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SIGNE

1. Les termes précis du problème.

Certains éléments du problème ne sauraient donner lieu à controverse.

a) Toute connaissance du signc divin qui inclinerait déjà l’intelligence vers la foi ne peut procéder que de la grâce. C’est la doctrine affirmée au IIe concile d’Orange, can. 5 ; Denz.-Bannw., n. 178 ; voir ici, t. x. col. 1090. Nier la nécessité de la grâce pour cet initium fidei, qui commande le désir de croire, credulitatis affectum, serait tomber dans l’erreur semi-pélagienne. Analysant et distinguant entre elles les différentes phases de la préparation psychologique de l’acte de foi, les théologiens récents appellent cette connaissance déjà pratique de la crédibilité, le jugement de crédentité. Voir ici, t. iii. col. 2206.

b) La controverse porte donc uniquement sur la connaissance spéculative des signes divins, laquelle n’entraîne pas nécessairement le désir de croire et, à plus forte raison, la foi. Il s’agit donc du jugement de crédibilité simple ou rationnelle qu’il faut psychologiquement et théologiquement distinguer de la crédibilité surnaturelle (nécessitante, impérative et consommée, voir t. iii, col. 2210). Cette crédibilité rationnelle est « la propriété transcendantale que possède la révélation divine objective en regard de l’intelligence naturelle ». Ibid.

c) Toutefois, l’on peut encore admettre qu’en fait, principalement chez les fidèles, la connaissance même purement spéculative des signes divins se réalise sous l’influence de la grâce et même de la vertu de foi. Voir ici Crédibilité, t. iii. col. 2212-2213, 2231-2232, et, en ce qui concerne l’opinion de saint Thomas sur ce point, col. 2275-2276. S. Thomas. IIa-IIæ, q. i, a. 5, ad 1um ; cf. a. 4, ad 3um ; q. ii, a. 3, ad 2um ; cf. Garrigou-Lagrange. De revelatione, t. i. Paris. 1918, p. 536-537. On doit même dire que chez ceux qui croiront effectivement, le jugement de crédibilité, encore purement spéculatif, est déjà surélevé par l’illumination et l’excitation de la grâce. Cf. Crédibilité, col. 2205, nota bene.

2. Les solutions proposées.

a) Le jugement de crédibilité d’ordre spéculatif est possible sans le secours de la grâce et à fortiori de la foi.

L’argument fondamental, mis en avant par les partisans de cette opinion, c’est que la crédibilité des vérités révélées doit avoir un caractère rationnel : non crederet nisi videret esse credendum [i.e credibile] vel propter evidentiam signorum, vel aliquid hujusmodi. Sum. theol., IIa-IIæ, q. i. a. 4. ad 2um. Si la grâce était nécessaire absolument, il faudrait dire que le jugement de crédibilité n’a pas un caractère strictement rationnel ; si la grâce n’est nécessaire que moralement, il faut admettre qu’en certain cas particulier elle peut faire défaut.

Ce caractère rationnel du jugement de crédibilité a été mis en évidence par différents documents ecclésiastiques. Par ordre de la S. C. des Évêques et Réguliers, Hautain dut s’engager, le 26 avril 1844. à ne jamais enseigner que la raison ne puisse acquérir une vraie et pleine certitude des motifs de crédibilité, c’est-à-dire de ces motifs qui rendent la révélation divine évidemment croyable. Denz.-Bannw., n. 1(527. Il s’agit évidemment d’une acquisition par la raison, sans le secours de la grâce, ainsi que Hautain avait dû le souscrire (6e prop.) en 1840 sur l’ordre de Mgr Lepappe de Trévern : « Quelque faible et obscure que soit devenue la raison par le péché originel, il lui reste assez de clarté et de force pour nous guider avec certitude à l’existence de Dieu, à la révélation faite aux juifs par Moïse, aux chrétiens par notre adorable Dieu. » Ibid.

bans l’encyclique Qui pluribus, Pie IX rappelle que « la raison humaine doit chercher avce diligence le fait même de la révélation, afin qu’elle sache avec certitude que Dieu a parlé » Denz. Bannw., n. 1637. Voir d’autres textes ici, art. Miracle, t. x. col. 1854.

Dans ces textes, il n’est pas fait allusion à la nécessite d’une grâce pour fortifier l’intelligence. Bien au contraire, la 6e proposition souscrite par Hautain à Strasbourg indique expressément que, malgré l’obscurité et la faiblesse, suite du péché originel, la raison possède encore assez de clarté et de force pour nous guider avec certitude à la révélation chrétienne.

Le concile du Vatican, enfin, exprime une idée analogue : « Pour que l’hommage de notre foi fût d’accord avec la raison, dit-il, aux secours intérieurs du Saint-Esprit, Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa révélation, savoir, des faits divins et surtout des miracles et des prophéties qui, en montrant abondamment la toute-puissance et la science infinie de Dieu, font reconnaître la révélation divine dont ils sont les signes très certains et appropriés à l’intelligence de tous. « Parmi les motifs de crédibilité. « signes très certains, appropriés à l’intelligence de tous », le concile a nommé les signes externes : miracles et prophéties. Le 4° canon jette l’anathème à qui dit « que les miracles ne peuvent être connus avec certitude ».

Si les miracles sont des motifs de crédibilité très certains et appropriés à l’intelligence de tous, si l’intelligence humaine peut les connaître avec certitude, il faut que l’homme, même déchu, puisse, les atteindre sans un secours surajouté, donc sans une grâce. Si, dans le début du texte, le concile déclare qu’ « aux secours intérieurs du Saint-Esprit, Dieu a voulu joindre des preuves extérieures de sa révélation », il n’entend nullement dire que les preuves extérieures ne peuvent être saisies par l’intelligence que grâce aux secours intérieurs de l’Esprit-Saint. Les secours intérieurs de l’Esprit-Saint se réfèrent à la foi elle-même, les preuves extérieures à la crédibilité : « Afin que l’hommage de notre foi fût d’accord avec notre raison, ut fidei nostræ obsequium rationi consentaneum esset. »

A cet argument fondamental on ajoute des considérations de fait qui en soulignent la force. Jean de Saint-Thomas lui-même, dont les partisans de l’opinion adverse invoquent volontiers le patronage, déclare qu’il n’y a pas contradiction à admettre « que quelqu’un connaisse avec évidence la crédibilité en raison d’un miracle accompli sous ses yeux et cependant, en raison de sa perversité, refuse de croire ». De fide, disp. III, a. 2, n. 10. Il apporte comme exemple le cas des pharisiens dont Jésus dit qu’il ne les accuserait pas s’il n’avait accompli parmi eux des œuvres divines. Joa., xiv, 24. Voir également l’appréciation des sanhédrites sur les miracles de Pierre et de Jean. Act., iv, 16. Les démons eux-mêmes connaissent avec certitude le fait de la révélation et non par la grâce. Cf. Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 538.

Les partisans de cette opinion concluent qu’il faut admettre tout au moins la possibilité d’un jugement spéculatif de crédibilité sans le secours de la grâce, sous peine d’aboutir à cette contradiction que la raison est capable de faire et de percevoir la preuve du fait de la révélation et que sans la grâce elle en est incapable.

b) Le jugement de crédibilité n’est possible qu’avec le secours de la grâce et ne s’exerce que sous l’influence de la foi habituelle ou actuelle.

La grâce est ici nécessaire, non pas pour suppléer à l’insuffisance objective des signes divins — ce serait inconsciemment retomber dans la thèse protestante de l’expérience religieuse interne — mais pour donner à l’esprit la vigueur indispensable qui en fasse saisir la valeur et la signification.

« Pour comprendre le miracle — non pas seulement

pour le voir, mais pour saisir son essence totale, matière et forme à la fois — il faut voir en même temps sa signification interne, essentielle et réelle, car le miracle est un signe. Il est formellement une intervention ou, si l’on veut, une intrusion de la surnature dans la nature pour modifier le cours de celle-ci au