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SAVONA-ROLE. DOCTRINE ET ŒUVRES


pour le nôtre ! Et moi je vous répète que les paroles d’Amos s’accompliront de nos jours. »

IV. Influence dans, l’ordre des frères prêcheurs. — Les confrères dominicains de Savonarole, enchantés de ses premiers succès apostoliques, l’avaient placé à la tête du couvent célèbre de Saint-Marc et des diverses maisons religieuses qui en dépendaient. Savonarole se trouva non seulement engagé dans les tracas d’une administration et dans des luttes avec d’autres congrégations dominicaines, mais dans toute une entreprise de réforme monastique qu’il prit singulièrement à cœur. Il s’engagea dans cette affaire avec le zèle, la fougue et le manque de mesure que l’on peut deviner. Il s’attacha surtout à la formation des jeunes religieux. Il y mettait beaucoup de gaîté, mais il était austère et d’une manière quelque peu étriquée. Il développait surtout chez les novices le goût et la pratique des études scripturaires. La piété qu’il prônait était exempte de toute complication mystique, sans mièvrerie, mais trop rigide. Il avait réussi à faire entrer au couvent de Saint -Marc tout ce qui comptait dans la jeunesse intelligente de Florence. On dit que Pic de La Mirandole faillit prendre l’habit de Saint-Dominique.

Le froc blanc des frères de Savonarole, à force de pauvreté, était devenu une courte et étroite tunique ne dépassant pas les genoux. La nourriture était insuffisante. Savonarole institua un tel communisme que tous les biens de la communauté ayant été abandonnés, les religieux gagnaient par leur travail leur maigre pitance. Les quelques privilégiés de la prédication, exempts de cette tâche servile. avaient toutes les facilités requises pour leur ministère.

A se mêler de tant de difficultés de la vie religieuse, Savonarole s’attira beaucoup de haines. Comme il advint dans le cas de Luther, et quoiqu’il ait eu des ennemis de bonne foi, l’aspect « querelle de moines », quoi qu’on en ait dit, est bel et bien un aspect réel du cas de Savonarole. D’aucuns franciscains travaillaient à le perdre. Quant au frate Mariano de Germazzano dont sa gloire avait éclipsé le renom de premier prédicateur de Florence, il alla même à Rome prêcher devant les cardinaux contre les crimes de Savonarole. Son sermon fut d’une violence inconcevable. Il le traita de « juif, gredin, coquin, filou ». Il déclara : « Il porte une robe courte et prêche la pauvreté, mais ses poches sont doublées d’argent : croyezmoi je sais ce que je dis. Il faut un moine pour comprendre un moine ; nous avons plus de pelures qu’un oignon ; si vous voulez vous renseigner sur l’un de nous, adressez-vous à un autre. »

V. Doctrines et œuvres. — Les divers écrits ou publications de Savonarole s’inspirent d’une piété, vive jusqu’au lyrisme et parfois jusqu’à l’exaltation. L’auteur est secondé dans ses divers écrits par un talent d’exposition remarquable. Mais il ne faut lui demander aucune révélation nouvelle concernant les voies mystiques. Il suit assez là-dessus saint Bcnaventure. Il ne faut pas lui demander non plus une dialectique puissante, susceptible de renouveler les positions des philosophes. Sa doctrine philosophique est le thomisme qu’il a exposé de la manière la plus littérale, avec le dessein évident de n’en retenir que l’essentiel, la moelle. Il n’a pas du tout la mentalité d’un commentateur verbeux. Ainsi son Triomphe de la Croix constitue une apologétique dont on a remarqué l’apparentement avec la Somme contre les gentils de saint Thomas. Mais combien l’appareil dialectique se trouve simplifié par Savonarole. Le réformateur florentin n’admirait point les verbiages profanes des humanistes.

Il est curieux de relever avec Ch. Jourdain, La philosophie de saint Thomas d’Aquin, t. ii, p. 243, que Savonarole était soupçonné par ses contemporains

rie réduire le libre arbitre de l’homme afin de faire de Dieu « la cause et le principe absolu de notre mérite ». Cette théorie de la justification, assez semblable à d’autres qu’on voit apparaître un peu partout à cette époque, prépare peut-être, sinon Luther, du moins Lefèvre d’Ftaples. Il y a lieu de remarquer en particulier que Colet, le pré-réformateur anglais, ne sera pas sans attaches avec les milieux florentins où brillaient Savonarole et Pic de La Mirandole.

Charles Jourdain trouve que la doctrine politique de Savonarole paraît moins favorable à la papauté que celle de son maître saint Thomas. D’autre part, craignant de voir les tyrans régner à Florence, le dominicain réformateur tourne le peuple florentin vers la démocratie. Op. cit., p. 257.

Quétif et Échard, dans les Scriptores sacri ordinis prédicat., ont dressé une liste d’environ quatre-vingt-dix ouvrages de Savonarole dont quelques-uns sont de simples épîtres, mais dont d’autres forment de gros volumes. Certains ont eu en leur temps, et même depuis, la plus large diffusion et ont été l’objet de rééditions multiples. Citons, en dehors des recueils de sermons et du Triomphe de la Croix dont nous avons parlé, des lettres assez nombreuses, des opuscules de piété, tout un précis de philosophie, Compendium lotius philosophix. calqué sur saint Thomas, un Traclatus de simplicitate vitse christianse où l’on comprend pourquoi l’auteur est ennemi d’une piété trop fleurie, un Dialoyus spiritns et animée et un Dialogus alter spiritus et sensus, un Traclatus de vitse spiritualis perfectione inspiré rie saint Bonaventure, un Traclatus de mysterio Crucis, un opuscule De beneficiis Christi, une Expositio orationis Dominicæ ; des écrits en langue florentine : Esposizione sopra la oruzione délia vergine gloriosa Ave Maria ; — Traltato dell’humilità ; - - Traltato delV tininrr ili (insu Christo : — Traltato dell’oruzione ; — Altro traltato dell’orazione ; — Dieci regole convenienti da orare nel tempo délia tribolazionc ; — Regole del ben vivere ; — Regole del viver crislianamente ; — Operclta… sopra i dieci commandamenti ; — Traltato de misteri délia messa ; — Délia perjezione del slato religioso… ; Selle regole utilissime a tutti religioni ; — Regole… di viver nella religione ; — Délia perjezionee délie lentazioni, etc. Savonarole a composé des Expositiones sur divers psaumes, un Compendium logiese libri decem, un Liber de disciplinis sive de divisione, ordine et utililate omnium scient i arum…, un Eruditorum conjessorum, un Rccollectorium rudimenlor uni theologiæ ; un ouvrageDe/ reggimentoe governo di Firenze, un écrit Conlro ail’astroloqia divinatrice, une Apologia de’Eralri délia Congregatione di San Marco, etc., etc.

VI. Jugements sur Savonarole.

On a maintes fois cité les noms de saints personnages qui ont cru à la sainteté de Savonarole et presque à sa mission. L’énumération la plus complète s’en trouve dans l’ouvrage du P. Emm.-Cestas Bayonne, Étude sur Savonarole, Paris, 1879, in-16, 424 pages. Cet ouvrage qu’on a beaucoup dénigré n’est sans doute pas si sot que certains l’ont cru, puisque l’ouvrage récent le mieux informé sur Savonarole est également favorable au réformateur florentin. C’est l’ouvrage de J. Schnitzer, Savonarola. Ein E ulturbild ans der Zeit’der Renaissance, Munich, 1924, 2 vol. in-4°. L’auteur a été mêlé aux affaires du modernisme. On rievra se méfier de ses jugements de valeur dès qu’il est question de la papauté.

A l’opposé, un historien très réputé, L. Pastor, a décrit en termes assez sombres le débat de Savonarole et d’Alexandre VI. Les historiens récents insistent sur le caractère de faux prophète qui caractériserait Savonarole. Il y a certainement là une part de vérité. Voir en particulier Rulph Roeder, Savonarole, trad. franc, par B. Prenez, Paris, 1933, in-8°, 251 p., biographie