Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/476

Cette page n’a pas encore été corrigée

j r. ::

    1. SOUFISME##


SOUFISME. DÉVIATIONS KT OPPOSITIONS

2454

Makki. Il en compte neuf qui sont : la pénitence, la patience dans les adversités, la gratitude pour les

bienfaits divins, la crainte, l’espérance, la pauvreté volontaire, le renoncement au monde, l’abnégation de la volonté, l’amour divin. A ces neuf degrés, Al-Ghazàli en joint quelques autres à titre de corollaires du dernier : l’amour passionné de I)ieu, la familiarité ou le commerce intime avec Lui, la complaisance au bon vouloir divin et en lin. comme informant tous les degrés, la pureté et la sincérité d’intention. Viennent ensuite les exercices spirituels dont le but est de favoriser les progrès dans la vie unitive. comme l’examen de conscience et l’oraison mentale. L’intuition et la fruition de l’essence divine dans l’extase sont le terme de ce long chemin. Il est accessible en partie par l’effort personnel du mystique, mais surtout par un don gratuit dont Dieu honore ses élus.

Al-Ghazàli connaissait les Évangiles et dans Ihyâ' il cite la parole : Btati mundo corde, quoniam ipsi Deum pidebunt. On ne saurait d’ailleurs nier dans sa mystique un influx constant du christianisme, puisque luimême le reconnaissait, mais on y retrouve aussi la trace explicite de la pensée ascétique et mystique des yogis, si vivace dans les contrées occidentales de l’Inde limitrophes de la Perse. Des éléments israélites empruntés aux Esséniens abondent parmi les exemples édifiants rapportés par le grand théologien et des réminiscences plotiniennes se devinent sans effort sous ses théories illuminatives. En fait, lesoùfisme traditionnel mettait à la disposition d’Al-Ghazàli un trésor incomparable d’idées et d’expériences religieuses extraislamiques. Il a su — et c’est là son œuvre personnelle — les incorporer au fonds de la dogmatique et de la morale coraniques, réalisant ainsi dans son Ihyâ' une admirable synthèse philosophico-théologique.

Cette œuvre a exercé sur l’islam une immense influence et dans toutes les universités musulmanes les ouvrages d’Al-Ghazàli forment la base de l’enseignement orthodoxe. Son ascèse et sa mystique ont inspiré les fondateurs des innombrables confréries et ordres religieux qui couvrent les pays musulmans d’un vaste réseau et constituent souvent l’obstacle le plus insurmontable à leur conversion au christianisme. La communauté de vie entre juifs et musulmans du Moyen Age a même permis une pénétration des idées d’AlGhazâli dans le rabbinisme médiéval. Maimonides lui doit quelques-uns de ses concepts sur l’analogie entre la raison et la foi etBahya reproduit des passages entiers empruntés à la mystique ghazalienne. Ce sont précisément les rabbins espagnols et provençaux qui contribuèrent à introduire les ouvrages d’Al-Ghazàli dans la scolastique chrétienne. Les traducteurs tolétains dirigés par Dominique Gundisalvi mirent en latin son Maqâsid el-falâsifât (Tendances des philosophes) et le dominicain catalan Raymond Martin a inséré dans son Pugio fidei des pages entières du Munqid min ed-dalâl, (Délivrance de l’erreur), du Tahûfut el-jalàsijàt (Incohérence des philosophes) et de V Ihyâ'. C’est ainsi que par des chemins indirects sont revenues au christianisme occidental nombre d’idées reçues d’abord par Al-Ghazàli de la tradition chrétienne et du monachisme oriental.

V. Déviations ET oppositions.

Il existe donc un soufisme musulman orthodoxe qui aspire à la revivification d’un islam loyalement pratiqué et au détachement du monde, mais il manquait à cette ascèse la direction d’une hiérarchie légalement autorisée et qui, captant ce courant généreux et le canalisant, l’aurait empêché de se perdre dans des excès qui allaient attirer sur lui les justes sévérités cle l’orthodoxie.

Le but de l’ascèse étant d’arriver à la vie unitive en Dieu, les soùfis estimèrent qu’il était possible de la réaliser par le fana emprunté aux yogis de l’Inde. On

entend par là l’anéantissement de la volonté propre de l’homme dans la volonté divine, à ce point que l’ascète ne possède pas Dieu, mais bien plutôt qu’il est possédé par Dieu et subsiste désonnais en lui. C’est en fait une évanescence de la personnalité humaine et elle aboutit à la pérennisation en Allah (baqà). Le libre arbitre disparaît et à la volonté humaine périssable se substitue la volonté éternelle de Dieu.

Certains soùfis vont encore plus loin et ils admettent que non seulement la volonté de l’ascète est anéantie, niais qu’il y a unification entre Dieu et l’homme (illihâd, le fait de devenir une seule chose). Ce terme désigne l’union mystique par laquelle la créature s’unifie avec le Créateur ou pour mieux dire par laquelle la divinité s’incarne dans sa créature. Le dualisme maintenu par Al-Ghazàli dans la communion mystique disparaît pour faire place au monisme, c’est-à-dire à l’homogénéité entre les deux êtres. La théologie musulmane orthodoxe a vu dans ces exagérations une hérésie qui contredit la notion vraie de l’unité divine (lawhid) par laquelle il n’est admis en Allah aucune existence réelle, si ce n’est l’existence divine. A ce degré d’union, les soùfis admettent qu’il se produit le phénomène du chalh, l’interversion des personnalités. Dieu cède son rôle à l'àme de l’extatique qui devient son porte-parole et, quand celui-ci parle à la première personne, c’est Dieu qui parle par sa bouche. Ainsi Bistâmi, au lieu du Sobhân Allah (louange à Dieu) traditionnel, s'écria : Sobhânî, louange à moi, parce qu’il n’avait plus perçu en lui-même son propre moi, mais seulement Dieu.

Parvenu à ce stade de Viltihâd, le soùfî se juge dispensé de la pratique des œuvres extérieures. Il n’y reconnaît que des moyens d’un caractère transitoire et qui même parfois peuvent devenir des obstacles à l’ascension spirituelle de l'âme. De là vient la précellence du m’arija, la gnose ou sagesse divine, sur le 'Uni, la science acquise des ulémas, qui ne s’occupent que de la légalité extérieure, la prééminence des saints ascètes et mystiques (wâlî), parvenus à Vittihâd, sur les prophètes, envoyés d’Allah.

Certains adeptes du soufisme ont étendu leur dédain pour les pratiques de la loi (chari’a) jusqu'à la morale conventionnelle et aux interdictions édictées par la législation coranique. Les Malamâlyya (litt. les blâmables, sorte de cyniques) affirment qu’au lieu de lutter contre les penchants déréglés, il vaut mieux s’y abandonner, afin d’en éprouver la vanité et de s’en détacher plus aisément. Ils prétendent fouler aux pieds l’orgueil, en commettant publiquement les excès les moins excusables et de la sorte afficher leur indépendance vis-àvis des jugements humains. On rencontre enfin parmi les soûfîs des agnostiques complets, qui proclament l'égalité et l’inutilité de toutes les confessions religieuses, qui semblent parvenus à l’indifférence doctrinale la plus absolue, et qui professent l’immanentisme agnostique le plus délibéré.

Pour arriver à cette union mystique considérée comme une fin, nombre de soûfîs, délaissant l’enseignement des maîtres qui mettaient en avant l’examen de conscience et la pratique des vertus, ont préconisé les moyens matériels. Le plus connu d’entre eux est le dhikr. On entend par là une psalmodie collective et solennelle de certains passages du Coran, de litanies de noms divins, etc., qui prétendent amener l'âme à un dialogue indirect avec Dieu. En fait, ces séances de dhikr aboutissent, cle même que certains « revivais « gallois, à déclencher, comme par un procédé mécanique, une extase purement physiologique et à confondre la perte de la sensibilité avec la possession par Dieu. A partir du xiiie siècle, sous l’in lluence des faqirs indiens, s’ajoute l’emploi d’excitants et de stupéfiants comme le hachisch, le café, l’opium. La poursuite obstinée de la transe extatique amène quelques ordres religieux