Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.1.djvu/68

Cette page n’a pas encore été corrigée
121
122
ROUSSEAU. IDÉES PHILOSOPHICO-RELIGIEUSES


de Paris et J. Lemaître, J.-J. Rousseau, 1907, in-12, p. 328.

Est-il mort fou, comme se le demande le même Corancez au Journal de Paris, ou simplement maniaque de la persécution ? Un correspondant de Corancez rappelait à son propos ce mot de Locke : « Un homme de très bon sens en toutes choses peut être aussi fou sur un certain article qu’aucun de ceux qu’on enferme aux Petites-Maisons. » Correspondance, t. ix, Appendice xiv, p. 366. Incontestablement, il eut le jugement troublé par la manie de la persécution. Mais, dit Lemaître, en tout, ce fut « le même triomphe exorbitant de la sensibilité et de l’imagination sur la raison. Il était donc dément… comme le seraient beaucoup d’hommes à nos yeux, si nous les connaissions, s’ils écrivaient des livres et si, parmi leur déraison, ils avaient quelque génie. » Loc. cil., p. 332. Cf. C.-A. Fusil, Rousseau juge de Jean-Jacques, Paris, 1923, in-12, qui soutient que Rousseau, « toujours lucide et conscient », joua la comédie de l’orgueil et la comédie du cœur ; L. Proal, La psychologie de J.-J. Rousseau. Paris, 1923, in-8o : Ch. Bougeault, Élude sur l'état mental de Rousseau et sa mort à Ermenonville, Paris, 1883, in-18 ; P.-J. Mœbius, Rousseau’s Krankheitsgcchichle, Leipzig, 1889, in-8o ; Dr Châtelain, La folie de J.-J. Rousseau, Ncuchàtcl. 1900, in-12 ; Sérieux et Capgras, Les folies raisonnantes, Paris, 190 !). in-8o ; V. Demole, Analyse psychiatrique des Confessions, dans Archives suisses de neurologie ci de psychiatrie, n. 2, t. ii, 1918 ; Rôle du tempérament et des idées délirantes de Rousseau dans la genèse de ses principales théories, dans Annales médico-psychologiques, janvier 1922.

IL Les idées philosophico-religieuses de Rousseau. — Il n’y a pas à rechercher ici les sources de la pensée religieuse de Rousseau. Cf. sur ce point P. -M. Masson : édition critique de la Profession de foi et l’ouvrage intitulé La religion de J.-J. Rousseau.

Rousseau avait cette devise : Vilam impendere vero, mais, entre la vérité et lui, son individualisme extrême, son orgueil plébéien, une imagination et une sensibilité exaltées élevaient de sérieux obstacles. Cf. Proal, op. cit.

Peut-on ramener son œuvre à l’unité? G. Lanson, s’appuyant sur un passage des Dialogues, la rattache toute au fameux paradoxe : « L’homme naît bon ; c’est la société qui le déprave. » Histoire de la littérature française, Ve partie, t. IV, c. v, § 2 et L’unité de la pensée de J.-J. Rousseau, dans les Annales de J.-J. Rousseau, 1912, p. 1. Boutroux, Remarques sur la philosophie de Rousseau, dans Revue de métaphysique el de morale, 1912, p. 267-269, fait de même : Rousseau, après la critique de l’institution sociale existante, donne le plan d’un homme, d’une famille, d’une société conformes à la saine nature. Lemaître, loc. cit., p. 385-388, invoquant les contradictions de l'œuvre de Rousseau, l’antagonisme de ses actes et ses écrits, « sans compter les désaveux formels que sa correspondance inflige à tous ses ouvrages » n’y voit que l’unité « d’un individualisme outré avec, çà et là, quelque vestige de traditionalisme par la vertu du sentiment religieux ».

1° Anti-intelleclualisme de Rousseau. Utilitarisme cl instinct moral. — On ne saurait « être sceptique par système et de bonne foi. Le doute sur les choses qu’il nous importe de connaître est un état trop violent pour notre esprit ». Profession de foi, p. 26 et 27 et n. 1, 2. Pour avoir les certitudes nécessaires il ne faut s’adresser ni à l'Église qui avance des choses absurdes et qui dénie au croyant le droit de choisir, ibid., p. 27 et n. 2, 3, 4, 5, ni aux philosophes. Et Rousseau fait, d’après Pascal, la critique du dogmatisme philosophique et des théories métaphysiques. Ibid.,

p. 27-30 et n. Incapables d’embrasser dans leur savoir « cette machine immense », ils n’en édifient pas moins des systèmes par où ils prétendent expliquer toutes choses. Mais ces fruits de leur imagination se contredisent : « Insuffisance de l’esprit humain et orgueil ». Les philosophes ne peuvent conduire qu’au doute. Ibid., p. 28, 29, 30. Les vérités nécessaires ne sauraient dépendre du savoir. Cf. les Discours.. Vous êtes embarqué », avait dit Pascal, fr. 233, et il avait abouti au pari. La vie commande, dit Rousseau et il aboutit à ces deux conclusions : 1. Bornons nos recherches « aux seules connaissances utiles », c’est-àdire, où la pensée peut trouver des directions pour la conduite et « qui sont nécessaires au repos, à l’espoir et à la consolation de la vie ». Ibid., p. 31 et n. 1. Et laissons les autres dans le doute. Donc indifférence aux questions métaphysiques.

2. Renonçant à l'évidence cartésienne, abstraite et universelle, établie sur la démonstration, mais n'échappant pas à l’objection, prenons pour guide « la lumière intérieure », individuelle. Est-ce la raison raisonnante ? Ce passage de la Nouvelle Hélolse, part. VI, lettre vii, p. 347, le ferait croire : « L'Être suprême nous a donné la raison pour connaître le bien, la conscience pour l’aimer, la volonté pour le choisir. » lui réalité, c’est elle, mais avec Imites les puissances spontanées de l'âme ; c’est le cœur, combinaison d’instinct et d’intelligence, d’instruction et de raison ; c’est l'âme tout entière, à laquelle on peut se lier, puisqu’elle agit à la manière d’un « instinct moral ». Rêveries, 3e promenade, t. i, p. 413. Prononçant sur les questions pratiques, elle devient la conscience, « instinct divin, auguste et céleste voix, guide assuré, …juge infaillible du bien et du mal ». Profession, p. 111. À l'évidence rationnelle, universelle, savante, se substitue ainsi l’assentiment intérieur spontané et individuel. Si un conflit s'élève entre les doutes de la raison et [es affirmations de la conscience, la volonté intervient en faveur de la conscience. « Rousseau apparaît donc comme un des initiateurs des théories sentimentales cl volontaristes de la croyance et comme tout près de la manière de philosopher de nos modernes pragmatistes. » A. Parodi, Les idées religieuses de Rousseau, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 305. Pratiquement cependant, surtout dans les questions religieuses, Rousseau, tout comme un philosophe, manifestera un rationalisme intransigeant.

2° L’origine et l’ordre des choses : Dieu ; agnosticisme et optimisme. — Dieu existe, quoi qu’en pensent les Diderot, les d’Holbach et les Fréret. J’en ai l’invincible sentiment, d’abord par le mouvement où je vois la matière : « Mon esprit refuse tout acquiescement à l’idée de la matière non organisée se mouvant d’ellemême » (Profession, p. 45) et par l’ordre et l’harmonie où je vois l’univers et chaque être. Ibid., p. 54-58. Nieuventit a écrit ce livre : L’existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature, Amsterdam, 1727, in-4o. C’est une maladresse : il ne pouvait tout dire et, « à entrer dans les détails, la plus grande merveille échappe, qui est l’harmonie et l’accord du tout ». Ibid., p. 59. Mais Dieu est demandé aussi par les exigences de la conscience morale. C’est un autre aspect de l’ordre du monde. Sans un Dieu, témoin et juge de nos actes, la vertu devient inintelligible et absurde. Sois juste et lu seras heureux, répète ma conscience. Si Dieu n’est pas, cette voix de la nature me trompe. Ibid., p. 115 sq.

Mais ce Dieu quel est-il ? « L’enfant, l’homme primitif et aujourd’hui encore l’homme sans culture ne sont pas capables de s'élever à l’idée de Dieu. » Lettre à Beaumont, loc. cit., p. 758-760. El pour l’homme cultivé? Dieu est « l'Être qui veut et qui peut, …actif par lui-même… Je joins au nom de Dieu les idées