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SCANDALE. MALICE


du Christ et de ses enseignements les plus élevés.

Le scandale actif peut très bien exister sans qu’il y ait scandale passif et vice-versa. Une action mauvaise commise devant témoins excite souvent en ces derniers des sentiments d’amour à l’égard de Dieu ou de commisération spirituelle pour le pécheur. De même un péché commis en public ne constitue pas toujours un scandale, car ceux qui l’ont vu commettre sont parfois spirituellement si bien aguerris qu’ils n’y trouvent aucune occasion de tomber. Il n’y a danger de scandale que lorsque l’entourage risque de se laisser aller à une faute qu’autrement il n’aurait pas commise. Saint Alphonse le déclare : Non semper est scandalum, si pecces coram aliis, sed tantum quando, attends circumstantiis tam personæ agenlis, tam coram quibus fit actus, potest probabiliter limeri ne per hune actum trahantur ad peecatum qui alias peccaturi non essent. Theol. moralis, t. II, n. 43. En revanche, bien des actions excellentes donnent parfois lieu au scandale passif. Nous l’avons vu précédemment.

III. Malice du péché de scandale.

1° Malice du scandale direct. — Le scandale actif directement voulu est un péché grave en son genre contre la charité et contre la vertu qui est lésée par celui qui se scandalise. Ce double élément de culpabilité est indubitable quand il s’agit d’un scandale causal, car l’agent est véritablement l’auteur responsable du péché commis par autrui. Il semble aussi exister dans le scandale occasionnel, car celui qui a commis l’acte peccamineux est bien à quelque titre coupable de la malice du péché auquel s’est laissé aller le prochain, vu qu’il y a pour ainsi dire coopéré. C’est pourquoi celui qui s’est rendu coupable d’une faute de ce genre doit non seulement s’accuser en confession d’avoir scandalisé son prochain, mais aussi dire en quoi, et donc déclarer l’espèce du péché dont il a été la cause ou l’occasion. S. Alphonse, Theol. moral., t. II, n. 44.

Le scandale est grave. C’est pourquoi il est sévèrement réprouvé par le Christ dans la sainte Écriture : « Mais celui qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachât au cou la meule qu’un âne tourne et qu’on le précipitât au fond de la mer. Malheur au monde à cause des scandales ! Il est nécessaire qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive, » Matth., xviii, 6-9. Cf. Marc, ix, 42 ; Luc, xvii, 1 : « Jésus dit encore à ses disciples : « Il est impossible qu’il n’arrive pas de scandales, mais malheur « à celui par qui ils arrivent. »

En effet, si le Christ, dans son amour infini pour les hommes, a accepté de s’incarner, de souffrir pour eux les ignominies de la passion et de mourir sur la croix, afin de réconcilier l’humanité déchue avec son Père céleste, celui-là pèche gravement qui, par ses paroles ou ses actions, entraîne les autres au mal et risque ainsi de perdre définitivement ceux que le Rédempteur a voulu racheter.

Il est grave aussi d’attenter à la vie spirituelle d’au-Irui, car la charité fait à l’homme un devoir primordial d’aimer son prochain et de lui désirer la vie éternelle. Voir S. Thomas, IIa-IIæ, q. xliii, a. 2 ; S. Alphonse, Theol. mor., t. II, n. 45.

Dans la pratique, le scandale est plus ou moins grave suivant les circonstances. Généralement il est péché mortel, quand il provoque une faute grave, même si l’acte peccamineux qui est à l’origine n’est que véniel en soi. En revanche, il est véniel lorsque le péché dont il est l’occasion n’est que véniel.

La gravité se mesure aussi en partie à l’influence réelle de l’acte extérieur sur la chute du prochain. Four déterminer cet élément très important, il faut tenir compte non seulement de la situation sociale et des fonctions de l’agent, c’est-à-dire de celui qui occa DICT. DE THÉOL. CATHOL.

sionne le scandale, mais aussi des caractères des témoins ou des « patients ». Il y aura d’autant plus de danger de faute que ces derniers sont plus faibles ou encore insuffisamment formés par l’expérience de la vie. La culpabilité augmente aussi vraisemblablement avec le nombre de ceux qui tombent dans la faute à l’occasion de l’acte peccamineux posé par autrui ; car il ne paraît pas que le péché se multiplie numériquement en proportion de ceux qui se sont scandalisés.

Enfin, il est absolument indispensable de savoir si l’agent a prévu et voulu au moins confusément les conséquences funestes de son acte, de ses paroles ou de son omission. Malgré les apparences, un scandale même direct peut donc parfois n’être que péché véniel à cause de la légèreté de matière, du manque de connaissance ou d’une advertance insuffisante ; il en est ainsi, car l’acte qui en est le principe ne réunit pas toutes les conditions requises pour qu’il y ait une faute mortelle. Au contraire est coupable d’un scandale grave celui qui fournit volontairement et sciemment une occasion de chute mortelle, même à celui qui actuellement est déjà disposé à tel péché, même à celui qui est habituellement prêt à une déchéance morale de même espèce, comme serait le fait de demander le plaisir charnel à une prostituée, ou la bonne aventure à un devin.

Dans ces hypothèses, l’acte peccamineux externe augmente en quelque sorte une malice grave déjà existante : Per opus externum additur aliquid malitiæ quia tune ipsius voluntatis malitiu augetur. Quapropter quamvis, spéculative loquendo, sit probabilior thomislarum sententia, praclice tamen dicimus, quod ex communiter contingentibus, per actum externum semper augetur malitia voluntatis, ob ejus majorem complacentiam, conalum. diuturnitatem. S. Alphonse, op. cit., t. II, n. 47.

Par ailleurs celui c|ui est habituellement disposé au péché accroît également sa culpabilité parce qu’il charge sa conscience d’une nouvelle faute, en péchant hic et nunc.

2° Question annexe : Est-il permis de suggérer au prochain une action moins mauvaise pour éviter qu’il n’en commette une plus grave ? — Certainement non, s’il s’agit de lui faire commettre une faute à laquelle il n’est pas encore déterminé : il ne saurait être licite de suggérer un vol auquel il ne songe pas à celui qui est sur le point de tuer un de ses semblables ou de s’adonner à un acte de fornication.

Mais si un individu est décidé au mal et qu’il soit moralement impossible de l’en détourner, il est permis, semble-t-il, pour éviter un plus grand péché, de lui en conseiller un moindre, mais de même espèce, à condition, bien entendu, que cet avis ne puisse d’aucune façon être considéré comme une approbation de l’acte peccamineux. Ne vaut-il pas mieux, par exemple, qu’un voleur ne dérobe que cinquante francs au lieu d’en prendre mille comme il en avait l’intention. Cette opinion semble probable. C’était déjà celle de saint Alphonse : Secunda sententia probabilior lenel licilum esse minus malum suadere, si aller jam determinatus juerit ad majus malum exequendum… Ratio, quia lune suadens non quwrit malum, sed bonum, scilicel electionem minoris mail… Op. cit., t. II, n. 57.

Malice du scandale indirect.

Le scandale indirect

n’est pas permis non plus, à moins que l’action extérieure soit bonne en soi ou indifïérente, que la fin poursuivie par l’agent soit honnête et qu’il y ait une raison suffisante et proportionnée pour excuser de la faute qui sera commise par le prochain qui se scandalise. C’est en somme l’application des principes moraux qui régissent le volontaire indirect : ces principes, ils étaient déjà, dans la question de la manducation des idolothytes, à la base de l’attitude conseillée par saint

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