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SCHISME 15 Y Z. CAUSES INDIRECTES


les mésaventures de plusieurs légats romains dans les conciles orientaux, attribuâmes à leur ignorance de la langue grecque.

Du côté grec, on peut dire que l’ignorance de la théologie latine fut à peu prés complète. Les Grecs se plaignent souvent de la pauvreté et de l'étroitesse de la langue latine ; c’est pourquoi ils se dispensent de l’apprendre. Les Pères d'Éphèse en 431 ignorent le latin et demandent qu’on leur traduise les lettres du pape. Mansi, Concil., t. iv, col. 1283. À la fin du vie siècle, saint Grégoire le Grand, alors qu’il remplit l’office d’apocrisiaire à la cour de Constantinople, se plaint de ne trouver dans cette ville aucun interprète capable de bien rendre en grec les documents latins : cf. Epist. ad Eulogium patriarcham, P. L., t. lxxvii, col. 1099 A. Mais lui-même ne se donne pas la peine d’apprendre le grec. Sous Justinien, le latin était encore la langue du droit, des tribunaux et de l’armée ; mais les novelles se rapportant aux choses ecclésiastiques étaient publiées en grec. Si les autres recueils juridiques paraissaient en latin, il fallait aussitôt les traduire en grec pour l’usage courant. Ce dernier reste d’influence latine ne tarda pas à disparaître. C'était chose faite sous Iléraclius. Le latin ne fut plus représenté à Byzance que par certains termes techniques, relatifs aux emplois de la cour et de l’administration.

D’un côté comme de l’autre, mais surtout du côté grec, les traductions ne vinrent point suppléer à l’ignorance des langues. Des Pères latins, les Grecs ne connurent guère que le Tome de Léon à Flavien et les textes des Pères latins qui l’accompagnent. Saint Possidius, dans sa Vila Augustini, 11, P. L., t. xxxii, col. 42, dit bien que des ouvrages de l'évêquc d’Hippone furent traduits en grec. Mais de ces traductions on ne découvre pas trace dans la littérature théologique de l’Orient. Le De fuie orthodoxa de saint Jean Damascène ignore complètement le grand docteur latin qui a enseigné tout le Moyen Age occidental et il faudra attendre la fin du xiii c siècle pour voir paraître la traduction grecque du De Trinitate d’Augustin, exécutée par le moine Maxime Planude. Saint Grégoire le Grand obtint un traitement de faveur. Anastase II d’Antioche, au début du vii c siècle, fit connaître aux Byzantins son De cura paslorali et, deux siècles plus tard, le pape saint Zacharie, un Grec d’origine, donna une version grecque de ses Dialogues, d’où lui est venu en Orient le surnom de h AiàXoyoç. Théodore !, dans ses Dialogues, I et II, cite bien Hilaire, Ambroise, Damase et Augustin, mais il s’agit de petits bouts de textes insignifiants puisés dans quelque florilège. Cette ignorance presque totale de la littérature théologique de l’Occident parmi les Grecs n’a pas peu contribué au succès de l 'hérésie photienne sur la procession du Saint-Esprit, qui a fourni au schisme sa base dogmatique.

Les Latins connurent un peu mieux la patristique grecque. Au cours des premières controverses doctrinales, ils alignent habituellement quelques témoignages orient aux, pour la plupart issus de florilèges (comme les Actes d'Éphèse) el dont l’authenticité était parfois suspecte. Jusqu’au xir siècle, ils ignoreront le De fide orthodoxa de saint Jean Damascène ; la Mystagogie sur la procession du Saint Esprit de Photius ne leur sera pleinement révélée qu’au xixe siècle par l'édition du cardinal Hergenrôther. Leur connaissance de la liturgie grecque et des rites orientaux en général sera à peu près nulle pendant tout le.Moyen Age. En plein nuie siècle, un saint Thomas d’Aquin sera trompé par un falsificateur de textes grecs, qu’un connaisseur de la langue grecque eût tôt fait de démasquer ; il pourra taire toute une théorie (lu sacrement de l’ordre sans tenir le moindre compte des usages pratiqués par les Crées unis à deux pas de Naples où il nseignel

3° L'évolution indépendante des deux Églises dans le triple domaine théologique, liturgique et canonique. — La diversité des formules pour exprimer la même vérité révélée, les différences dans les rites, les usages et coutumes pour tout ce qui ne touche pas à la foi ne constituent pas, par elles-mêmes, un obstacle à l’unité de l'Église. Mais ces divergences peuvent facilement être exploitées par les fauteurs de schisme. C’est ce qui est arrivé pour le schisme byzantin.

Des divergences existaient entre l'Église d’Occident et l'Église d’Orient sous le triple rapport de la spéculation théologique, des rites et des usages liturgiques. A partir du ive siècle, chacune des deux Églises avait évolué, dans ce triple domaine, d’une manière à peu près indépendante, bien que les ressemblances et les points de contact fussent nombreux. La diversité des langues, l'éloignement, la séparation politique, la différence de caractère avaient contribué à cette multiple variété.

1. Théologie.

Théâtre des grandes controverses, théologiques à partir du ive siècle, l’Orient orthodoxe doit défendre le dogme révélé contre les hérétiques qui l’attaquent au nom de la philosophie profane. C’est pourquoi les Pères grecs s’abstiennent, en général, de spéculation philosophico-théologique et en appellent avant tout aux données révélées de l'Écriture et de la tradition. Leur théologie est essentiellement positive et concrète. Cela se voit surtout dans leurs écrits sur les mystères de la Trinité et de l’incarnation. Dans la Trinité, leur pensée se fixe d’abord sur les trois personnes nommées dans l'Écriture et par la consubstantialité des personnes arrive à l’unité de la nature divine. De là leurs formules : Le Saint-Esprit procède du Père par le Fils — Dieu le Père opère tout par son Verbe dans le Saint-Esprit. Le mouvement de la vie divine se déploie en ligne droite. À propos de l’incarnation, ces Pères ont de la peine à arriver à la notion de nature individuelle abstraite de son sujet. De là les mouvements opposés du nestorianisme et du monophysisme et les logomachies, dès que leur conception se heurte à celle des Occidentaux. Quant à la notion de nature abstraite universelle, elle ne fait son apparition dans la théologie grecque qu’avec le philosophe aristotélicien Jean Philopon (vie siècle).

L’hostilité des Byzantins à l'égard de toute spéculation philosophique appliquée au dogme se fit plus ombrageuse à partir du ixe siècle, après le triomphe définitif sur les hérésies. À partir de saint Jean Damascène, la théologie grecque devint essentiellement conservatrice et l'ère du développement dogmatique parut close pour elle. Un essai de scolastiquc au xi c siècle, avec les philosophes Jean Italos et Michel Psellos, essai qui promettait beaucoup, fut arrêté dans l'œuf, à la fois par l’intervention de l'Église et celle de l'État.

La théologie latine, ayant eu moins à lutter contre les hérésies trinitaires et christologiques et ayant eu la bonne fortune de posséder déjà dès le tne siècle, grâce a Tertullien, des formules claires et suffisantes, qui ont fini par s’imposer à l’Orient, a pu se donner plus de liberté dans la tentative d'éclaircir les mystères par la spéculation philosophique. Son plus illustre représentant, saint Augustin, dont la foi a toujours cherché plus de lumière, lui a magistralement tracé cette voie. A l'époque où la théologie grecque commence à se figer dans son immobilité, la scolasl ique latine commence sa brillante évolution. Autre divergence : alors que la pensée grecque est essentiellement concrète et positive, la pensée latine a une tendance marquée à l’abstrac tion. Dans la théologie trinitaire, les Latins, à la suite de saint Augustin, considèrent la nature divine avant les personnes et par la considération de la nature cherchent a trouver un fondement à la trinité des personnes. I)e là leur belle t héorie psychologique de la Tri-