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SATISFACTION. LES TARIFS PÉNITENTIELS


à cet effet d’aucune utilité pratique. Par l’impuissance où furent plus tard Gratien et Pierre Lombard d’en tirer aucune conclusion ferme sur l’effet propre de l’absolution ou sur la nécessité de la confession, on peut juger de l’embarras où se fussent trouves les confesseurs de l'époque carolingienne s’ils avaient dû y chercher eux-mêmes quelle satisfaction ils devaient imposer pour les diverses catégories de fautes qui leur étaient avouées. Il eût égalé pour le moins celui des confesseurs d’une époque beaucoup plus récente à qui, pour les guider dans la solution des cas de conscience quotidiens, on se fût contenté de mettre en main le Corpus juris.

Aussi bien les réformateurs eux-mêmes s’en rendaient-ils compte. Dans l’examen prescrit par un capitulaire de 803 pour les candidats à la prêtrise, une question porte sur la connaissance du pénitentiel : Pœnitentialem quomodo sciiis vel intelligitis ? Capilularia, t. i, p. 234. C’est pourquoi sans doute un capitulaire des années 810-813 signale comme à trancher la question du « pénitentiel » selon lequel doivent être jugés les pénitents. Ibid., n. 81, p. 179. Toujours est-il (jiic l’année même où un nouveau concile de Chalon-surSaône proscrivait les livres pénitentiels, quorum sunt certi errores, incerti auctores ; … qui… pro peecatis gravibus levés quosdam et inusitatos imponunt pœnilenliæ modos, can. 38, Concilia œvi karolini, t. i, p. 281, celui de Tours invitait les évéques à se réunir au palais de Charlemagne pour choisir, parmi les anciens, le meilleur à suivre : Cujus anliquorum liber pœnitentialis potissimum sit sequendus. Can. 22, ibid., p. 289.

C’est à cette préoccupation que répondit le pénitentiel composé par l'évêque de Cambrai, Halitgaire. Dans la pensée de l’archevêque de Reims, Ébon, qui lui avait demandé ce travail, il devait remédier à l’impuissance où se trouvaient les prêtres de se reconnaître parmi les prescriptions confuses et contradictoires de leurs livres : Hoc est quod, in hac re, me valde sollicitât, cum ila conjusa sunt judicia psenitenlium in presbyterorum nostrorum opusculis atque ila diversa et inter se discrepantia et nullius auctoritale sufjulla, ut vix propter dissonanlium possint discerni. Unde fit ut concurrentes ad remedium pœnilenliæ tam pro librorum confusione quam etiam pro ingenii larditate nullatenus eos valeant succurrere. Lettre à Halitgaire, en tête du Pénitentiel de celui-ci, dans Schmitz, Die Bussbùcher und das Bussdisciplin der Kirche, t. ii, p. 265 ; P.L., t. cv, col. 652-653. Pour cela, il fallait mettre aux mains des prêtres un pénitentiel extrait des Pères et des canons des conciles : Ex patrum dictis canonum quoque sententiis, ad opus consacerdolum nostrorum, excerpere pœnitentialem. Ibid. Ainsi l’entendait bien d’ailleurs Halitgaire lui-même : Ex sanctorum Patrum canonumque sententiis pœnitentialem in uno volumine aggregare. Dédicace à Ébon, ibid., et col. 654 A. Aussi accumulc-t-il d’abord dans les 5 premiers livres de son ouvrage des extraits des écrivains ecclésiastiques sur les vertus et les vices et des canons pénitentiels empruntés à diverses collections canoniques ; mais, cela fait, il se rend bien compte que tout cela est d’ordre trop général : Mensuram temporis in agenda pœnilenlia… non salis attente præfigunt canones. Schmitz, p. 266 ; P. L., t. cv, col. 657 A. Ce qu’il faut au commun des prêtres confesseurs, c’est un précis des satisfactions à imposer ; c’est pourquoi, à l’intention de ces esprits plus frustes, simplicioribus qui majora non valent capere poterit prodesse, il ajoute un VI livre où ils trouveront indiquée en détail la pénitence duc pour chaque péché : Idcirco adnectendum præscriptis canonum sententiis decrevimus ut, si forte hæ prolalæ sententiæ alicui superfluum sunt visæ, aut penilus quæ desiderat ibi de singulorum criminibus nequiverit invenire, in hac saltem brevitate novissima omnium scelera

forsitun inveniet explicata. Schmitz, p. 290 ; P. L., t. cv, col. 693-694 C.

Cette ajoute, la plus précieuse, parce que la plus pratique, pour les prêtres auxquels est destiné l’ouvrage, Halitgaire la dit extraite, par il ne sait qui, des archives de l'Église romaine ; mais, en réalité, ce n’est qu’une combinaison de trois pénitentiels antérieurs avec leurs tarifs. Supra, t.xii, col. 1173. Aussi, sans que rien en prévienne ni peut-être même qu’Halitgaire l’ait remarqué, y passe-t-on, pour les mots pœnitere et pœnitenlia, à un sens tout différent. Les livres précédents, par exemple le IVe, les employaient au même sens que les anciens canons pénitentiels qu’ils alignaient : pénitence publique avec parfois, pour les canons des conciles orientaux, son organisation en plusieurs classes. Ici, tout au contraire, ces mots ne signifient plus par eux-mêmes qu’une abstinence plus ou moins prolongée de viande et de vin ; l’expression qui s’y joint couramment in pane et aqua marque en plus l’interdiction de tout autre aliment que le pain et l’eau. Supra, t. xii. col. 850 et 1165. Ainsi y est-il dit : X annos pœniteat, nr ex his in pane et aqua, pour un clerc coupable d’homicide ; XL dies pœniteat, pour qui adulterare voluit et non potuit, id est, susceptus non est ; vu annis pœniteat, in in pane et aqua, pour le clerc coupable de parjure ; /// quadragesimas in pane et aqua pœniteat, pour le laïque qui, ayant volé, aura restitué ; XL diebus in pane et aqua culpam diluât, est-il dit d’une personne, liée par un vœu, qui s’est enivrée ; pour un laïque. Vil diebus pœniteat. P. L., t. cv, col. 697 C-D ; 698 C et D ; 699 A : 701 A. Telle est la méthode qui préside à la confection de ces guides commodes et telles les satisfactions qui s’y trouvent indiquées. Les prêtres confesseurs ne peuvent décidément pas se passer de ces manuels. On continuera donc à leur en fournir : le pénitentiel deviendra un des livres que chaque paroisse doit avoir. Supra, t.xii, col. 1174, et cf. dans Réginon de Prùm le programme de la visite à faire par l'évêque dans toutes les églises : Inquisitio, 57 et 95, P. L., t. cxxxii, col. 189 D ; de même Burchard, Deere !., I. XIX, c. 8, P. L., t. cxl, col. 979 C-D. Ainsi se multiplieront les copies des anciens et les nouveaux leur emprunteront aussi leurs prescriptions. Les auteurs seulement les juxtaposeront aux extraits des collections canoniques qu’ils mettront bout à bout sans se préoccuper de les concilier entre elles.

Aussi est-il aujourd’hui extrêmement difficile de discerner dans ces sortes d’ouvrages ce qui est pure transcription et ce qui représente la pratique courante d’alors. Mais le fait reste hors de doute, qui a déjà été signalé ici (t.xii, col. 877 et 1 171) : la réformecarolingienne n’a pas supprimé la pénitence « tarifée », telle que l’a introduite, dans les conditions où s’exerce désormais le ministère pastoral, la généralisation des confessions fréquentes. Loin que la pénitence publique reprenne le dessus, elle se restreint de plus en plus à l’expiation des crimes plus notoires. Le principe va toujours prévalant, où se marque la distinction croissante du for interne et du for externe : à faute secrète une satisfaction secrète (ci-dessus, t. XII, col. 877). Cette satisfaction, la préoccupation di'^ meilleurs est d’obtenir que, tout en s’inspirant des pénitentiels, on la détermine moins machinalement. Ils rappellent pour cela aux confesseurs leur devoir d’apprécier par eux-mêmes les dispositions et les conditions diverses des pénitents. Halitgaire leur faisait déjà sur ce point une recommandation fort suggestive : Hoc scitve, fratres, ut, dum venerint ad vos servi vel ancillæ quærenles psenitentiam, non eos gravetis neque cogatis tantum jejunare quantum divites, quia servi vel ancillæ non sunt in sua potestate ; ideoque medietatem pœnitentiæ eis imponite. Schmitz, p. 292 ; P. L., t. cv, col. 696 C.