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SÉVERE D’ANTIOCHE. DOCTRINE

Sévère ont été également découverts dans des traductions coptes et éthiopiennes. Cf. E. Porcher, Sévère d’Antioche dans la littérature capte, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xii, 1907, p. 119-124 ; La première homélie cathédrale de Sévère d’Antioche, texte copte et traduction, ibid., t. xix, 1914, p. 69-78 ; 135-142.

J. Stiglmayr a émis récemment l’hypothèse que Sévère pourrait être l’auteur des écrits du pseudo-Aréopagite, dont il est en effet le plus ancien témoin connu. J. Stiglmayr, Der sogenannte Dionysius Areopagita und Severus von Antiochien, dans Scholastik, t. iii, 1928, p. 1-27, 161-189 ; Umeine Ehrenrettung des Sauras von Antiochen, dans Scholastik, t. vii, 1932, p. 52-67. Cette hypothèse n’a pas trouvé grand crédit dans le monde savant : elle semble avoir été réfutée d’une manière définitive par J. Lebon, Le pseudo-Denys l’Aréopagite et Sévère d’Antioche, dans Rev. d’Hist. eccl., t. xxvi, 1930, p. 880, 915 ; Encore le pseudo-Denys l’Aréopagite et Sévère d’Antioche, ibid., t. xxviii, 1932, p. 296-313.

III. Doctrine. — Il est difficile d’exagérer l’importance du témoignage de Sévère comme représentant de la doctrine monophysite que l’on pourrait qualifier d’officielle, si une telle expression avait un sens précis. Non seulement Sévère est celui des anciens docteurs monophysites qui a le plus écrit : mais, au cours de son existence agitée, il a été regardé comme le porte-drapeau du monophysisme. Avec une égale ardeur, il a lutté contre les partisans du concile de Chalcédoine et contre les eutychiens tels que Sergius aussi bien que contre les aphthartodocètes qui suivaient Julien d’Halicarnasse. Il a fait profession de suivre toujours avec une exacte fidélité les enseignements de saint Cyrille d’Alexandrie et on ne saurait lui dénier une connaissance approfondie des œuvres du grand docteur : nous aurons à nous demander si, en effet, il est resté fidèle à son esprit.

Nous devons ajouter que Sévère d’Antioche fait figure d’un homme extrêmement versé dans la connaissance de l’Écriture et dans celle de la tradition patristique. Il ne cesse pas de puiser à cette double source le principe de toutes ses affirmations. Le Philalèthe est consacré à l’étude de deux cents passages de saint Cyrille que lui opposaient les chalcédoniens. Le troisième livre Contre Jean le Grammairien contient un florilège extrêmement riche, dans lequel figurent bien des textes nouveaux. Une telle érudition, rare en tout temps, est exceptionnelle au début du vie siècle.

Sans doute, on a accusé Sévère d’être un sophiste inconstant, de revêtir mille et mille formes : ces reproches figurent par exemple dans l’Epistola ad Timothæum scolasticum de duabus naturis adversus Severum, d’Eustathe le Moine. P. G., t. lxxxvi a, col. 913, 917, 929. Ce reproche n’est pas fondé. Il est vrai que la pensée du patriarche d’Antioche est parfois subtile, parce qu’elle s’exprime dans un vocabulaire qui a besoin d’être bien compris et qui n’est pas exactement celui de ses adversaires : mais elle reste très cohérente et très suivie.

Sévère confond d’abord dans un même sens les mots φύσις, ὑπόστασις, πρόσωπον. L’identification des deux premiers termes se rencontre chez lui à chaque instant ; mais il leur assimile aussi le troisième : « Quand l’union hypostatique qui est parfaite de deux (natures) est confessée, dit-il, il n’y a qu’un Christ sans mélange, une personne, une hypostase, une nature, celle du Verbe incarné (Epist. ad Sergium, Lebon, op. cit., p. 243). » Que si, au contraire, on divise par l’esprit le Christ en deux natures, on n’a pas seulement deux natures, mais aussi deux hypostases et deux personnes (Eustathe, op. cit., P. G., t. lxxxvi a, col.  908 A). Le sens qu’il donne à ces trois mots, même à celui de φύσις, est le sens d’individu concret, de sujet, de personne : φύσις n’est nullement l’équivalent d’οὐσία ; il s’oppose à οὐσία comme l’individu et le particulier au commun. Jésus-Christ n’a pas une seule nature ; il est une seule nature (Eustathe, op. cit., col. 908 D). Dire, comme les chalcédoniens, qu’il y a deux natures en Jésus-Christ, (est être nestorien, car c’est dire qu’il y a en lui deux personnes ; le nombre en effet suppose la séparation et les deux natures sont nécessairement deux personnes. Et quant à l’expression deux natures unies, c’est un non-sens, car deux natures unies ne sont pas deux, mais une seule nature, une φύσις n’étant telle qu’à la condition d’être καθ’ἑαυτήν. J. Tixeront, Histoire des dogmes, t. iii, p. 119.

Cela étant, dans l’exposé de la doctrine christologique, Sévère prend pour point de départ la φύσις du Verbe. C’est elle qui existe de toute éternité et qui, étant ἄσαρκος, va devenir σεσαρκωμένη. Il ne se produit pas, par le fait de changement dans la nature du Verbe : Jésus reste ce qu’il était auparavant, le même individu, la même personne. Quant à l’humanité assumée par le Verbe, elle est une véritable humanité complète ; faite d’un corps, qui est un véritable corps et non pas une apparence, et d’une âme raisonnable : ainsi Sévère s’oppose-t-il à la fois aux phantasiastes et aux apollinaristes. Sa doctrine est très ferme sur ce point : le Christ est consubstantiel à nous par son humanité, « Dieu le Verbe, dit-il, vertu ineffable du Père, comme le montre l’économie des mystères des écrits évangéliques, a couvert la Vierge de son ombre et d’elle et par la Vertu ineffable du Saint-Esprit, il s’est uni hypostatiquement à une chair animée d’âme raisonnable. » Synodique à Théodose d’Alexandrie, dans J.-B. Chabot, Documenta ad origines monophysitarum illustrandas, Paris, 1908, p. 18. Le Fils de Dieu c’est-à-dire son Verbe qui était avant tous les siècles, s’est incarné à la fin des temps, sans changement ni variation ; il s’est fait homme (par l’opération) du Saint-Esprit et de la mère de Dieu. Il s’est uni hypostatiquement une chair douée d’une âme raisonnable. » Contre Julien d’Halicarnasse, dans Mai, Spicilegium romanum, t. x, p. 172.

L’union du Verbe et de l’humanité est une union physique, une union κατὰ φύσιν ou καθ' ὑπόστασιν, dont le terme est une hypostase unique, une nature unique, celle du Verbe incarné. Sévère repousse avec autant de force la formule chalcédonienne des deux natures que l’union simplement morale des nestoriens, qu’on l’appelle adhésion, union d’affinité, participation à la dignité de Fils, etc. « Pour l’adhésion d’affinité, en effet, l’enfant existait d’abord par lui-même en sa personne et son hypostase ; et de même le Verbe qui a habité en lui apparaît en son hypostase et en sa personne propres. Il se fait une union d’affinité de deux personnes, par le seul lien de l’égalité du nom et de la dignité du Fils. Mais, pour l’union hypostatique et la composition naturelle qui convient à Dieu, parce que c’est dans l’union même que cette chair animée d’âme raisonnable, prise (par l’opération) de l’Esprit-Saint et de Marie, mère de Dieu et toujours vierge, a eu son être, et (parce que) elle n’a pas existé par elle-même avant l’union au Verbe, c’est le Verbe que l’on croit devenir enfant sans changement et sans conversion, tout en restant ce qu’il était. Ce qu’il a pris, il ne l’a ni changé, ni converti. Il s’est prêté à la croissance progressive, à la conception et à la génération parfaite. » Lettre à Sergius, citée par J. Lebon op. cit., p. 273.

Tout autant Sévère rejette le mélange et la confusion des eutychianistes. Il y a bien dans le Christ un élément humain et un élément divin, deux choses distinctes qu’il n’est pas possible de confondre. Les substances ne sont pas confondues, elles ne sont pas davan-