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SCHISME D’OCCIDENT. SES RÉPERCUSSIONS


toute la hiérarchie venait à disparaître. Le Christ l’a établie comme l’autre, puisqu’il a choisi des apôtres et mis Pierre à leur tête ; mais ce n’est pas à elle qu’il a accordé le privilège de l’infaillibilité et de l’indéfectibilité, c’est pourquoi Anastase II a pu tomber dans l’hérésie et Marcellin dans l’idolâtrie. L'Église universelle, dont le concile général est la représentation, est donc supérieure au collège des cardinaux, et même, dans certains cas, au pape. Universalis Ecclesia, cujus concilium générale est rcprœsentativum, est superior collegio cardinalium, et omni cujuscumque dignilatis et præsirfentiæ personæ, ctiam domino papse, in casibus inferius ezprimendis. H. de Langenstein, Consilium pacis, col. 824.

La compétence du concile sur le pape hérétique était admise depuis longtemps par le droit canonique. Voir l’article Infaillibilité du pape, t. vii, col. 1714 sq. Forts de la théorie qui vient d'être résumée, Conrad et Henri crurent pouvoir l'étendre à tous les cas où l’exigerait le bien supérieur de l'Église universelle. C’est à titre de commissaires de l'Église, poursuivaient-ils, que les cardinaux, dans la législation actuelle, élisent les papes ; donc, dans le doute sur la licéité ou la validité d’une élection, on pourra, on devra même recourir au concile général, à défaut d’autre moyen de rendre à l'Église l’unité et la paix. Il est vrai que, régulièrement, le concile général ne peut être convoqué que par l’autorité du pape, mais parfois nécessité fait loi, et alors vouloir sacrifier à la stricte observation du droit canonique le bien commun de l’ensemble des fidèles serait aller contre l’intention même du législateur. Conceditur quod communiler et regulariler verum est quod sine auctoritale papæ concilium convocari non débet. Verumtamen, ingruente necessilate singulari, quæ frangit legem, et etiam in multiplici casu possibili, potest et débet ficri concilium générale sine auctoritate papas… ad tractandum de bono communi totius universitatis fidelium. Op. cit., col. 830. Ainsi en est-il dans l’extrême nécessité où se trouve actuellement l'Église. Maie igitur epikeisant, qui in præscnti communi summa necessilate universalis Ecclesiæ, volunt omnia jura posiliua de concilia congregando nonnisi auctoritate papse, priecise ad lilteram servari ; impedientes, contra intenlionem corum qui canones constituerunt. viam pacis et salutis. Op cit., col. 831.

Cette théorie de Conrad de Gelnhausen et d’Henri de Langenstein se retrouve, avec des nuances diverses, chez Pierre d’Ailly, Gerson, Zabarella, Thierry de Niem et fournit l’explication de leur attitude au cours des débats relatifs au schisme.

Gerson considère Marsile de Padoue comme hérétique parce qu’il ne croit pas que le Christ a institué immuablement une Église monarchique, De auferibililale papæ ab Ecclesia, col. 213, et déclare même « de droit divin » la règle d’après laquelle le concile général ne doit pas être célébré sans l’approbation du pape. Il n’en estime pas moins que cette règle souffre exception, parce qu’elle doit être interprétée selon la fin des lois, non seulement humaines, mais divines, qui est l’amour (dilectio) générateur d’unité. Le concile, qui semble acéphale sans le pape, s’appuiera alors sur l’autorité du Christ, sa tête et son époux indéfectible. Op. cit., col. 215. Gerson fait grand état de l’idée que le pouvoir papal appartient, bien que de manières différentes, à l'Église et au pape, et leur a été donné ad œdificationem Ecclesiæ, non ad destructionem. Op. cit., col. 217-218. Il en conclut que le pape peut être déposé « même sans faute de sa part, quoique non sans raison », par exemple quand on ne peut acquérir une certitude suffisante sur la valeur canonique d’une élection, ou quand un pape régulièrement élu après s'être engagé par serment ou par vœu à abdiquer diffère de s’exécuter, au grand scandale des fidèles. Op. cit., col. 222-223.

Pierre d’Ailly, de son côté, admet que le pape, nonobstant la plenitudo potestatis qu’il possède, peut I être soumis au jugement du concile général « non seulement dans le cas où il serait accusé d’hérésie proprement dite, mais même dans certains autres cas qui pourraient de quelque manière se ramener à l’hérésie entendue au sens large, ut ratione obslinationis et incorrigibilitatis in crimine. De Ecclesiæ, concilii generalis et summi pontificis auctoritate, col. 951. Il ajoute qu’on peut en appeler du pape au concile in casibus Ecclesiæ destructionem tanqentibus. Op. cit., col. 959.

Le cardinal italien François Zabarella professe des idées analogues. Le pouvoir, dit-il, est dans l'Église universelle tanquam in fundamento, et dans le pape tanquam in principali minislro ; l’intérêt de l'Église peut donc autoriser le concile à exiger l’abdication des deux papes dont la présence simultanée brise son unité. L’initiative de convoquer cette assemblée pourra être prise par l’empereur. De jurisdictione imperiali et potestate ccclesiastica, p. 706.

Dans un traité qui figure à tort parmi les œuvres de Gerson, le De modis uniendi et reformandi Ecclesiam in concilio generali, l’allemand Thierry de Niem pousse plus loin les conséquences de la distinction entre « l'Église catholique universelle » et « l'Église apostolique ». Non content d’admettre le principe aristotélicien de Vépikie pour interpréter les lois selon l’esprit du législateur, il s’en prend aux auteurs mêmes du droit canonique, qu’il accuse de fraude et d’usurpation de droits. A son sens, dans le corps mystique de l'Église universelle, il faut déposer plus vite un mauvais pape que tout autre prélat, parce qu’il est plus nuisible. Op. cit., édit. Heimpel, p. 17-18.

Les préférences de la France pour le recours à la voie de cession retardèrent l’application des principes nouveaux professés dès 1380 par Conrad de Gelnhausen. Le concile de Pise n’eut pas à s’appuyer sur eux pour déposer Grégoire XII et Benoît XIII, puisqu’il n’eut recours qu'à l’accusation d’hérésie ; mais ils trouvèrent leur application à Constance, sous l’influence de Pierre d’Ailly, de Gerson et de Zabarella. Dans sa iv c et sa ve session, le concile déclara qu’il tenait son autorité immédiatement de Dieu et que le pape même était obligé de lui obéir, en tout ce qui regardait la foi, l’extirpation du schisme et la réformation de l'Église tant dans le chef que dans les membres. Voir Constance (Concile de), t. iii, col. 1206-1208, et 1220-1223. De fait, le décret de déposition de Jean XXIII qu’il prit dans sa xii c session ne parle ni d’hérésie, ni d’erreur dans la foi (ibid., col. 1208) ; ce dont Gerson s’empressera de conclure : Concilium gênerait sic est supra papam et alium quemlibel de Ecclesia, quod ipsum papam poleil deponerc pro quoeumque crimine, de quo notoric et incorrigibiliter scandali : at Ecclesiam. Sermo super processionibus pro viagio régis Romanorum ad Pelrum de Luna, col. 278.

Née sous la pression des circonstances, cette doctrine de la supériorité du concile sur le pape survivra au rétablissement de l’unité par l'élection de Martin V ; elle donnera naissance à un long conflit entre le pape universellement reconnu et le concile convoqué par lui ; voir Baue (Concile de) : et par la suite elle deviendra, en France, un des éléments du gallicanisme Y. Mari iii, art. cit., p. 426.

I. Sources.

De nombreuses sources pour l’histoire du Grand Schisme ont été mentionnées dans ce Dictionnaire, a la suite des articles consacrés aux divers papes de R : >me, d’Avignon et de Pise : Alexandre V, Boniface IX, Grégoire XII, Innocent VII, , Iean XXIII, Martin V, Pierre de Luna (Benoît XIII). On en trouvera d’autres après les articles sur les conciles de Constance et de Pise, et après les notices sur des personnages tels que Ailly (Pierre d'), Cramaud (Simon de), Gerson, Jean Courtf.cctssi,