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SCHISME D’OCCIDENT. SES RÉPERCUSSIONS


mission à leur évoque ou à leur curé et de tout recours à leur ministère. Affirmer qu’un tel n’est point pape, disaient-ils, c’est tomber dans l’hérésie ; adhérer à tel parti ou rester neutre, c’est se vouer à la damnation ou encourir l’excommunication ; dans telle obédience, les ordinations sont invalides, les sacrements inefficaces, les enfants non baptisés, les hosties non consacrées. De fait, nous savons qu'à Bruges les urbanistes refusaient d’assister à la messe des prêtres clémentins et que, plutôt que de communier de leur main, ils allaient faire leurs Pâques à Gand. Chronica Juhannis Brandon, édit. Kervyn de Lettenhove, p. 20. C’est pour tranquilliser les consciences flamandes que Gerson composa son traité De modo se habendi tempore. schismalis, dans Opéra, édit. Du Pin, t. ii, col. 3-7 ; mais on peut affirmer sans crainte de se tromper que ce qui s’est passé en Flandre a dû se produire aussi en d’autres régions.

L’accroissement d’influence des puissances séculières dans i Église.

L’affaiblissement de la papauté

ne pouvait que profiter au pouvoir séculier. Durant le schisme, le champ d’action de chaque pape a toujours dépendu, pour une large part, de l’adhésion des rois et des princes. Les synodes ou les conciles nationaux pouvaient formuler des avis ; pratiquement, le pouvoir séculier décidait et son attitude devenait, dans l’ensemble, celle du clergé et des fidèles qui dépendaient de lui. Les papes, pour s’attacher leurs protecteurs, furent amenés à multiplier à leur égard les avances et les faveurs, c’est-à-dire souvent à abdiquer à leur profit une partie de leurs droits personnels ou de ceux de l'Église, soit en matière financière, soit au sujet de la collation des bénéfices.

Le rôle du pouvoir séculier se trouva singulièrement accru en France du fait de la soustraction d’obédience. A défaut d’un pouvoir ecclésiastique central, il fallut improviser une foule de réglementations nouvelles pour assurer la vie de l'Église dans le royaume. Tout cela se fit sous l'égide du roi et ne contribua pas peu sinon à promouvoir du moins à développer l’idée des « franchises » ou des « libertés » de l'Église gallicane. En Allemagne, l’intervention souverainement brutale de l’empereur Sigismond au concile de Constance parut devoir éclipser pour longtemps la suprématie du pouvoir des papes. Il semble indéniable, en tous cas, que l’action des puissances séculières devant la papauté divisée ait amorcé un mouvement décentralisateur et favorisé l’idée d’une subdivision de la chrétienté en Eglises nationales ; d’autant que, précisément à l'époque du schisme, on voit les nationalités prendre plus nettement conscience d’elles-mêmes et s’affirmer jusque dans le mode de votation adopté à Constance.

L’intrusion des universités dans la politique.


Un autre fait remarquable est le rôle joué par les universités à l’occasion du schisme. La plus noble de toutes, celle de Paris, après quelques efforts pour se cantonner dans sa haute mission intellectuelle, se laissa entraîner sous la pression de Charles VI à se jeter dans la lutte. Depuis le moment où, toutes facultés réunies, elle prit position pour Clément VII, elle délibéra sur ce qu’il convenait d’entreprendre ou d’omettre, présenta des avis au roi et à la cour, se fit représenter dans les ambassades envoyées à Rome et à Avignon, en Angleterre ou en Allemagne ; bref, elle se crut la mission de guider les pontifes et les princes dans les voies qui devaient ramener la paix. Elle fut la première victime de ses ambitions, car la politique produisit dans son sein d’irréparables déchirements : beaucoup de maîtres et d'étudiants étrangers, allemands, flamands ou anglais, restés fidèles à Urbain, la quittèrent sans esprit de retour, et de la grande débâcle de 1381-1383 datera son déclin comme capitale intellectuelle de la chrétienté.

Dans l’Empire, les universités de Heidelberg et de Cologne naissent à la faveur du schisme (1386 et 1389). Créées par Urbain, développées par Boniface, elles accueillent avec empressement des maîtres échappés de Paris, comme Conrad de Gelnhausen et Gérard de Kalkar, et organisent dans la vallée du Rhin la résistance à la politique française. Un autre professeur célèbre, venu des rives de la Seine, Henri de Langenstein, appelé à Vienne par l’archiduc Albert III, inaugure dans cette ville la faculté de théologie érigée par Urbain le 20 février 1384. Prague va jusqu'à rêver d’obtenir du pape de Rome le transfert de l’université parisienne aux bords de la Moldau. En Angleterre, Oxford incarne le sentiment anglais et fait échouer par son opposition les tentatives de rapprochement de Richard II avec la France. En Italie, Bologne et Padoue mettent leurs juristes à la disposition des villes et des petits princes dont la politique varie souvent au gré des événements. Dans l’ensemble, les universités suivaient à la fois le désir des autorités séculières dont elles dépendaient et l’intérêt qui portait leurs membres à adhérer au pape dont elles pouvaient espérer recevoir efficacement des bénéfices.

Étrangère à leur fonction propre, l’activité politique des universités ne fut pas seulement nuisible au progrès du savoir, elle contribua à les déconsidérer en les opposant les unes aux autres en de mesquines querelles. On comprend mal que Clément VII ait prétendu suspendre à l’université de Prague l’enseignement et la collation des grades, N. Valois, op. cit., t. t, p. 291 ; on comprend moins encore l’université de Heidelberg demandant à Urbain une mesure semblable contre celle de Paris, et ses maîtres refusant d’admettre sur le pied d'égalité dans leur corporation certains collègues venus de France, parce que ceux-ci avaient été promus sous un chancelier « schismatique ». G. Ritter, Die Hcidelberger Universitât, Heidelberg, 1936, t. i, p. 260.

6° La remise en question de la notion d'Église. — La situation créée par le Grand Schisme était sans précédent. La recherche des moyens propres à y mettre fin devait provoquer la critique de certaines idées communément reçues et faire surgir des problèmes relatifs à la constitution même de l'Église. Le recours aux textes canoniques s’avérant insuffisants, il fallut bien tenir compte des nécessités pratiques et tenter de justifier par des explications nouvelles les démarches qui semblaient s’imposer si l’on voulait aboutir.

La première solution qui se présenta aux esprits réfléchis fut celle du recours au concile général. Mais comment la réaliser dans la situation présente, si un concile général ne peut être convoqué que par le pape et tient de lui son autorité? C’est pour résoudre cette difficulté que deux théologiens, alors professeurs à l’université de Paris, élaborèrent une théorie nouvelle de l'Église. Conrad de Gelnhausen l’exposa en 1380 au roi Charles V, dans son Epislola concordiæ ; et l’année suivante Henri de Langenstein la fit connaître au grand public, dans son Consilium pacis de unione ac reformatione Lcclrsix in consilio unioersali quærendu, appelé plus brièvement Epislola concorda pacis.

S’inspirant largement d’Occam, ces théologiens établissaient une distinction entre l'Église universelle et l'Église romaine. La véritable Église, disaient-ils, est l'Église universelle qui réside dans l’ensemble des fidèles répandus dans le monde ; épouse sans tache du Christ, elle est infaillible et indéfectible ; fût-elle réduite à un seul homme ou à une seule femme, son chef, le Christ, ne lui manquera jamais. L'Église romaine, qui comprend le pape, vicaire du Christ, et la hiérarchie ecclésiastique, fait partie cle l'Église universelle, mais ne lui est pas Indispensable, puisque celle-ci subsiste en cas de vacance de la papauté et demeurerait, même si