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SCHISME BYZANTIN. MICHEL CÉRULAIRE


cette dyarchie ecclésiastique à laquelle on avait aspiré sur les rives du Bosphore depuis l’époque lointaine du partage de l’empire romain en deux moitiés. Pour appuyer la requête, les ambassadeurs byzantins arrivaient chargés de présents non seulement pour le pape, mais aussi pour les membres les plus influents de l’aristocratie romaine. La combinaison faillit réussir ; elle paraît même avoir été acceptée en principe pendant quelque temps, jusqu’au jour où l’affaire vint à s’ébruiter dans le monde occidental et y provoquer de vives protestations, de l’opportunité desquelles il est permis, après coup, de douter. Du moment, en effet, qu’on ne contestait pas au pontife romain sa primauté universelle, qu’on la reconnaissait explicitement et qu’on ne demandait pour le siège de Gonstantinople qu’une juridiction supérieure circonscrite aux limites de l’empire byzantin et subordonnée à celle de Rome, on peut se poser la question s’il n’eût pas été à la fois plus sage et plus habile de consacrer par le droit le fait existant et d’essayer, par ce geste, de resserrer un peu l’union si lâche qui existait encore entre les deux Églises. Peut-être aurait-on prévenu ainsi la dangereuse offensive que Michel Cérulaire allait prendre bientôt contre la liturgie, la discipline et même la foi de l’Église d’Occident pour rendre le schisme inévitable et définitif. Voir sur cette affaire Raoul Glaber, Historiée, iv, 1, P. L., t. cxlii, col. 670-672, qui n’est pas un historien très sûr, mais dont il paraît difficile de récuser ici le témoignage. La remontrance la plus remarquable que reçut le pape, à cette occasion, fut celle de Guillaume de Volpiano, abbé de Saint-Bénigne de Dijon. Cette résistance des Occidentaux aux prétentions des Grecs révèle évidemment un état d’esprit peu sympathique à leur endroit. L’abbé Guillaume exagérait la portée dogmatique de la requête byzantine. D’après Raoul Glaber il s’agissait simplement de ceci : les Grecs voulaient que l’Église de Constantinople reçût le titre d’universelle dans les limites de son patriarcat et fût regardée comme telle, de la même manière que l’Église romaine est dite universelle par rapport au monde entier : qualenus cum consensu romani pontiftcis liceret Ecclesiam constanlinopolilanam in suo orbe, sicut romana in universo, universalem dici et haberi.

Bien que nous soyons mal renseignés sur les détails de cette affaire dont les chroniqueurs byzantins ne disent mot, nous en savons pourtant l’issue : tout en y mettant sans doute les formes voulues, Jean XIX n’accorda pas aux Byzantins ce qu’ils réclamaient. Le désappointement de Basile II et d’Eustathe dut être amer. En vinrent-ils aussitôt, par mesure de représailles, à rompre toute relation officielle avec le Saint-Siège, à supposer que ce ne fût déjà fait depuis le pontificat de Benoît VIII ? On l’a supposé avec beaucoup de vraisemblance. Il est permis pourtant d’en douter. Il semble que la rupture ait été retardée de trois ou quatre ans, alors que Basile et Eustathe n’étaient plus de ce monde. Un chroniqueur latin, auquel les historiens ne paraissent pas avoir prêté jusqu’ici grande attention, note « qu’en l’an du Seigneur 1028, au temps de l’empereur Conrad II, dit le Salique, l’Église orientale s’affranchit de l’obédience du Siège apostolique ». Chronica S. Pétri Erfordiensis moderna, dans Mon. Germ. hist., Script., t. xxx, p. 407 ; cf. Chronica minor, auctore minorita Erfordiensi, ibid., t. xxiv, p. 189. Cette date paraît fort plausible. C’est en 1027, en effet, que l’empereur Conrad II, de la maison de Franconie, descendu en Italie l’année précédente, demanda au pape Jean XIX de lui décerner la couronne impériale et de renouveler pour lui ce que Benoît VIII avait fait pour Henri II. La cérémonie du sacre eut lieu à Rome, le jour de Pâques. C’était de nouveau l’alliance étroite de la papauté et de l’empe reur germanique. Jean XIX faisait désormais figure d’ennemi à la cour de Byzance. Cette impression dut s’accentuer, s’il est vrai que le nouvel empereur manifesta son hostilité envers l’empire d’Orient en allant réclamer l’hommage des princes de Bénévent, de Salerne et de Capoue, que Basile II avait comptés parmi ses vassaux. Ou bien, si ce voyage n’eut pas lieu, la rupture se produisit-elle à la mort de Constantin VIII (12 novembre 1028), lorsque le nouvel empereur Romain III Argyros (1028-1034) interrompit les négociations nouées avec Conrad II, en vue d’une alliance matrimoniale entre le fils de l’empereur allemand et une Porphyrogénète ? Ce qui est sûr, c’est que la communion religieuse entre Rome et Constantinople, était suspendue depuis de longues années, lorsqu’il fut question de la rétablir en 1053, comme cela ressort clairement de plusieurs passages du dossier relatif au schisme de Michel Cérulaire, en particulier des lettres échangées entre le pape Léon IX et la cour byzantine, et aussi entre Pierre d’Antioche et le pape. Cf. article Michel Cérulaire, t. x, col. 1680-1681. Voir aussi les Synodiques de Pierre d’Antioche publiées par A. Michel, Humbert und Kerullarios, t. ii, Paderborn, 1930, p. 432-457. Il suit de là qu’à son avènement (25 mars 1043), le patriarche Michel Cérulaire n’eut pas à rayer le nom du pape régnant des diptyques de Sainte-Sophie, geste que lui prêtent encore certains historiens. Son rôle dans l’histoire du schisme définitif fut tout autre. Il faut, du reste, reconnaître, à sa décharge, que pour peu qu’il eût tardé à envoyer à Rome ses lettres synodiques, il eût pu être embarrassé sur le choix du destinataire. En 1044, en effet, il y avait à Rome deux papes, et en 1045, il y en avait trois, que déposa d’un seul coup Henri III, empereur d’Allemagne, pour les remplacer par Clément II (1046-1047).

/II. MICHEL CÉRULAIRE. LE SCHISME DÉFINITIF. —

Après l’article Michel Cérulaire, nous n’avons pas à reprendre ici l’exposé des événements qui, durant les années 1053-1054, mirent aux prises le pape saint Léon IX et ses légats avec le patriarche Michel Cérulaire. Mais nous avons à marquer nettement le rôle de celui-ci dans ces démêlés qui transformèrent une simple rupture de relations en un état de guerre déclarée et aboutirent en fait, quoi qu’en aient pu penser les contemporains, à consommer la séparation déjà virtuellement opérée entre l’Église romaine et l’Église byzantine. Nous avons à apprécier la portée des condamnations réciproques qui furent lancées alors, à mettre en relief les maladresses commises par les légats romains durant leur séjour à Constantinople en 1054, et à montrer le véritable état d’esprit des Byzantins du xie siècle, même des mieux intentionnés, vis-à-vis du Saint-Siège. On pourra ainsi constater toute la distance parcourue dans le chemin de la désunion depuis le siècle de Photius.

Michel Cérulaire n’a pas provoqué la rupture entre Rome et l’Église byzantine — cette rupture existait déjà quand il est devenu patriarche — mais il a tout fait pour empêcher le rétablissement des relations normales entre les deux Églises. De ses deux lettres à Pierre d’Antioche, il ressort qu’il s’accommodait fort bien de l’état de séparation qui durait depuis quelque temps et que, dans son ignorance de l’histoire ecclésiastique, il croyait fort ancienne et se perdant presque dans la nuit des temps, puisqu’il la faisait remonter au temps du pape Vigile, contemporain, d’après lui, du sixième concile œcuménique (1). Epist., ii, Ad Petrum Anliocheniim, 9, P. G., t. cxx, col. 788-789. C’est chez lui une conviction bien arrêtée que le pape et les Latins sont depuis longtemps séparés de la véritable Eglise. Il déclare à Pierre d’Antioche que, s’il a écrit au pape une lettre pleine de condescendance, ce fut pour le ramener dans le droit chemin, « le gagner »,