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SCHISME BYZANTIN ET CONCILE ŒCUMÉNIQUE

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[idole, est l’unique marque visible à laquelle nous puissions reconnaître qu’un concile est œcuménique et, par conséquent, infaillible, il suit de là que le corps épiscopal considéré en lui-même indépendamment de la masse des fidèles n’est pas le véritable sujet de l’infaillibilité. Ce sujet, c’est le corps de l'Église pris dans sa totalité ; c’est même, avant tout, le peuple fidèle pris à part du collège des évêques.

C’est bien jusqu'à cette conception extrême qui voit dans le peuple fidèle le véritable sujet de l’infaillibilité ecclésiastique, qu’en arrivent la plupart des théologiens gréco-russes contemporains. Nous trouvons les premières traces de cette théorie chez les théologiens russes protestantisants du xviii c siècle. L’un d’entre eux, Théophylacte Gorskij, écrit, par exemple : « Dans les conciles se réunissent les docteurs et les délégués de l'Église, à qui toute la communauté des croyants a confié le pouvoir d’examiner et de trancher les points douteux et controversés et d’en donner une interprétation officielle. » Orienlalis Ecclesiæ dogmala seu doctrina cliristiana de credendis, 3° éd., Moscou, 1831, p. 277. Elle apparaît ensuite dans un document officiel où l’on ne s’attendrait pas à la rencontrer, à savoir dans l’encyclique des quatre patriarches d’Orient écrite en 1848 en réponse à l’encyclique que leur avait adressée le pape Pie IX pour les inviter à l’union. On lit textuellement dans cette pièce le passage suivant : « Chez nous, ni les patriarches ni les synodes n’ont jamais réussi à introduire des nouveautés, parce que le défenseur de la religion est le corps même de l'Église 81.6x1 ô Û7repaa7ïicj-r7)ç ttjç OpvjCTXEÎaç scrùv ocùto to aôJjjLa -r7)ç 'ExxXKjaiaç, c’est-à-dire le peuple lui-même, qui veut que sa religion reste immuable à jamais et conforme à la tradition de ses pères. De cette disposition du peuple orthodoxe plusieurs papes et plusieurs patriarches latinophrones, depuis le schisme, ont fait l’expérience et n’ont abouti à rien dans leurs tentatives. » Mansi-Petit, Concil., t. xl, col. 407.

Alexis Khomiakov fut heureux de saisir ce témoignage pour donner du poids à sa nouvelle théorie de l'Église égalitairc et communiste. D’après lui, la distinction classique entre Église enseignante et Église enseignée est à rejeter. Le charisme de l’infaillibilité, qui a pour condition sine qua non la sainteté, n’appartient pas à un seul homme ou à un petit groupe. C’est le patrimoine commun de tous les membres de l'Église, le bien de la communauté. Tout fidèle est à la fois un enseignant et un disciple. Les évêques réunis en concile œcuménique ne jouissent pas, par eux-mêmes, du privilège de l’infaillibilité. Leurs décrets ne s’avèrent infaillibles que s’ils sont approuvés par le peuple chrétien. L’Eglise latine et le protestantisme au point de vue de V Église d’Orient, Lausanne, 1872, p. 62.

La théologie de Khomiakov, malgré son opposition llagrante aux thèses communes des manuels classiques, a eu. en Russie, un succès incroyable. La plupart des théologiens russes contemporains l’ont adoptée en lui faisant subir quelques légères retouches. Les évêques réunis en concile ne sont que les légats et les mandataires de l'Église universelle. Leur rôle est simplement de déclarer et de manifester ce que celle-ci porte dans sa conscience depuis toujours. Cf. Alexandre Lebedev, De lu primauté du pape, éd. de Pétersbourg, 1904, p. 37, 69-72. Aussi un concile ne devient œcuménique que par l’acceptation du peuple chrétien.

Cette théorie a, pour les théologiens gréco-russes, un réel avantage apologétique et polémique. Elle leur fournit une réponse à l’objection que leur font les catholiques relativement aux conciles unionistes de Constant inople (869-870), huitième œcuménique, de Lyon (1274) et surtout de Florence (1439). Les dissi dents, en effet, n’ont aucune raison sérieuse à faire

valoir contre l'œcuménicité du premier et du troisième de ces conciles. Les formes anciennes y furent observées. La quasi-unanimité des prélats orientaux en accepta et en souscrivit les décisions. Pour se débarrasser de cette difficulté, il n’y a qu’une issue : déclarer qu’un concile n’est valable et œcuménique que s’il est accepté par le peuple chrétien. Mais cette solution revient à dire que c’est le peuple chrétien qui est le sujet et le véritable détenteur du privilège de l’infaillibilité. Or, cette thèse fut unaniment rejetée au xvir 3 siècle dans les confessions de foi officielles de Moghila et de Dosithée. Elle est réprouvée comme une hérésie contraire à la véritable orthodoxie par la plupart des manuels de théologie qui étaient naguère en usage en Russie et en Grèce et le sont encore en plusieurs Églises autocéphales. Ces manuels maintiennent la distinction entre Église enseignante et Église enseignée et attribuent le privilège de l’infaillibilité au seul collège des évêques réunis en concile œcuménique ou même — ceci est l’avis de quelques-uns — dispersés dans leurs diocèses. Il est vrai que certains auteurs de manuels parmi les plus récents cherchent à combiner les deux conceptions divergentes pour profiter des avantages de chacune d’elles. Le véritable sujet de l’infaillibilité, disent-ils, est bien le corps épiscopal réuni en concile général. Mais cette infaillibilité n’est manifestée que par l’acceptation subséquente du clergé inférieur et des fidèles. A ces théologiens il faut demander comment ils expliquent l'œcuménicité du concile de Chalcédoine, qui fut rejeté par de nombreux prélats et par de populeuses provinces ecclésiastiques. La seule position logique est celle qu’exprime le Russe N.-A. Mouraviev : « Ils se trompent du tout au tout, dit ce théologien, ceux qui prétendent que, pour posséder une autorité œcuménique, les décrets d’un concile général ont besoin d'être acceptés par le synode local de chacune des Églises particulières, ou de recevoir une confirmation spéciale du pape. A quoi bon, en effet, réunir un concile œcuménique, si ses décrets doivent ensuite être soumis à l’examen et à la censure d’un nouveau tribunal ? Mais cela n’est pas. Le jugement définitif sur les questions de foi et de discipline a toujours été prononcé au sein du concile lui-même ; sans quoi les Pères n’auraient pas pu dire : « Il a plu au Saint « Esprit et à nous. » Les décrets conciliaires ont toujours été promulgués comme immuables et comme obligatoires pour toutes les Églises, sans excepter l'Église romaine. « Lettre sur l’autorité des conciles œcuméniques, dans la revue Suppléments aux œuvres des saints Pères (en russe), t. xvii, 1858, p. 508. Mouraviev oublie seulement de signaler que le véritable critère de l'œcuménicité d’un concile pour l'Église des huit premiers siècles fut toujours la participation ou l’acceptation de l'évêque de Rome.

On ne saurait trop insister sur la gravité du conflit qui divise aujourd’hui les théologiens gréco-russes touchant le sujet de l’infaillibilité. Cette gravité s’est manifestée au grand jour au sein du premier cou de théologie orthodoxe, qui s’est tenu à Athènes du 29 novembre au 3 décembre 1936. Les deux thèses rivales, celle des confessions de foi du XVIIe siècle et celle de l'école de Khomiakov, s’y sont heurtées de front. Les théologiens russes, parmi lesquels se distinguaient ceux de l'école théologique de Paris, Serge Bulgakov et (1. Florovskij, y ont exposé et défendu l’opinion de Khomiakov contre les attaques de l’archimandrite roumain Scriban, partisan de la doctrine traditionnelle. Les Russes ont soutenu jusqu’au bout que c’est le peuple qui juge en définitive de la véracité des décisions d’un concile, et ils oui habilement mis en avant le cas du concile de Florence. Le scandale parmi certains auditeurs n’a pas été