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SCHLEIEKMACHER. DOCTRINE


plique ici sur le panthéisme. On lui avait reproché d'être un simple disciple de Spinoza. Il s’en défend. Il semble que, pour lui, le panthéisme, étant une vue philosophique, ne saurait entrer dans la série des concepts religieux, puisque ceux-ci sont des concepts collectifs, ecclésiastiques, et non des concepts individuels ou philosophiques. Toutefois, il déclare que le panthéisme n’exclut pas la religion et qu’il peut fort bien s’unir à une forme de piété monothéiste. C’est que, dans son système, sur le sentiment fondamental de dépendance pure et simple peuvent se dresser des superstructures dogmatiques diverses, sans grand inconvénient, selon les tempéraments particuliers ou selon les vues individuelles de l’esprit.

Essence du christianisme.

L’essence de cette

forme supérieure du monothéisme qu’est le christianisme, c’est l’idée de rédemption par le Christ. Mais qu’est-ce que le Christ pour Sehleiermacher ? Et dans quel sens admet-il une rédemption par Jésus-Christ ? .Maintes fois, il s’est expliqué sur ce point, non seulement dans son grand ouvrage sur La foi chrétienne, que nous analysons, mais déjà dans les Iieden, et aussi dans de nombreuses leçons sur la vie de Jésus, qui furent réunies par de fervents disciples et publiées, en 1864, sous forme de Vie de Jésus par Sehleiermacher, à la grande déception du reste du public qui les lut, trente ans après la mort de l’auteur.

Pour rester ici aussi près que possible de la pensée du théologien protestant et aussi pour donner une idée exacte de sa manière, nous citerons un passage suggestif des Reden (édition de 1821) :

Quand je considère, dans les descriptions fragmentaires de sa vie, la sainte figure de celui qui est le créateur sublime de ce qu’il y a de plus splendide (herrlichsten) jusqu’ici en matière de religion, ce que j’admire, ce n’est pas la pureté de sa morale, car il n’a fait qu’exprimer ce que tous les hommes parvenus à la conscience de leur nature spirituelle ont de commun avec lui et ni l’expression ni la priorité ne peuvent donner à cela une plus grande valeur ; ce que j’admire ce n’est pas l’originalité de son caractère, le mariage intime d’une haute force et d’une émouvante douceur, car tout cœur élevé doit manifester, dans une situation particulière, un grand caractère, avec des traits définis et tout cela après tout est encore de l’humain seulement ; mais le vraiment divin est la clarté magnifique avec laquelle la grande Idée qu’il était venu exposer se dégageait dans son âme : l’idée que tout ce qui est fini a besoin d’une médiation supérieure pour se rattacher au divin et que pour l’homme pris en tant que fini et particulier, à qui le divin ne se représente que trop facilement sous la même forme, il n’est de salut que dans la rédemption. C’est une vaine témérité que d’essayer d'écarter le voile qui recouvre et doit recouvrir l’apparition en lui de cette idée, car tout commencement, aussi dans la religion, est mystérieux. La criminelle curiosité qui l’a tenté ne pouvait que falsifier le divin, comme s’il était parti de la vieille idée de son peuple, dont il ne voulait que proclamer l’anéantissement et dont, en fait, il a parlé sous une forme trop glorieuse quand il a dit qu’il était celui qu’ils attendaient. Qu’on nous laisse seulement méditer la vivante sympathie pour le monde spirituel qui remplissait toute son âme, telle que nous la trouvons exprimée par lui a la perfection. Si tout ce qui est fini a besoin d’une médiation d’un être plus élevé, pour ne pas toujours s'éloigner davantage de l'éternel et se disperser dans le vide et dans le néant, pour maintenir son union avec le Tout (nul dem Ganzen) et parvenir à la conscience de cette union, le médiateur luimême, pour ne pas avoir besoin à son tour de médiation, ne peut absolument pas être simplement fini ; il doit appartenir aux deux, il doit être participant de l'Être divin, dans la même mesure et dans le même sens qu’il est participant de la nature finie. Que voyait-il autour de lui si ce n’est du fini et nécessitant une médiation, et on se trouvait-il donc un organe de médiation en dehors de lui ? « Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui il veut le révéler. » Cette conscience de l'éternité de sa science de Dieu et de son être en Dieu, de l’originalité de la façon dont cela était en lui et de la force qu’il avait de le communiquer et de susciter une religion, était en même temps la conscience de sa

mission de médiateur et de sa divinité. Quand il se trouva placé, sans espoir de pouvoir vivre plus longtemps, je ne dis pus en face de la brutale puissance de ses ennemis, car ce serait inexprimablement trop faible ; mais quand, abandonné, menacé d’un éternel étouffement de sa pensée, sans avoir pu réaliser aucune institution de société extérieure entre les siens, en face de la solennelle magnificence de la vieille constitution corrompue, qui se dressait contre lui dans sa force et sa puissance, entourée de tout ce que le respect et la soumission peuvent lui accorder de prestige, de tout ce que lui-même depuis son enfance avait été instruit à honorer, et lui-même soutenu uniquement par ce sentiment, il répondit sans hésiter ce oui qui est la plus grande parole que jamais mortel ait prononcée ; alors ce fut la plus éclatante apothéose et nulle divinité ne peut être plus certaine que celle qu’il s’attribuait de la sorte.

Tel est le genre : un langage que traverse une secrète émotion, de longues phrases, un peu enchevêtrées, mais savamment construites, une pensée fuyante et flottante que l’on a peine à dégager, des prétentions calculées, des affirmations prudemment dosées. Mais quand on serre tout cela de près, que reste-t-il ? Pour ce théologien protestant, il ne faut retenir des évangiles ni l’enseignement moral, ni les miracles qui attestent la divinité de la mission de Jésus, ni l’accomplissement des prophéties messianiques. Une seule chose importe à Sehleiermacher : le contenu de la sensibilité du Christ. Alors que le contenu de la nôtre se ramène au sentiment de dépendance pur et simple, il se traduit en Jésus par la conscience de son unité avec Dieu, parla certitude sentimentale de sa mission de médiateur entre les hommes, ses frères, et Dieu le Père. Pour le dire en passant, Sehleiermacher imitant Luther pour qui les textes étaient d’autant plus « évangéliques » qu’il y trouvait davantage son dogme favori : la justification par la foi seule sans les œuvres, met l'évangile de saint Jean très au-dessus des Synoptiques, au point de vue de la valeur historique, parce que la conscience de Jésus d'être le médiateur et le rédempteur s’y exprime en termes beaucoup plus forts et plus nets. C’est là en effet qu’il est dit : « Je suis la Voie, la Vérité et la Nie > et « Personne ne vient à mon Père si ce n’est par moi ! » Mais Jésus est-il Dieu ? Question oiseuse pour notre auteur : la divinité de Jésus, c’est la conscience qu’il en a. Cette conscience établit entre lui et nous une différence d’espèce et non seulement de degré. Jésus est une apparition réalisée par le Dieu éternel dans le monde. Toutefois, parce que l’action éternelle ne saurait s’insérer dans le temps, il faut comprendre que l’humanité avait été créée avec la force intime de produire, le long de sa ligne d'évolution, une telle apparition. Celle-ci peut donc, à volonté, être considérée comme la révélation surnaturelle d’une force entièrement neuve, ou comme le résultat de l'évolution naturelle. Nature et surnature ne sont que deux traductions du même fait.

Il reste que, dans Jésus, ni les miracles, ni la doctrine, ni la résurrection, ni l’ascension ne sauraient avoir plus d’importance que la soi-disant conception virginale dont on ne saurait apporter aucune preuve. Le Christ vaut par sa personne seule et, dans cette personne, le noyau essentiel est la conscience de sa mission rédemptrice.

5° Rédemption. Péché et grâce. — Mais en quoi consiste donc cette rédemption qui est l’essence du christianisme ? Pour le comprendre, il faut savoir ce que c’est que le péché et la grâce, selon Sehleiermacher. C’est la seconde partie de sa doctrine de la Foi chrétienne. Précisons avant tout que, pour lui, le Christ ne pouvait agir sur Dieu. Sa rédemption ne sera donc qu’une action sur l’homme. En d’autres termes, il ne nous a pas rachetés en apaisant Dieu par son sang, par le sacrifice de la croix. Sa mort n’a eu d’autre valeur que l’affirmation de la puissance en lui de la conscience de sa mission divine. Sa mort l’a mis en face des puis-