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ROUSSEAU. INFLUENCE


Dieu sans les cérémonies, « en esprit et en vérité », Contrat social, toc. cit.

Quant à la religion du citoyen, « la religion civile », ses dogmes, on l’a vu plus haut, col. 113, sont les dogmes de la religion naturelle. Ibid., p. 331.

4. Les idées politiques de Rousseau et la doctrine catholique. — a) « Puisqu' aucun homme n’a aucune autorité naturelle sur son semblable et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conven tions pour base de toute autorite légitime parmi les hommes. » Contrat social, t. I, c. iv, p. 115. — Or. dans l’encyclique liiuturnum (29 juin 1881), Léon XIII condamne et réfute les doctrines qui prétendent faire d’un contrat l’origine ce n'ère de l’autorité politique : toute autorité vient de Dieu. Il est vrai que plus haut, p. 114, Rousseau écrit : « Toute puissance vient de Dieu ; mais toute maladie en vient aussi. »

b) La puissance absolue du peuple. « Le pacte social donne un pouvoir absolu au corps politique sur tous ses membres. » Loc. c/7., 1. II.c.iv, p. 154. Même en admettant que ce pouvoir se limite à ce qui intéresse la communauté et sans tenir compte de ce que le souverain lui-même détermine cet objet, cette thèse est contraire au droit souverain de Dieu. Cf. Syllabus, § 6, Erreurs relatives à la société civile, xxxix.

c) La loi, expression de la volonté générale, ne peut être injuste, « puisque nul n’est injuste envers luimême ». Contrat social, t. II, c. vi, p. 169. Mais il y a un droit naturel, une justice éternelle, à laquelle la loi est obligée de se conformer.

d) Il y a une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles. Or, le Syllabus, loc. cit., xliv, condamne cette proposition : « Le souverain a un droit absolu sur la religion des citoyens. »

e) L’indifférentisme que marque la condamnai ion de la formule « Hors de l'Églis point de salut », Contrat social, p. 332 : le conseil de rester dans la religion de ses pères, Profession de foi, p. 190 et n. 1, p. 195 et 196, d’estimer bonnes toutes les religions. Contrat. p. 417, et la théorie de leur relativité, ibid.. passim, e en particulier, § 5, Les grandes religions européennes.

I) L’affirmation que « le christianisme romain » s’oppose à l’unité, au bon ordre et au bien-être des nations. Or le Syllabus, loc. cit., XL, condamne cette proposition : « La doctrine de l'Église catholique est opposée au bien et aux intérêts de la société humaine. »

g) Rousseau a des formules dont peut s’autoriser le marxisme. Ainsi, quand il demande « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à la communauté ». Contrat social, p. 127.

5. La morale de Jean-Jacques.

Rousseau a passé devant ses contemporains pour un moraliste et pour un réformateur des mœurs. Il se place en clîet, on l’a vii, au point de vue moral. Mais quelle règle morale proposait-il ? Il rêvait de consacrer à la question un livre qu’il eût appelé Morale sensilive ; cf. P. Trahard, Les maîtres de la sensibilité française au ZVIIIe siècle. 4 vol. in-8°, Paris, s. d. (1932), t. iii, p. 230 ; d’ailleurs ses idées morales ressortent de la Nouvelle Hélcïse, de V Emile, des Rêveries, 4e promenade. A leur base est évidemment son postulat : « L’homme naît bon ; c’est la société qui le déprave. »

Théoriquement, l’homme n’a qu'à suivre 'a Nature, par où il rentre dans l’ordre provident tel. Or la N’ai lire donne comme but à la vie le bonheur. Pour atteindre ce but l’homme n’a pas à s’inspirer d’une règle morale surnaturelle ou basée sur une démonstration métaphysique, mais à écouter son cœur, sa conscience, voix infaillible et sans appel de la Nature. Par là, il aura la perception directe du bien et du mal. » Les vrais penchants de la Nature étant tous bons » et « tous les premiers mouvements de la Nature étant bons et

droits », Dialogues, t. iv, p. 5 et 4, l’homme n’a pas à combattre ses passions ; ce sont des principes d’action. Or, ses deux tendances générales sont l’amour de soi et la sympathie qui le prédispose à ses devoirs envers ses semblables : justice et bonté. Qu’il obéisse à ses penchants et la inorale est satisfaite et le bonheur assuré : « Sois juste et tu seras heureux. »

Pratiquement, les choses ne sont pas aussi faciles et l’homme doit d’abord veiller à ce que sa conscience ne soit pas faussée par les préjugés de la société, qu’elle soit maintenue dans l'état même où la veut la Nature ; il doit faire appel à la vertu, c’est-à-dire à l’effort et à la lutte contre ses [lissions, devenues également, par l’influence du milieu social, de forces bienfaisantes qu’elles étaient, des forces qui le détournent de la justice et de la bonté : ainsi l’amour de soi devenu l’amour-propre.

C’est là une morale personnelle, basée sur le sens moral individuel, qui veut atteindre le bonheur par le respect des devoirs de justice et de bonté et qui fait appel à la vertu, sans que cependant la vertu vaille la spontanéité de la nature.

III. Influence de Rousseau.

Elle fut « prodigieuse », dit Boutroux, loc. cit., p. 268. Naturellement elle s’exerça eu France, mais ce fut dans tous les ordres. Dans la liilérature, le romantisme relève de lui. Cf. les Histoires de la littérature française au xixe siècle, et D. Mornct. Le sentiment de la nature en France de Rousseau à liernardin de Saint-Pierre, Paris. 1907, in-8° ; Le romantisme en France au XVIIIe siècle. Paris, s. d. (1912), in-12 ; ainsi que P. Lasserre. Le romantisme français, Paris, 1907, in-12. En politique, Rousseau fut le dieu de la Révolution, .1. Lemaître, loc. cit., p. 316. Il ne fut ni l’unique maître intellectuel de la Révolution, cf. D. Mornet, Les origines intellectuelles de la Révolution française, 2e édit., Paris, 1934, in-8°, ni le maître d’un seul parti — la Montagne, voir Louis Blanc, Histoire de la Révolution, t. ii, t. X, c. i — mais, à toutes ses étapes, la Révolution relève de lui d’une façon plus ou moins évidente, mais réelle. Cf. entre autres, C. Champion, Rousseau et la Révolution française, Paris, P.) 10, in-16 : G. Beaulavon, loc. cit., Introduction, p. 73 sq., qui signale en particulier l’influence du Contrat social sur la politique religieuse de la Révolution, p. 81 sq. ; L.-S. Mercier, De J.-J. Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution, 2 vol. in-8°, Paris, 1791 : A. Didc, J.-J. Rousseau, le protestantisme et la Révolution française. Paris, 1910, in-12 ; É. Faguet. Politique comparée de Montesquieu, Voltaire et J.-J. Rousseau, Paris, 1902, in-16. Pour ce qui est de l’organisai ion sociale, il fut le prophète de l'égalité et par la manière dont il la présente, par la critique qu’il fait des institutions contraires, cf. Contrat social, I re part., de la société existante et de la civilisation présente, par les perspectives qu’il ouvre et les formules qu’il donne de la société idéale, par l’autorité sans limites i ! sur toutes choses qu’il reconnaît au souverain, il prépare l’homme au marxisme et déjà Babœuf se réclame de lui. Cf. A. Lichtenberger, Le socialisme < : u XVIIIe siècle, Paris. 1895, in-8° ; C. Bougie. Rousseau cl le socialisme, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 311-352 ; J. Jaurès, Les idées politiques et sociales de Rousseau, ibid., p. 371-389 ; F. Haymann, UeberJ.-J. Rousseau’s Sozialphilosophie, Leipzig, 1928, in-8°. Dans l’ordre de la pensée, sans qu’une école soit née de lui, on a pu écrire : « La plus puissante des influences qui se soient exercées sur l’esprit humain depuis Descaries est incontestablement celle de Jean-Jacques Rousseau. La réforme qu’il opéra dans le domaine de la pensée pratique, fut aussi radicale que l’avait été celle de Descartes dans le domaine de la spéculation pure. Lui aussi