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SCHISME BYZANTIN. MICHEL CÉRULAIRE


Michel Cérulaire et ses partisans et déposèrent sur l’autel majeur de Sainte-Sophie, le samedi l(i juillet 1054. Voir la traduction de cette sentence dans l’article Michel Cérulaire, t. x, col. 169 1-1 <)<).">. Cette sentence

ne visait sans doute directement que Michel Cérulaire et ses partisans, et non l'Église byzantine en général avec son clergé et ses fidèles. Mais les partisans de Cérulaire, c'étaient, au fond, tout le clergé, tous les moines et le peuple lui-même, comme ne le montrèrent que t rop les événements qui suivirent. À tout point de vue, le geste théâtral des légats était regrettable : regrettable, parce que le Saint-Siège était alors vacant et qu’on pouvait se demander s’ils étaient dûment autorisés à prendre une mesure aussi grave ; regrettable, parce qu’inutile et inefficace, Humbert et ses compagnons ne disposant d’aucun moyen de faire exécuter la sentence, regrettable surtout par le contenu même de celle-ci et le ton sur lequel elle était libellée. Si le cardinal Humbert avait pu montrer sa rédaction au pape saint Léon IX, il y a tout à parier que le texte en aurait été profondément modifié. Somme toute, cette rédaction n’engage que son auteur, et l’on ne voit pas qu’aucun des successeurs de Léon IX l’ait approuvée.

La portée du geste des légats fut d’ailleurs diminuée du côté byzantin par le fait que Michel Cérulaire ne voulut voir en eux que les émissaires du duc Argyros, et non des apocrisiaires du pape. Le patriarche, en effet, après avoir parcouru la lettre qu’on lui remit.de la part de Léon IX, flaira aussitôt une machination d’Argyros. La manière dont le pape répondait à ses propositions de concorde lui parut invraisemblable, inconciliable avec ce qu’il avait entendu dire de la noblesse et de la sagesse de Léon IX : ra-pl ttjç àpea^ç xal T/jç sÙYevsîaç xocl y^weetoç roG vûv xeXsuTYioavToç 7tootoc. Epist., ii, Ad Petrum Antiochenum, 3, P. G., t. cxx, col. 784 A. L’idée surgit aussitôt dans son esprit que cette lettre ne devait pas être authentique, mais qu’elle avait été fabriquée par son ennemi personnel, le duc d’Italie. Un examen minutieux du document, des sceaux, comme du contenu le convainquit qu’il était en présence d’une mystification d’Argyros, comme il le raconte lui-même à Pierre d’Antioche, Epist. cit., 7, col. 784-785, en appuyant son soupçon sur un précédent. Dans quelle mesure était-il sincère ? Il est difficile de le dire. Le sceau de la lettre pontificale partait, parait-il, des traces de violation. Il ne serait pas impossible que le cardinal Humbert en passant par l’Apulie pour se rendre à Constantinople, ait communiqué à Argyros le dossier dont il était porteur. Quoi qu’il en soit, Cérulaire, à partir du jour où on lui remit la lettre du pape, considéra les légats non comme des envoyés officiels du Saint-Siège, mais comme des émissaires d’Argyros et les traita en conséquence. Il ne voulut avoir avec eux aucun rapport et se refusa à toute discussion sur les azymes et sur le reste. Ce n’est qne lorsqu’il eut entre les mains la traduction du long anathème fulminé contre lui que, prenant à son tour le rôle d’accusateur, il cita les légats à son tribunal pour qu’ils rendissent compte des accusations lancées contre lui et ses partisans. Fort habilement, il sut exploiter contre leurs auteurs la malheureuse sentence. On sait ce qui advint. Les légats n’ayant pas comparu, il leur rendit la monnaie de leur pièce en deux séances du synode permanent, tenues les 20 et 2 1 juillet 1054 et en fit rédiger l’acte officiel, ar J u.£Îcojj.a, dont le résumé a été donné à l’article Michel Cérulaire, t. x, col. 1697-1698.

Dans ce document, on ne trouve rien qui s’attaque directement au Siège apostolique et à sa primauté, puisque les legals, sur qui tombe l’anathème, ne sont pas considérés comme les envoyés du pape mais comme les émissaires d’Argyros. Loin de prendre l’offensive contre l'Église latine et scs usages, Céru laire affecte de s’y tenir sur la défensive, comme si le cardinal Humbert avait voulu forcer les Byzantins à se raser comme les Latins ou à renoncer à leur législation sur le mariage des clercs. C’est encore en se défendant qu’il parle de la procession du Saint-Esprit ; et l’on remarque que, s’il combat la doctrine latine sur cette question, il ne dit pas expressément, comme Photius, que le Saint-Esprit procède du Père seul, il dit simplement qu’il procède du Père. Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’il se tait absolument sur les azymes. On dirait qu’il a oublié le manifeste de Léon d’Achrida et la réponse de Nicétas au cardinal Humbert. Bref, dans VÈdit synodal, il garde d’un bout à l’autre le beau rôle pour mettre mieux en relief la frasque des légats. Seul l’emprunt fait à Photius au début du document, cette allusion discourtoise à l’Occident, région des ténèbres, témoigne de ses sentiments intimes à l'égard des Latins en général, que nous connaissons bien par ses deux lettres à Pierre III d’Antioche.

Dans le recul de l’histoire, les excommunications réciproques échangées à Constantinople en juillet 1054 ont été considérées comme le terme fatal des schismes qui, depuis de longs siècles, séparaient périodiquement l'Église byzantine de l'Église d’Occident, et l’on a vu en Michel Cérulaire l’auteur du schisme définitif. En fait, quand on examine les documents de près, on s’aperçoit que ces anathèmes n’avaient pas la portée générale qu’on a voulu leur attribuer. Les légats romains n’ont pas lancé les leurs contre l'Église byzantine mais contre un de ses patriarches et certains de ses clercs. Leur sentence elle-même paraît, du point de vue canonique, dénuée de valeur et n’a jamais été approuvée par le Saint-Siège. Quant à l’excommunication des légats par Michel Cérulaire et son synode permanent, elle n’atteint ni le pape ni l’ensemble de l'Église latine ; c’est une simple mesure de représailles contre des étrangers insolents, qui ont osé élever contre Cérulaire et son clergé les accusations les plus fantaisistes et en qui l’on n’a voulu voir que des émissaires du duc d’Italie, Argyros. Au lieu de parler de schisme définitif, il serait sans doute plus exact de dire que nous sommes en présence de la première tentative de réunion avortée. Il est certain, en effet, que la séparation de fait existait depuis de longues années. En 1053-1051, on veut profiter de l’occasion de pourparlers d’ordre politique pour essayer de rétablir les relations rompues. Cette tentative a échoué avant tout par la faute de Michel Cérulaire. C’est lui qui a calculé à froid les moyens de la rendre vaine. Sans doute, les maladresses et les outrances de langage du cardinal Humbert ont favorisé son dessein et lui ont permis de mettre apparemment les grands torts du côté des envoyés romains. Mais devant l’histoire impartiale, c’est bien lui qui porte, en définitive, la responsabilité de l'échec, car c’est son attaque brusquée du début qui a rendu impossible toute réussite. Quant à ses véritables sentiments à l'égard du pape et des Latins, ils s'étalent au grand jour dans ses lettres à Pierre d’Antioche. Il y fait figure non d’un schismatique de fraîche date secouant brusquement l’autorité du pontife romain, mais d’un chef d’une Église dissidente, depuis longtemps autonome, qui répugne à la réunion et met tout en œuvre pour l’empêcher.

Ajoutons qu’au cas où la tentative eût réussi, elle n’avait, humainement parlant, aucune chance de durer. L’union que des raisons politiques auraient provoquée, des raisons politiques en sens inverse l’auraient bientôt fait disparaître. La politique antinormande de Léon IX. en effet, l’ut sans lendemain. Victor II (1054-1057) entra avec les Normands dans la voir dis négociations. Un moment. Etienne IX (1057-1058) parut reprendre le projet de Léon IX. Il prépara une