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SCHISME BYZANTIN. MICHEL CÉRULAIRE


ensevelit en leur étendant les mains jusqu’aux cuisses au lieu de les disposer en forme de croix, et en leur bouchant tous les sens avec de la cire. La même coutume est observée pour les laïcs. Leurs prêtres célèbrent chaque jour la messe trois ou quatre fois sur le même autel ; ils célèbrent même n’importe où, sans nul discernement du sacré et du profane. Chez eux, un moine cesse de faire maigre s’il devient évêque ou s’il est atteint d’une légère infirmité ; tous leurs moines en général mangent de la viande de porc, etc.

Des griefs si puérils, dont le nombre allait augmenter au cours des siècles ne pouvaient pas avoir grand eiïet sur les esprits cultivés, mais ils devaient impressionner la masse des fidèles et renforcer l’antipathie et le mépris qu’on ressentait à l’égard des Barbares d’Occident. Ceux-ci étaient expressément mis au rang des hétérodoxes, et l’on osait déclarer que le pape de Rome était depuis longtemps séparé de l’Église catholique. Le fait que Michel Cérulaire et ses théologiens aient pu écrire pareilles énormités montre jusqu’à quel point l’esprit de séparation et de schisme était avancé en Orient.

Et ce n’étaient pas seulement les ennemis déclarés des Latins qui parlaient ainsi ; c’étaient aussi les partisans sincères de l’union qui étaient imbus d’une fausse conception de l’Église. Depuis le ixe siècle, la théorie de la pentarchie ecclésiastique avait évolué dans un sens tout à fait hétérodoxe. Au milieu du xr 3 siècle, elle était à ce point ancrée dans les esprits qu’on ne songeait même pas à mettre au nombre des divergences entre les Églises la doctrine de la primauté universelle de droit divin de l’évêque de Rome. Ou ne niait pas encore la primauté de Pierre sur les autres apôtres ; mais il était entendu que le pape de Rome, tout en ayant la primauté du rang, n’était que le patriarche de l’Occident, pratiquement égal aux quatre autres patriarches d’Orient, nullement infaillible et pouvant faire défection sans que l’Église catholique en souffrît grand dommage. Nous trouvons cette hérésie jusque sous la plume du pacifique Pierre III d’Antioche qui, nommé par l’empereur, en 1052, patriarche de cette ville et consacré par Michel Cérulaire, prend le premier l’initiative de renouer les relations depuis longtemps rompues avec le siège de Rome. Il envoie à saint Léon IX sa synodique, qui débute ainsi : « Nuit et jour je me demandais la raison de la séparation ecclésiastique et comment il pouvait se faire que le grand successeur du grand Pierre fût exclu et séparé du divin corps des Églises ; qu’il ne fit point entendre sa voix dans les conseils de leurs prélats et ne prît point sa part des sollicitudes ecclésiastiques, recevant d’eux, même lui. une direction fraternelle et tout apostolique : ïva xal ô toû jjtsyàXou 11sxpou (jiyaç SiâSo/oç, ô T/jç T^pscrouTsçaç’Pôir/jç noux-qv, toû 0FÊoo tôjv Gsîwv êxxXyjaiwv acô[i.aToç ô^acr/lÇoiTÔ ts xal St.aTsii.voi.To xai pu) au[X[i.£Ts ; (oi toïç TrpoeaTwai. toutwv tgjv 6eïx<ï>v (30uXeuu.àTa)v xal Tàç èxxXy)c(.aa-Tixàç auvSiacpspoi cppovTlSaç àvà [ispoç. » Epistola enthronistica, publiée par A. Michel, Humbert und Kerullarios, t. ii, p. 446-448. Voilà donc l’évêque de Rome séparé du divin corps des Églises ! Il n’a pas à s’occuper de l’Église universelle mais d’une partie seulement, àvà [xépoç. Il n’est pas infaillible mais peut avoir besoin, lui aussi, d’être conduit et dirigé comme par la main par ses collègues, les autres patriarches : xal aÙTOç U7t’sxrîvtov)(st.paYWYOu[i.£voç. Pierre tient ce langage avec une entière bonne foi. Avant d’inscrire le nom du pape dans ses diptyques, il veut savoir s’il est orthodoxe. Tout le passé de l’Église romaine fait sans doute penser qu’il l’est pleinement. Mais enfin l’hypothèse d’une erreur dans la foi de. sa part, S6yjj.aToç Traparpom) ts xal xaivicaôç, n’est pas exclue a priori. C’est pourquoi il sollicite l’envoi de sa profession de foi, comme lui-même lui adresse la

sienne : Çt ; tw 8s xal racpà tyjç a^ç TfXeiÔTVjTOÇ è’yypacpov tyjç tÛotecûç è’xŒaiv xal ty ; v a’iTÎav TÎjç SiaCTTàaswç àTcapa’.T7)Tcoç sîaTrpâTTM. Ibid., p. 448.

Cette première lettre au pape mit longtemps à lui parvenir. Deux ans se passèrent sans qu’elle reçût de réponse. Croyant qu’elle s’était perdue, soupçonnant peut-être qu’elle avait déplu à cause du préambule que nous venons d’analyser, Pierre en rédigea une seconde, beaucoup plus courte, beaucoup plus réservée, amputée de tout le préambule et donnant comme profession de foi le symbole de Nïcée-Constantinople, suivi de rémunération des sept conciles œcuméniques, avec les noms des principaux hérétiques condamnés par chacun d’eux. Au sixième concile, le nom d’Honorius était omis. A. Michel, op. cit., p. 454-457. Notons en passant qu’IIonorius avait été aussi omis dans la synodique au patriarche d’Alexandrie ; mais dans celle qui avait été adressée au patriarche de Jérusalem, ce pape avait été traité d’âne bâté, ’ilvwptov, tôv àvTtxpùç ÔvojSy) tÔ <pp6v7)|za. A. Michel, op. cit., p. 411. Celte seconde lettre à Léon IX, Pierre la confiait aux bons soins de Dominique, patriarche de Grado, qui lui avait écrit pour nouer avec lui des relations amicales, lui apprendre que, lui aussi, portait le titre de patriarche, et se plaindre des attaques du clergé de Constant inople contre l’Église romaine spécialement à propos de l’emploi du pain azyme. P. G., t. cxx, col. 751-756. C’est dans sa réponse à Dominique que le patriarche d’Antioche expose avec toute la clarté désirable sa théorie de la pentarchie ecclésiastique, qui se laissait déjà deviner dans le préambule de la première lettre au pape. Il en a été déjà parlé tant à l’article Patriarcats, t. xi, col. 2269-2275, qu’à l’article Primauté en Orient a partir du ixe siècle, t. xiii, col. 379. D’après cette théorie, la constitution de l’Église n’est pas monarchique mais oligarchique. Les cinq patriarches sont égaux, et les affaires majeures sont décidées par eux à la pluralité des voix.

Voilà donc où l’on en était arrivé à Byzance après un siècle et demi d’union de plus en plus lâche, coupée par des ruptures plus ou moins longues. Quand on songe à cet état d’esprit des Byzantins vis-à-vis du Saint-Siège, on ne peut qu’être frappé de l’illusion que se faisaient à leur endroit le pape saint Léon IX et surtout son secrétaire et légat, le cardinal Humbert. Celui-ci ne paraît pas avoir compris le rôle extrêmement délicat qu’il devait jouer, s’il voulait arriver à renouer l’union religieuse, à l’occasion de l’alliance politique. D’abord le ton des lettres pontificales qu’il a rédigées au nom du pape n’était guère adapté à ce but. Alors que Cérulaire avait écrit au pape une lettre courtoise et conciliante, faisant le silence absolu sur le manifeste de Léon d’Achrida, pourquoi lui dénier le titre de patriarche et l’appeler simplement évêque’? Pourquoi le traiter de néophyte, le considérer comme un accusé et le menacer de sanctions, s’il ne se corrigeait pas ? Pourquoi remuer encore, en pareille occasion, le thème archéologique sur le titre de patriarche œcuménique ? Mais le cardinal Humbert s’est figuré qu’il réussirait en employant la manière forte ; qu’il suffirait d’avoir avec soi le basilcus, à qui l’on faisait de grands compliments en le comparant à Constantin le Grand. Plus maladroite fut encore la conduite du cardinal durant son séjour à Constantinople. Son esprit polémique le servit fort mal en la circonstance, et son érudition se trouva en défaut sur un point important, auquel Cérulaire et les siens n’avaient pas encore songé. Il attaqua les Grecs sur la question de la procession du Saint-Esprit et les accusa d’avoir supprimé le mot Filioque dans le symbole. Cette grosse erreur historique dépare, avec bien d’autres exagérations ou faussetés, la sentence même d’excommunication que les légats romains formulèrent contre