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SCHISME. DEFINITION


Cajétan apporte à cette doctrine une précision qu’il faut noter. Il cherche à déterminer exactement quelle est l’unité à quoi le schisme se soustrait. Ce n’est pas l’unité des vertus théologales et des sacrements. Encore que ces réalités importent à l’unité de l’Église, elles ne la constituent point en sa réalité ultime ; si elles donnent à chaque fidèle une qualité surnaturelle, elles ne font pas des fidèles une seule chose, une seule Église ; elles font des fidèles similes, non une Ecclesia una. Il ne suffit même pas, pour que l’Église soit parfaitement une, que tous obéissent à un même gouvernement : car des groupements particuliers peuvent avoir un gouvernement unique sans former pour autant un seul peuple : ainsi, disait Vitoria, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, ayant le même empereur ; ainsi dirions-nous aujourd’hui, l’empire britannique. Ce qui fait finalement l’Église une, ce à quoi s’attaque précisément l’acte schismatique, c’est que chacun des fidèles règle sa pensée, sa prière, son action, etc., bref sa vie chrétienne comme doit l’être la pensée, la prière, l’action, bref la vie de quelqu’un qui n’est pas un tout autonome, mais une partie dans un seul tout, dans une communauté, esse partem unius numéro populi. Ainsi le chrétien ne s’appartient pas, mais il est réglé par le corps tout entier et lui-même vit pour le corps ; tout ce qu’il fait, il doit le faire comme une partie d’un tout, et non d’une façon autonome et autarcique. Le schismatique est celui qui se refuse à agir, à se conduire comme une partie, qui veut penser, prier, agir, vivre en un mot, non dans l’Église et selon l’Église, comme une partie qui est mesurée par le tout, par l’organe régulateur de la vie commune, qui est l’autorité, mais comme un être autonome, qui détermine lui-même sa loi de pensée, de prière et d’action. Cajétan, In 7/ am 77°, q. xxxix, a. 1, n. 2 ; comparer S. Thomas, In 7V um Sent., dist. XIII, q. ii, a. 1, ad 2um : dicuntur enim schismatici qui concordiam non servant in Ecclesiæ observantiis… volentes per se Ecclesiam conslituere singularem.

Cajétan ajoute une considération très profonde et qui rejoint la substance la plus traditionnelle et la plus antique de la pensée chrétienne. À ce mouvement qui pousse intérieurement les fidèles à agir ut partes en vue de l’unité de l’Église, il ne faut pas chercher d’autre cause, dit-il, que le Saint-Esprit, qui a voulu que l’Église fût une et qui, sans cesse, la réalise telle en poussant intérieurement les âmes à se conduire en elle comme des parties au sein du tout. Il meut intérieurement les âmes à cette communion, et la charité qu’il diffuse dans le cœur des chrétiens porte intérieurement un poids, une poussée, une espèce de gravitation dans le sens de l’entr’aide, de l’obéissance aux chefs, de la communion, bref d’un comportement de partie. Ibid. Les Pères et les grands théologiens médiévaux ou ceux de leur tradition ont souvent énoncé des idées semblables : Ad ipsum (Spiritum) pertinet societas qua efjicimur unum corpus unici Filii Dei, S. Augustin, Serm., lxxi, n. 28, P. L., t. xxxviii, col. 461 ; S. Basile, Liber de Spiritu Sancto, c. xxvi, n. 61, P. G., t. xxxii, col. 181 ; Séb. Tromp, S. J., De Spiritu S. anima corporis mystici testimonia selecta : I. Ex Patribus græcis. II. Ex Palribus latinis, Rome, 1932 ; S. Thomas, Sum. theol., II » -II", q. clxxxiii, a. 2, ad 3um et ses textes concernant l’idée de Communio sanctorum ; Albert le Grand : Per Spiritum Sanctum totum corpus mysticum unientem et vivificantem, et facientem pro invicem sollicita membra esse, In 777um Sent, dist. XXIV, a. 6, sol. ; Bossuet, Sermon pour la Pentecôte, 1658, 2e point, éd. Lebarcq, t. ii, 1891, p. 503 sq., etc.

Ainsi la communion ecclésiastique a-t-elle, comme principe de sa réalisation et du mouvement des âmes en sa faveur, la charité et le Saint-Esprit qui la met et la gouverne en nous ; et elle a comme critère propre ment ecclésiastique, le chef visible de la chrétienté.

II nous faut encore apporter quelques précisions : 1. Les théologiens médiévaux, ceux du moins des xive, xve et xvie siècles, ont le souci de noter que le schisme est une séparation illégitime de l’unité de l’Église, car, disent-ils, il pourrait y avoir une séparation légitime, comme si quelqu’un refusait l’obéissance au pape, celui-ci lui commandant une chose mauvaise ou indue. Turrecremata, op. cit., c. i. La considération peut paraître superflue, et l’on peut penser que, comme dans le cas de l’excommunication injuste, il y aurait là une séparation de l’unité pure ment extérieure et putative. — 2. Il ne suffif pas, pour vérifier l’appellation de schisme, du moins au sens propre et théologique du mot, d’un acte contraire à la seule unité d’un groupe particulier intégrant la communion de l’Église universelle : ainsi, un religieux qui changerait le régime intérieur de son ordre ; il faut, pour vérifier la notion de schisme, que l’unité de l’Église elle-même soit violée, qu’il y ait refus d’agir ut pars en une matière qui intéresse l’unité de l’Église comme telle et en une occasion où la règle de la communion est énoncée d’une manière certaine par l’autorité légitime et compétente : peu importe alors à quel échelon la chose se produit. S. Thomas, loc. cit. : Turrecremata, loc. cit. — 3. Il ne serait pas exact de dire que le schisme détruise ou même atteigne l’unité de l’Eglise : « Qui donc pourrait croire que cette unité issue de la stabilité divine et homogène aux mystères célestes puisse être déchirée dans l’Église et brisée par l’opposition de volontés en désaccord ? » Cyprien, De unitate Ecclesia’, c. iv ; comparer Congar, op. cit., p. 59, 72, 319. L’Église ne perd rien, son unité ne souffre pas s c’est le schismatique qui en sort. Cajétan fait à ce sujet une distinction éclairante, classique d’ailleurs dans le cas des péchés que nous commettons envers Dieu : celle de Vafjectus et de Veffectus : l’intention, afjectus, du schismatique attaque l’unité de l’Église ; en réalité, efjectu, il ne détruit cette unité qu’en soi même. Loc. cit., n. 4. — 4. Le même Cajétan apporte enfin une précision d’apparence subtile, mais qui répond heureusement à une difficulté très réelle. Voici cette difficulté : le péché de schisme peut être le lait d’un homme qui a déjà perdu la charité ; comment dès lors peut-on dire qu’il s’oppose à l’unité ecclésiastique en tant que celle-ci est un effet propre de la charité ? Cajétan maintient que la communion ecclésiastique est non la charité elle-même, mais un effet de la charité, movet enim Spirilus Sanctus per caritatem singulos fidèles ad volendum se esse partes unius collectionis catholicæ quam ipse vivificat, ac per hoc ad constituer ! dum unam Ecclesiam ; mais, parmi les effets de la charité, certains sont vivants et « formés « de leur nature même, comme la contrition, d’autres peuvent être « informes », c’est-à-dire coupés de la charité, comme l’acte de prendre en pitié ou de donner l’aumône en vue du Christ. Or, si à la considérer en elle-même, la communion ou unité ecclésiastique est toujours liée à la charité, car elle est comme telle l’acte de toute l’Église, laquelle a toujours la charité, à la considérer en tel ou tel baptisé, elle peut n’être pas reliée à son principe, qui est la charité. On ne devient pas schis matique pour avoir simplement perdu la charité ; on peut encore, ayant perdu la racine vivante de la communion, observer les règles de celle-ci, c’est-à-dire la loi de Vagerc ut pars. Cajétan, loc. cit., n. 3 ; Suarez, loc. cit., n. 3, p. 734, critique cette réponse de Cajétan.

2° Manières diverses de commettre le péché de schisme.

— 1. Deux éléments intégrant la communion ecclésiastique, à savoir la conjonction des membres entre eux et l’ordre de tous au chef, il y aura d’abord deux manières de briser cette communion : soit en manquant à la connexion des membres, c’est-à-dire en dénonçant