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1197 SATISFACTION. LA QUESTION DU « RELACHEMENT PÉNITENTIEL » 1198

à beaucoup d’une sévérité outrée. Comparée à celle d’autres Églises d’Orient ou d’Occident, la pratique pénitentielle de Rome semble avoir été toujours empreinte de la discrétion qui caractérise son administration en général. Par contre, il est bien incontestable que les usages pénitentiels des peuples du Nord doivent en grande partie leur rudesse à leurs habitudes de vie et au tempérament de leurs missionnaires. Mais, on aurait beau accumuler les diversités ainsi engendrées, elles n’approcheraient en rien de celle qui s’observe partout entre la pratique pénitentielle moderne et celle des âges antérieurs.

3° La question préalable : y a-t-il eu baisse de la moralité et du respect des sacrements ? — Il ne saurait donc venir à l’esprit de personne de contester la disproportion des modes de satisfaction qui caractérisent ces deux manières. Seulement, puisque l’on condamne la moderne à cause de l’abus des sacrements et du relâchement moral qui en serait la conséquence, la première chose à faire est de vérifier ce qu’il en est exactement du fait mis ainsi à son compte : est-il bien sûr, est-il réellement établi qu’en approuvant la manière moderne d’administrer la pénitence, l'Église ait laissé s’oblitérer chez les fidèles le sens du péché et ait pris son parti de les voir abuser des sacrements ?

La question ainsi posée ne saurait manifestement porter que sur des ensembles. Elle revient à se demander si, aux siècles passés, aux époques notamment dont l’histoire nous est plus exactement connue et où fonctionnait un régime pénitentiel comportant, par exemple, la pénitence publique ou les sévères expiations que nous avons dites, le niveau moral et religieux des populations chrétiennes était supérieur à celui des populations chrétiennes de nos jours ; si l’admission, en particulier, à la communion s’entourait de garanties plus sérieuses que dans le régime moderne.

C’est là vraiment la question préalable à poser aux détracteurs de ce dernier et il est surprenant qu’elle n’ait pas été posée à Arnauld et à ses disciples. Beaucoup sans doute auraient été et seraient encore portés à y répondre affirmativement : le mirage du passé en impose toujours aux défenseurs de la tradition et l’observantin Bonal le dénonçait justement à ce propos, au xviie siècle. Le chrétien du temps, IVe part., c. ix, n. 14-15, Lyon, 1668. Peut-être aussi un certain esprit juridique expose-t-il les théologiens et les historiens de la théologie à juger des réalités du passé d’après les prescriptions canoniques qu’ils trouvent consignées dans leurs collections de documents ecclésiastiques. L’illusion, en tout cas, serait grande de juger du fait d’après ces reliques du droit. D’autant plus, nous l’avons déjà remarqué, que les collections canoniques ne témoignent pas nécessairement d’un droit qui persiste. Pour n’avoir jamais été abrogés et pour avoir été fidèlement transcrits, il ne n’en suit nullement que les décrets ou canons ainsi conservés continuent à être observés : les livres pénitentiels où se trouvent accumulés tous ces vieux textes nous ont fourni la preuve du contraire.

Cependant il s’agit ici des époques dont datent ces prescriptions et où l’on sait qu’elles étaient en vigueur. A constater la manière dont était prêchée et administrée alors la pénitence, peut-on affirmer que l’accès de l’eucharistie fût alors plus difficile au commun des pécheurs qu’il ne l’est devenu depuis la loi de la communion pascale et de la confession annuelle ou depuis le décret qui interdit, en cas de péché mortel, d’aller communier sans s'être remis en état de grâce par le sacrement de pénitence ? Sur ce point voir art. Pénitence, col. 1048 sq.

1. Quelques sondages.

Voyons, par exemple, au iiie, au ive, au ve siècles, âge d’or de la pénitence publique.

Peut-on dire que les « libellatiques » dont parle saint

Cyprien aient eu beaucoup à faire pénitence pour être admis à la communion ? Le concile de Carthagc, en 251, les y admet d’emblée, alors même que beaucoup d’entre eux acceptent à peine de se reconnaître coupables et menacent, en cas de refus, de passer au schisme. Ci-dessus, col. 1 1 42. Et le pape saint Corneille, à la même époque, ne s’est pas montré moins condescendant pour les fidèles d’une Église qui avaient suivi dans la défection leur évêque Tufima. Comme ils se refusaient à être réconciliés eux-mêmes si leur évêque ne l'était en même temps, satisfaction leur fut accordée : le retour des brebis, écrit saint Cyprien, Epist., lv, 11, Hartel, p. 631-632, valut au pasteur d'être admis lui aussi à la communion laïque : ni chez les uns ni chez les autres, on ne saurait reconnaître à ces traits des dispositions très parfaites. Encore moins les estimerait-on telles chez ces apostats ou ces libellatiques. retour du schisme ou précédemment adultères, dont la réconciliation par saint Cyprien fait frémir d’indignation les chrétiens restés fidèles. Lui-même s’effraie de son indulgence à leur égard ; mais, dans son désir de les sauver et de rétablir la paix dans son Église, pour leur ouvrir les bras, il ne leur demande d’autre satisfaction que celle de se reconnaître sincèrement coupables. Epist., lix, 15-16, Hartel, 684-686.

2. Comment se jait la pénitence.

Cas exceptionnels ; mais ce qui ne l’est pas, nous l’avons vu (ci-dessus col. 1153), c’est que des « pénitents » condamnés à une longue expiation fassent consister toute leur expiation à demeurer ainsi exclus des sacrements et à attendre que soit écoulé le temps de leur peine. Le concile de Nicée en parle, can. 12, fin ; saint Ambroise le déplore : Arbilrantur hoc esse pœnitentiam, si abstinent a sacramentis ca>lestibus. De pœnit., II, ix, 89. Saint Pacien de Barcelone le reproche en face aux « pénitents » : Quid dicitis, psenitentes ? l’bi est vestrse carnis interitus ? An quod, in ipsa pienilentia, lautiores semper inceditis, convivio farti, balneis exposili, veste compositi ? Parsenesis ad pœnitentiam, 10, P. L., t. xiii, col. 1087 B, 1088 A. Nous avons entendu saint Augustin dénoncer de même la contradiction de cette attitude : c’est continuer à mal vivre tout en faisant profession de pénitence, Serm., ccxxxii, 8, P. L., t. xxxviii, col. 111, mais son attestation reste que tel était l’usage trop fréquent et personne ne saurait dire que, pour prolongé qu’il fût, ce mode de pénitence fût la garantie d’une disposition à l’absolution et à la communion particulièrement parfaite.

3. Combien peu font la pénitence.

Encore ceux-là faisaient-ils la pénitence. Mais, qu’ils l’eussent demandée ou qu’elle leur eût été imposée par sentence ecclésiastique, quel encore qu’en fût le nombre, ils restaient une exception dans l'Église. Le commun des fidèles continuait, tout le long de la vie, à participer aux sacrements sans recourir aux prêtres pour se faire absoudre. On peut leur supposer toute la ferveur que l’on voudra ; on peut tirer de leur adaptation au milieu toutes les conclusions que l’on jugera à propos sur leur immunisation contre les tentations et contre les inclinations au mal, on ne saurait supprimer le témoignage des auteurs ecclésiastiques sur leurs vices et leur inconduite. Qu’il suffise de rappeler celui de saint Augustin : parjures, voleurs, adultères, ivrognes, etc., abondent dans l'Église. In Epist. Joa., tract, iii, 9, P. L., t. xxxv, col. 2002. Malgré leur énormité, par suite de l’habitude, les fautes les plus graves sont tenues pour insignifiantes : on n’ose plus les frapper d’excommunication chez les laïques ou de la dégradation chez les clercs. Enchiridion, 80, P. L., t. xi-, col. 270-271. L'évêque d’Hippone dénonce en particulier la facilité avec laquelle les hommes se permettent l’adultère : dès là qu’il se limite au cercle de leurs esclaves, on ne parvient pas à les faire convenir de sa