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SCHISME BYZANTIN. MICHEL CÉRULAIRE


ambassade pour Constantinople ; mais, au moment où ses légats allaient faire voile vers le Bosphore, ils apprirent sa mort et ne poussèrent pas plus loin. Son successeur Nicolas II (1058-1061) inaugura la nouvelle politique qui aboutit bientôt à faire des ennemis de la veille les vassaux et les défenseurs du Saint-Siège, après qu’ils eurent achevé la conquête de l’Italie byzantine et repris toute la Sicile aux Sarrasins.

Il est vrai que ces Normands, maintenant au service du pape, allaient devenir les ennemis les plus redoutables de l’empire byzantin après les Turcs. Cette situation devait amener de nouveaux pourparlers politiques accompagnés de nouvelles tentatives d’union religieuse. Ces tentatives, Michel Cérulaire les avait vouées d’avance à un échec certain en ressuscitant en Orient la polémique antilatine, qui dormait depuis Photius première manière. À ce point de vue, il faut reconnaître que les événements de 1054 revêtent une exceptionnelle gravité. Cette guerre rageuse et puérile contre les rites et les usages de l’Église latine, cette accumulation de griefs frivoles et souvent calomnieux, à laquelle Michel Cérulaire et les siens se sont complu, a vraiment dressé entre les deux Églises la muraille de la séparation, derrière laquelle les patriarches byzantins ont abrité leur autonomie, toutes les fois qu’il a été question d’y porter atteinte par des projets d’union avec Rome. Sous ce rapport, la lactique de Michel Cérulaire a été encore plus redoutable que celle de Photius. Celui-ci, nous l’avons vii, avait, en dernier lieu, renoncé à la polémique rituelle et canonique et avait fait sanctionner le principe que chaque Église devait garder ses pratiques et ses usages particuliers. C’était un grand pas dans la voie du bon sens et de l’entente. Cérulaire, lui, retourne brusquement en arrière. Il attaque l’Église romaine avec la mentalité d’un évêque du concile in Trullo. La question du Filioque, la seule que Photius eût finalement retenue, ne l’intéresse guère. Au début, il ignore même qu’il existe une question de cette espèce. On n’y serait sans doute point revenu si le cardinal Humbert n’avait eu la malencontreuse inspiration de pousser une attaque contre les Grecs sur ce chapitre. Du reste, même après que cette querelle a été de nouveau soulevée, on n’y attache pas sur le momeut grande importance. On ne crie pas à l’hérésie comme l’a fait Photius, et l’on ne prononce point la formule : « Le Saint-Esprit procède du Père seul. » On blâme surtout l’addition au symbole comme telle. Ce qui est grave, c’est l’usage du pain azyme, de ce pain qui n’est pas du vrai pain mais la pâte morte des juifs et qui symbolise l’hérésie d’Apollinaire supprimant le voùç, l’âme intellectuelle, à l’humanité du Christ. Ce qui est abominable, c’est de manger des viandes étouffées, des boudins, des ours et des loups ; c’est de jeûner les samedis de carême, de faire gras le mercredi, d’user de fromage et d’oeufs le vendredi : c’est d’omettre Valleluia et la messe des présanctifiés pendant le carême. Voilà une théologie que la masse du peuple comprend et qui suffit à lui inspirer la haine des Latins et de leur pape. Voilà pourquoi Cérulaire mérite le titre de père du schisme, parce qu’il a remis à la mode la polémique rituelle, qui est sans issue. Au xve siècle, Georges Seholarios constatait que la querelle des azymes, à elle seule, avait enfanté autant et plus de traités que la controverse sur la procession du Saint-Esprit. Opuscule sur le Purgatoire, dans Œuvres complètes de Georges Seholarios, t. i, Paris, 1928, p. 538-539. Disons, à ce propos, que rien n’est plus faux que ce qu’a affirmé, après beaucoup d’autres, ce même Seholarios et ce que répètent certains Orientaux encore de nos jours, à savoir que l’addition du Filioque au symbole a été la vraie cause de la séparation des Églises. La conduite de Michel Cérulaire est là pour

protester contre cette affirmation. La vraie cause du schisme déclaré du xie siècle a été la volonté indomptable du patriarche byzantin de maintenir sa pleine autonomie vis-à-vis du pontife romain.

Cette attitude, il faut bien l’avouer, avait plus ou moins explicitement l’approbation du clergé et de la masse du peuple. Elle trouvait aussi un appui de fond dans la conception de l’Église universelle qui peu à peu s’était infiltrée dans la théologie byzantine. Cette théorie de la pentarchie ecclésiastique était courante parmi le clergé et les lettrés du temps. A peine ébauchée et se tenant encore dans les limites de l’orthodoxie au ixe siècle, elle s’est enracinée et a pris corps au xe et au xie sous sa forme hétérodoxe par le fait du grand silence de l’Église romaine en Orient durant cette période. Les patriarches de Constantinople lui ont fait bon accueil, malgré le principe de l’égalité de cinq qu’elle proclame, car ils n’ignorent pas qu’il s’agit d’une égalité purement théorique. Dans la pratique, ils ont pour eux les privilèges acquis, fondés sur des canons œcuméniques et des décrets impériaux, qui leur assurent l’hégémonie sur les trois autres patriarcats orientaux. Ces patriarcats, du reste, ne représentent guère plus qu’un souvenir. Ils ne comptent qu’un nombre infime de fidèles. Deux d’entre eux mènent une vie misérable sous le joug musulman. Antioche est rentré dans l’orbite byzantine depuis près d’un siècle et sa sujétion à l’égard de Constantinople est un fait accompli. Dès lors, la théorie de la pentarchie devient une arme commode, dont on se servira pour écarter ou neutraliser l’ingérence de l’évêque de Rome dans les affaires de l’Église byzantine, quitte à faire bientôt appel à une autre théorie, celle de la translation de la primauté de l’ancienne Rome à la nouvelle. Pour les Byzantins, le pape est confiné en Occident parmi les nations barbares. Il ne représente que le cinquième de l’Église universelle ; son autorité n’équivaut qu’à une voix sur cinq. On se demande comment la notion de la primauté romaine a pu s’éclipser à ce point. C’est sous l’influence de cette ignorance que les Byzantins en sont arrivés à considérer l’Église latine et son chef comme une quantité négligeable, et que l’auteur de l’opuscule contre les Francs peut écrire avec sérénité : « L’évêque de Rome et tous les chrétiens occidentaux qui habitent au delà du golfe d’Ionie vivent depuis longtemps hors de l’Église catholique. » Ci-dessus, col. 1352.

Il suit de là que Michel Cérulaire n’a pas été l’unique artisan du schisme auquel son nom reste attaché. Ce schisme était déjà virtuellement accompli dans les esprits et dans les cœurs. Le coup d’éclat de 1051 a eu pour effet de le faire apparaître au dehors dans toute sa réalité et sa profondeur.

L’examen attentif des documents relatifs à ce coup d’éclat nous amène à faire une autre grave constatation. Le christianisme byzantin est vicié par une fausse conception de l’élément rituel et canonique qui lui est parvenu sous l’étiquette des sept premiers conciles œcuméniques. Cet élément qui, à l’origine, ne représente, comme nous l’avons dit, qu’une législation de circonstance n’intéressant, dans la majorité des cas, que le seul Orient ou l’une de ses parties, a été incorporé, comme partie intégrante, au dépôt sacré de l’antique tradition et mis à peu près sur le même pied que les formules dogmatiques ; c’est-à-dire que cet élément est considéré comme quelque chose d’immuable et d’obligatoire pour toujours, pour tous et partout. Il n’y a que cela d’orthodoxe. Tout ce qui dans les rites, us et coutumes de l’Église d’Occident ne lui est pas conforme doit être supprimé, abandonné comme contraire à tel canon du synode de Néoeésarée, à telle règle du concile de Gangres, à telle prescription