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ROUSSE A U. L’EMILE

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tera ensuite à celle difficulté que, pour classer un fait parmi les surnaturels, il faut connaître toutes les lois de la nature, car il y a tant de faux prodiges invoqués en faveur des fausses religions ! I'. 1 13-149. Les prophéties offrent les mêmes difficultés. Il me faudrait avoir été « témoin de la prophétie, …de l'événement » et « qu’il me fût démontré que cet événement n’a pu cadrer fortuitement avec la prophétie ». P. 157. « Coin ment Dieu choisirait-il pour attester sa parole des moyens qui ont eux-mêmes si grand besoin d’attestation ? » I'. 143. Les catholiques « font grand bruit de l’autorité de l'Église », mais ils ont la même difflculté pour l'établir. P. 165.

La doctrine d’ailleurs doit porter la marque de Dieu, donc offrir des dogmes « clairs, lumineux, frappants par leur évidence », ne pas le représenter « colère, jaloux, toujours prêt à foudroyer » et ne pas nous « imposer des sentiments d’aversion pour nos semblables », autrement « je me garderais bien de quitter la religion naturelle ». I>. 338-339. En fait, il y a « trois principales religions » qui se partagent l’Europe. Elles se contredisent. Comment choisir entre elles, toutes preuves en mains ? P. 102-168. Pour trouver dans ces conditions la vraie religion à laquelle il faudrait adhérer sous peine de damnation, l’homme devrait y mettre toute sa vie ; ce serait la fin de tout travail et de toute civilisation. P. 339. Dès lors, conclut le vicaire, « j’ai refermé tous les livres » pour le seul « ouvert à tous, celui de la nature. Nul n’est excusable de n’y pas lire. J’y apprends de moi-même à connaître Dieu, à l’aimer, …et à remplir pour lui plaire tous mes devoirs sur la terre. Qu’est-ce que tout le savoir des hommes m’apprendra de plus ? » P. 397.

Mais « la majesté de l'Écriture m'étonne ; la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur ». Et « si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu ». P. 178-180. Oui, mais « avec tout cela, l'Évangile est rempli de choses incroyables, qu’il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d’admettre ». P. 183. « Que faire ? Respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter ni comprendre. » P. 184.

Pratiquement, il faut « servir Dieu dans la simplicité de son cœur », extérieurement « suivre la religion de son pays qui est une manière uniforme d’honorer Dieu par un culte public », et ne pas l’abandonner. Enfin, être tolérant pour les autres. « En attendant de plus grandes lumières, dans tout pays, respectons les lois, ne troublons point le culte qu’elles prescrivent : car nous ne savons point si c’est un bien pour eux de quitter leurs opinions pour d’autres et nous savons très certainement que c’est un mal de désobéir aux lois. » p. 190.

d) Du contrat social ou Principes du droit politique, Amsterdam, in-12, 1762 (cité ici, d’après l'édition G. Beaulavon, in-16, Paris, 1903). — Quinze jours avant l’Emile, parut ce traité, fragment d’un traité plus étendu, entrepris à Venise par Rousseau, Institutions politiques, faisant la suite des deux Discours et de l’article Économie politique, et dont les idées fondamentales se retrouvent dans Y Emile, t. V, et dans la sixième des Lettres de la montagne. Un manuscrit trouvé à Genève et publié en 1887, contient une ébauche du Contrat. Cf. A. Bertrand, Texte primitif du contrat social, Paris, 1891, et B. bre> fus-Biïsac, Le contrat social, Taris, 1898, Introduction.

Dans le manuscrit de Genève, p. 202. Rousseau écrit : « Je cherche le droit et la raison et ne discute pas des faits. » Ce n’est pas une quest ion historique, comme dans le Discours sur l’inégalité, OU comme Montes quieu dans l’Esprit des lois, mais un problème théorique qu’il traite. Partant de ces affirmations : L’homme est né libre et partout il est dans les fers », éd. cit.,

p. 107 : et les autorités établies reposent sur la force, la guerre ou l’esclavage, donc sur un titre illégitime. contraire à la nature et aux droits naturels de l’individu, c. ii, iii, iv, Rousseau se demande : Ne peut-on imaginer — puisque < les vices des hommes rendent l’organisation sociale nécessaire ». cf. Correspondance, t. x, p. 37 — une forme de société qui existerait légitimement, en conformité avec les droits naturels et la raison, et qui unirait les avantages de la loi naturelle à ceux de l'état social. Ce problème se ramène à celui-ci : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse qu'à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. » Contrat, t. I, c. vi, p. 127. Rousseau en voit la solution dans ce pacte social : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale » — donc, « aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté » — « et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout, c’est-à-dire, tous les contractants exercent des droits égaux et le corps social reconnaît chacun d’eux comme membre de l'État… » Ibid., p. 127-129.

Le souverain est donc l’ensemble de tous les individus liés par le contrat, c’est-à-dire des citoyens. La souveraineté du peuple est inaliénable : il ne peul légitimement déléguer ses pouvoirs d’une façon indéterminée et définitive, t. II, c i ; elle est indivisible dans son principe et dans son objet, ibid., c. ii, et il ne saurait être question de séparation des pouvoirs. Cf. Esprit des lois, t. XI, c. vi. Elle s'étend sur tout ce qui est avantageux à tous et va aux fins de la société. L. II, c. iv. La volonté de ce souverain… tend toujours à l’utilité publique : « Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c’est alors qu’il paraît vouloir ce qui est mal. » Ibid., c. iii, p. 150.

A ce peuple, il faut donc un législateur « d’intelligence exceptionnelle », qui ne soit ni souverain ni magistrat, afin qu’aucune passion ne trouble son jugement, tel que furent Lycurgue à Sparte, Calvin à Genève, tel que le voulait être Rousseau pour la Pologne et pour la Corse. Ibid., c. vu.

L’expression de la volonté générale est la loi. Elle aura toujours pour objet l’intérêt général. Ibid., C. vi. Elle crée le droit. Elle exige donc de tous une obéissance absolue, en tout ce qui est l’intérêt général. Mais le peuple souverain est seul juge des limites qu’il convient d’imposer à la loi, du bien et du mal [égal. Ibid., c. iv, p. 19. Rousseau dira même : « Il ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale pour le corps du peuple, pas même le contrat social. » L. I, c. vii, p. 132. Il n’y a pas de droits et de devoirs en dehors du pacte social. Cf. R. Slammler, Notion et portée de la « volonté générale » chez Rousseau, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 383-389.

A défaut d’un accord unanime, on tiendra la majorité pour l’expression de la volonté générale. D’autre part, si quelqu’un refuse d’obéir à la volonté générale, il pourra y èlre contraint par tout le corps. Ibid., c. vu. Enfin, il importe, pour bien discerner la volonté générale, « qu’il n’y ail pas de société partielle dans l'État et que chaque citoyen n’opine que d’après lui », car les associations substitueraient aux volontés individuelles des réponses concertées en vue d’intérêts pari iculiers, L. 1 1, c m.

L’homme gagne-t-il dans ces conditions à passer de l'état de nal lire a l'étal social ? Si l'état social était réalisé sans abus, « l’homme devrait bénir l’instant heureux qui, d’un animal stupide et borné, lit un èlre intelligent ». I. I. c. VIII, p. 136-137, et le lit passer de l'étal impulsif a l'état raisonnable et moral >.