamais « adéquate » au sens spinoziste. Quant à la seconde partie de la démonstration, elle suppose qu’une connaissance adéquate des causes est possible, renfermant a priori la connaissance des effets. Mais en fait nous n’arrivons à connaître Dieu que par le monde.

Puisque la substance est une, elle est indivisible. Elle est infinie, puisque rien ne la limite, ni de l’extérieur, ni de l’intérieur. Elle possède une infinité d’attributs infinis, car une chose a d’autant plus d’attributs qu’elle possède plus d'être. Chaque attribut, à son tour, se développe en une infinité de modes finis : il le faut, car l’attribut infini ne saurait être épuisé. Notons ici que Spinoza, en dehors des démonstrations qui donnent à la substance les propriétés divines, prouve directement l’existence de Dieu. Ces diverses preuves de l’existence de Dieu sont des variétés de l’argument ontologique. Elles partent toutes du même principe : le possible, en tant que perfection, en tant que puissance infinie, etc., implique l’existence. Bien entendu, Dieu est conçu comme force infinie, cause immanente et nécessaire du monde : Dieu ayant éternellement en lui-même la raison de son être, est éternellement tout ce qu’il est, produit éternellement tout ce qu’il produit.

Venons-en maintenant aux attributs. Les qualités secondes étant subjectives (comme chez Descartes), et les qualités premières, figure, divisibilité, mouvement, se ramenant à des modifications de l'étendue, celle-ci est attenante à la substance même, elle est un attribut. Infinie, car rien ne la limite : entre elle et la pensée, rien de commun, donc la pensée ne la limite pas. En un sens, elle est divisible, puisque les figures, mouvements, etc., sont mesurables et divisibles ; mais cette divisibilité concerne nos sens et notre imagination. Au point de vue intelligible, l'étendue est un tout où ce serait un non-sens de chercher des divisions. En somme, le déroulement infini des mouvements naissant les uns des autres et solidaires les uns des autres exprime l’unité absolue de l'étendue. Les corps ne sont que des modifications de l'étendue. Et la série temporelle de ces modifications successives, autrement dit la série des mouvements est éternelle, car le mouvement ne peut pas plus commencer ou cesser que ne peut commencer ou cesser l'étendue infinie.

Nous connaissons un autre attribut : la pensée. L’expérience psychologique nous en fait connaître beaucoup de modes, ceux que nous appelons notre âme et qui manifestent la pensée infinie comme les mouvements corporels manifestent l'étendue infinie. De même, en effet, que les modes de l'étendue n’ont de réalité que par un attribut au delà duquel on ne remonte pas, nos représentations, émotions, désirs, etc., n’ont de réalité que par une activité première de la substance, activité au delà de laquelle il n’y a rien. C’est donc une activité nécessaire, éternelle, infinie. Elle est infinie puisqu’elle est un attribut de Dieu ; mais Spinoza le prouve aussi directement, parce qu’elle renferme une tendance à se développer infiniment, et que toute chose a la puissance de se réaliser quand rien ne fait obstacle à son développement. Or, rien ne peut faire obstacle au développement de la pensée de Dieu. La pensée est unique et indivisible, elle se déploie en une infinité de modes finis : ces propositions se démontrent par des preuves analogues à celles qui établissent les théorèmes concernant l’unicité et l’indivisibilité de l'étendue, etc.

Les idées particulières, ou modes finis de la pensée, découlent de Dieu considéré comme chose pensante, de même qu’un corps ou mode de l'étendue découle de Dieu considéré comme chose étendue. Les idées particulières sont déterminées par les modes antérieurs de la pensée, comme les modes de l'étendue sont déterminés par les modes antérieurs de l'étendue. Conséqueminent. chaque idée particulière a sa cause totale en dehors de retendue, de même que chaque mouvement corporel a sa cause totale en dehors de la pensée. Considérés au point de vue phénoménal, les modes de l'étendue n’ont pas de rapport avec les modes de la pensée ; considérés au point de vue substantiel, ils sont identiques. Alors, en (moi peut consister l’unité de l’individu humain ?

Au corps, qui est l’unité d’un système de mouvements corporels, correspond une idée qui est l'âme. Les « affections du corps », c’est-à-dire les sensations, sentiments, perceptions, souvenirs provoqués par les mouvements corporels, voilà ce qui constitue l'âme, et à travers les « affections du corps » sont connus, d’une certaine manière, les mouvements extérieurs qui les provoquent. L'âme n’est donc ni une ni indivisible : sa permanence n’est au fond que la permanence provisoire des organes et des mouvements qui sont le corps, et son activité n’est que la résultante de l’action élémentaire de chacun des modes de la pensée qui se succèdent pour la former. L'âme ne connaissant les corps et elle-même que par ses affections, elle n’a d’elle-même et des corps qu’une connaissance inadéquate. Mais l’entendement atteint, par la connaissance adéquate, l’essence des choses, c’est-à-dire les attributs de la substance, étendue et pensée.

En effet, au dessus de l’expérience qui connaît les modes, il y a la connaissance du nécessaire, de l'éternel, et le nécessaire et éternel, c’est l'étendue et la pensée. Entre l’expérience et l’entendement, rien de commun : l’entendement, atteignant l’essence par intuition, est au-dessus de toute possibilité d’erreur. C’est la quatrième espèce de connaissance, la connaissance adéquate, la première étant la connaissance par autorité, la seconde étant la connaissance vague fondée sur des signes, la troisième étant la connaissance déductive fondée sur l’expérience. L’entendement n’est pas une faculté, c’est l’idée de la substance, et par conséquent, puisque l’idée de la substance est unique, la connaissance intellectuelle est impersonnelle.

Aux divers degrés de la connaissance correspondent divers degrés de la tendance : à la connaissance empirique correspondent les désirs sensibles qui, bien qu’actifs de l’activité de la substance, sont passifs en tant que déterminés par la perception. Au contraire, la volonté est souverainement active et libre, puisque, dépassant la sphère des affections du corps, elle n’est déterminée que par la connaissance adéquate. La liberté, sur laquelle Spinoza insiste tellement, n’est donc pas un libre arbitre : elle est la spontanéité totale de l'être dont l’action est déterminée par son essence. La notion de libre arbitre est tenue par Spinoza pour une absurdité : il la condamne par toutes sortes de preuves : et parce qu’en Dieu tout est nécessaire ; et parce que la volonté, n'étant pas une faculté, est une série de volitions déterminées les unes par les autres ; et parce que la volition est un aspect de l’idée à laquelle elle est au fond identique ; et parce que la nécessité qui relie les mouvements corporels implique la nécessité des modes de la pensée qui leur sont parallèles. Il est vrai que les hommes se croient libres : cette illusion provient de la connaissance inadéquate, on attribue à une soi-disant faculté de choisir les effets dont on ignore les causes.

Les passions se ramènent toutes au désir, qui est un