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RUPERT DE DEUTZ. L’EXÉGÈTE


blement que quelques aspects, et leurs superstructures laborieuses ne sont jamais aussi précieuses que le fondement posé par Jésus-Christ. In Apoc, t. VI, t. clxix, col. 1010-1011. Les Pères ont beau ajouter aux saintes Écritures les ornements de tous les arts libéraux, ils ne peuvent égaler la richesse du texte sacré. fussent-ils aussi savants que Jérôme et Augustin. De Trin., loc. cit., c. ix-xix. Et surtout ils n’ont pas la même autorité dans l’Église : les apôtres ont reçu « le calame des écrivains et la verge des maîtres. Il en est quelques-uns qui, par la suite, ont aussi reçu le calamc. mais pas la verge, c’est-à-dire la faculté d’écrire, mais sans la dignité du magistère, qui fait qu’aucun homme d’Église ne peut douter de leur moindre parole. C’est là le privilège des prophètes et des apôtres et évangélistes. ..En dehors d’eux tout ce qui se dira de différent dans la suite devra être supprimé ; cela n’aura plus aucune autorité… ut exceptis aposlolis, quodeumque aliud postea dicitur, abscindatur, nec habeat postea auctnritatem. » In Apoc, 1. VI. col. 1017. Voilà pourquoi Rupert fait si bon marché des opinions des Pères !

Comprendre l’Écriture n’est donc le monopole d’aucun Père de l’Église, ni même des savants : « Les simples peuvent en saisir facilement au moins le sens littéral et le sens moral : les mots qu’elle emploie r.e cachent pas de pièges… Par leur simplicité ce sont bien des écrits populaires que la multitude fidèle a vite fait de comprendre et qui ne sont obscurs que pour les indignes. » De glor. Trin., t. I, c. ni, col. 15. L’auteur va plus loin parfois et soutient que « le fidèle » peut lire à livre ouvert les mystères de l’Apocalypse : « Ce livre, c’est toute la sainte Écriture : le livre s’ouvre devant le prophète, parce qu’elle est rendue intelligible à l’homme fidèle, fideli viro, gralia Christi aperiente. » In Apoc, t. X, col. 1153. Ces prétentions imprudentes, rapprochées surtout des appréciations précédentes sur les Pères de l’Église, prennent des allures de libre examen ; Wiclefî et les protestants les ont entendues dans ce sens. Ils n’ont même pas eu à tronquer les citations ; car, il faut bien l’avouer, les affirmations de Rupert ne sont pas assez nuancées : c’est le fait d’un moine vivant dans un milieu fermé, d’un exégète qui n’est pas assez circonspect, et qui s’est acquis une certaine habileté et une grande réputation dans l’interprétation des Livres saints, où il prétend bien n’avoir de leçons à recevoir de personne.

Mais, en réalité, ce moine vivait dans la foi de l’Église et reconnaissait en elle la gardienne nécessaire et incorruptible des Livres saints ; car « les hérétiques ont pu lacérer la sainte Écriture et la déchirer en de mauvais sens ; mais ils n’ont pu scinder la sainte Église, ni la foi catholique déposée au cœur des fidèles. » In Joa., t. XIII, et In Apoc, . XI, col. 789 et 1170. C’est l’Église qui confère à son exégèse sa valeur, comme elle avait jadis autorisé les commentaires des grands docteurs, -i donc il écarte volontiers l’interprétation de tel docteur particulier, il n’aime pas qu’on lui dise qu’il s’éloigne de l’opinion commune des Pères. « Ce travail [sur le Cantique des Cantiques qu’il entendait de la sainte Vierge et non de l’Église], ce travail, que chaque lecteur le reçoive avec bienveillance ; il n’est pas, croyez-le, contraire aux anciens docteurs ; c’est simplement quelque chose qui s’ajoute à leurs exposés. » De glor. Trin., t. VII, c. xni, col. 155. Au contraire, le moine se réfère volontiers aux interprétations mystiques

« connues de tous ou presque tous les élèves de

la sainte Église : ainsi dans Abel il faut voirie Christ, et dans Caïn le peuple juif », De Victoria Vcrbi, 1. If, c. xx, col. 1259. Rupert est donc en définitive un commentateur catholique ; il interprète les Livres saints d’après la doctrine de l’Église ; mais il faut qu’il soit conduit par les textes — et ils sont rares surtout dans l’Ancien Testament — pour constater ces droits essen tiels de l’Église sur l’Écriture : « La sainte Écriture est l’œuvre de la foi ; c’est aussi la doctrine de la maison, la doctrine de l’Église, qui est la maison de Dieu » De glor. Trin., t. VII, c. vii, col. 148.

Mais, pour son compte personnel, fort de sa foi catholique, il s’enferme dans sa tour d’ivoire, seul avec le texte inspiré, et il croit bonnement interpréter l’Écriture d’après l’Écriture seule. Ses procédés favoris sont le texte, le contexte et les passages parallèles. « Cherchons la sagesse, consultons la sainte Écriture elle-même, hors de quoi on ne peut rien trouver, rien dire de solide ni de certain. » In Apoc, t. VIII, col. 1085 ; cf. col. 1493. « C’est une joie profonde de pouvoir appuyer un témoignage scripturaire de aliqua priore Scriplura. » De glor. Trin., t. IX, c. ni, col. 182. C’est d’ailleurs là une consigne divine : « Notre-Seigneur a bien fait de nous en prévenir : si vous ne labourez ce passage au moyen d’un autre passage scripturaire, vous n’en tirerez pas le vrai sens. » In Apoc, t. VIII, col. 1085.

Avec de pareils principes sur l’autosuffisance de l’Écriture, la tentation était grande pour l’exégète de rapprocher des textes qui n’ont entre eux qu’une similitude verbale. Rupert s’y laisse prendre parfois : El audivi angelum aquarum disait l’Apocalypse, xvi, 5.

« Quel est cet ange ? se demande-t-il. Quelles sont ces

eaux ? Ce sont les fidèles, car Isaïe a écrit : Aquæ ejus fidèles sunt ! » In Apoc, t. IX, col. 1118. Et voilà le passage expliqué ! En général cependant les rapprochements sont meilleurs. Loc. cit., col. 1077. « Rupert avait bien lu l’Écriture et la possédait tellement que, quelque sujet qu’il traite, il réunit tous les textes qui s’y rapportent. » Ilisl. lilt. de la France.

Que si un texte résiste à tout traitement par passages parallèles, il remonte aux anciennes versions et même au texte hébreu. Tout cela était conforme à ses principes et ne le faisait pas sortir de l’Écriture. En plus de la version latine de l’Ecclésiaste secundum hebraicam verilalem, que lui prêta le moine Grégoire et qu’il utilisa pour son commentaire, In Ecclesiasten, prol., il se réfère parfois aux traductions grecques de Symmaque, d’Aquila et de Théodotion, et cite une fois le Talmud pour le réfuter. De Trin., t. V, c. vii, t. clxvii, col. 332 et 335. Mais il utilisait sans doute ces sources juives dans des traductions, ou plutôt dans des citations de saint Jérôme ; car s’il connaissait assez bien le grec, De Trin., In lieg., t. III, c. xni, col. 1 15."), il se défiait de ses aptitudes en hébreu. Loc cil., P. L., t. clxvii, col. 427. Il cite quelquefois, mais presque toujours d’après saint Jérôme, la traduction des Septante, In Jud., c. v ; plus souvent il la critique. In Dcuteron., t. I, c. vi ; De glor. Trin., . III, c. xxii ; In Joa., 1. XIII ; De Victoria, t. XII, c. xxv, t. clxix, col. 73, 792 et 1482 : « Les Septante n’étaient pas des prophètes, mais des interprètes et souvent ils n’ont pas donné une traduction exacte… Pourquoi donc l’apôtre Paul s’est-il servi de cette version ? C’est parce que, chez les Grecs à qui il écrivait, elle était très répandue depuis le temps de Ptolémée Philadelphe, et que saint Paul aurait été importun et mal écouté s’il avait essayé de leur montrer que les Écritures étaient mal traduites. Il a préféré citer une phrase qui avait un sens édifiant plutôt que d’oiîenser des lecteurs prévenus en corrigeant leur édition. » Mais, il faut bien le dire, Rupert suit d’ordinaire servilement le texte de la Vulgate, ce qui ne facilite pas toujours ses efforts de concordance. In Joa., t. XIV, P. L., t. clxix, col. 799-800. Parfois il choisit parmi les diverses leçons de la Vulgate « celle des meilleurs manuscrits ». Loc. cit., col. 1119 et 1176. Enfin, il admet comme canonique,

« par l’autorité du concile de Nieée », Tobie et Esther ;

et, sur l’avis de son ami Cunon, il utilise les fragments deutéro-canoniques d’Esther. De divinis ojpciis, t. XII, c. xxv, et De Victoria, t. VIII, c. i, t. clxx, col. 331,