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SCHISME BYZ. FORCES UNIONISTES


nité, que les Grecs ont ignorée. C’est justement sur le mystère de la Trinité que Photius ira bientôt chercher querelle aux Latins pour donner à la séparation des Églises une base doctrinale. Déjà, avant lui, la diversité des formules sur la procession du Saint-Esprit avait donné lieu à des malentendus et suscité des commencements de controverse.

2. Dans le domaine liturgique.

Malgré l’accord sur les points capitaux du rituel et de l’héortologie, les divergences de détail ne manquaient pas. Il y avait des différences même dans la forme de certains sacrements, à plus forte raison dans les formules de prières d’origine purement ecclésiastique. Sur la question de la rebaptisation et de la réordination de certains hérétiques, l’accord ne paraît pas encore s'être réalisé dans les neuf premiers siècles. Une innovation occidentale qui attirera l’attention de Photius est l’addition du mot Filioque au symbole dit de Nicée-Constantinople. Faite d’abord par l'Église espagnole dans la seconde moitié du vie siècle, elle se répandit rapidement dans les diverses Églises d’Occident au cours du vme siècle. L'Église romaine seule s’abstint de cette innovation jusqu’au xie siècle. Alors que l'Église byzantine employait le pain fermenté comme matière de l’eucharistie, les Églises d’Occident se servaient d’abord indifféremment de celui-ci ou de l’azyme, puis exclusivement de l’azyme. Elles ignoraient le rite de la Grande Entrée, celui du Çéov et l’usage de célébrer la messe dite des présanctifiés tous les jours du grand carême à l’exception des samedis et des dimanches, tous rites reçus de l'Église byzantine. Différence aussi sur le ministre de la confirmation : alors qu’en Orient, où l’on administrait ce sacrement aussitôt après le baptême, même aux petits enfants, le pouvoir de confirmer était accordé aux simples prêtres, en Occident, ce pouvoir était réservé à l'évêque.

3. Discipline.

Plus nombreuses et plus importantes étaient les différences dans la discipline canonique. Nous avons parlé plus haut, col. 1325, de la tentative du concile in Trullo d’uniformiser le droit ecclésiastique pour l'Église entière. La résistance des papes fit échouer le projet pour ce qui regarde l’Occident. On connaît les points principaux où la discipline romaine était condamnée : loi du célibat ecclésiastique, jeûne des samedis de carême, usage des œufs et du laitage en carême : trois divergences que relèvera bientôt Photius. Mais ce qui était plus grave, c'était le désaccord sur les sources mêmes du droit canon. L'Église romaine n’avait reçu officiellement au début que les canons du premier concile de Nicée et ceux de Sardique et s'était désintéressée de la législation des autres conciles orientaux, œcuméniques ou locaux. Puis certaines de leurs prescriptions passèrent dans l’usage des Églises occidentales sous l’influence de la collection de Denys le Petit devenue officielle dans l'Église romaine. L'Église byzantine au contraire retenait tout cet héritage du passé et y avait ajouté, au concile in Trullo, plusieurs autres sources fort disparates, auxquelles s’adjoignaient les novelles impériales. Par contre, elle ignorait complètement les décrétais des papes du ive et du v c siècle. Que des sujets de querelle pussent sortir de ce désaccord, l’avenir ne le dira que trop.

V. LES FORCES UNIONISTES OPPOSÉES AUX TENDANCES séparatistes.

Pour ne pas fausser la perspective historique, il ne sera pas inutile de dire un mot des forces de cohésion qui maintenaient encore, en plein ixe siècle, la communion ecclésiastique entre l’ancienne et la nouvelle Rome.

Parmi ces forces de cohésion, il faut mettre en première ligne la ferme croyance en la primauté de droit divin de l'évêque de Rome, successeur de saint Pierre, qui persistait encore dans l'Église byzantine. Les

schismes mêmes et les multiples hérésies orientales fournirent au Siège apostolique d'éclatantes occasions de manifester son autorité suprême et d’intervenir dans les affaires de cette Église. Chacune de ces séparations se termina par une victoire de la primauté romaine. Patriarches et empereurs la reconnurent officiellement. Évêques, clercs et fidèles d’Orient, entre le ve et le ixe siècle, en appelèrent bien souvent au pape pour demander lumière, protection et assistance. On reconnaissait non seulement l’infaillibilité de son magistère dans les questions de foi, mais aussi sa juridiction universelle sur toutes les Églises particulières. On connaît plus d’un cas, en effet, d’intervention directe du pape dans l’administration intérieure des patriarcats orientaux, spécialement de celui de Constantinople, quand il s’agit, par exemple, de casser la sentence d’un patriarche sur un de ses clercs en ayant appelé à Rome. Sur ces recours des Orientaux au SaintSiège et ces interventions des papes en Orient avant le ixe siècle, voir l’article Piumauté, t. xiii. col. 276-302. Pour le IXe siècle spécialement, ces interventions et ces appels furent particulièrement frappants, comme nous l’avons montré. Ce fait est gros de conséquences dans l’histoire du schisme byzantin et suffirait à le faire disparaître, si les hommes se laissaient guider par la logique.

Il importe, du reste, de rappeler que, durant cette période, les papes étaient loin d’exercer leur primauté sur l’Eglise universelle de la même manière que de nos jours. La centralisation actuelle, fruit d’une longue évolution, n’existait pas. Une autonomie à peu près complète était laissée aux Églises particulières en Occident même pour ce qui regarde les usages liturgiques et disciplinaires. Pour l’Orient en particulier, le pape n’intervenait guère que dans les cas suivants : 1. en cas d’appel direct à lui adressé ; 2. lorsque la foi était un jeu ou qu’il s’agissait d’une question de discipline générale ; 3. en cas de convocation d’un concile œcuménique, l’oint de concile œcuménique sans le pape : tel était l’axiome unanimement reçu en Orient encore au ixe siècle. En temps ordinaire, le pape ne se mêlait ni de l'élection ni de la consécration des patriarches et des évêques orientaux. I.e lien de communion fraternelle se nouait par l’intermédiaire des patriarches et se traduisait visiblement par l’envoi réciproque des lettres dites synodiques ou enlhronisliques, dont l'élément essentiel était une profession de foi.

Parmi les forces unionistes de cette période, il faut signaler le monachisme byzantin, qui se montra généralement dévoué au Siège apostolique et à l’orthodoxie qu’il représentait. Durant les persécutions iconoclastes, les moines studites se signalèrent spécialement par leur attachement à la papauté. A Rome même, la présence de nombreux moines byzantins servait la cause de l’unité. Cf. Pargoire, op. cit., p. 66-73, 210-214, 307310 ; Duchesne, Églises séparées, p. 206-207 ; P. Batiffol, Librairies byzantines à Rome, dans Mélanges d’archéologie et d’histoire de l'École française de Borne, t. VIII, 1888, p. 295 ; F. Dvornik, Les légendes de Constairfin et de Méthode vues de Byzance, Prague, 1933, p. 285 sq.

Il faut noter aussi que, mise à part la tentative avortée du concile in Trullo, personne, en Orient, ne songeait à exploiter contre l'Église romaine et l’unité chrétienne les divergences rituelles et canoniques entre les Eglises. Les rites romain et byzantin étaient pratiqués librement sur le territoire respectif des deux patriarcats. En 711, le pape Constantin I er fut reçu à Nicomédie avec de grands honneurs par le basileus Justinien II, qui assista à sa messe et voulut communier de sa main. À cette occasion, l’empereur renouvela tous les privilèges de l'Église romaine. De nombreux papes d’origine grecque ou syrienne, une douzaine