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ROUSSEAU. PRE. Mil : H ES ŒUVRES


chez le pasteur de Bessey, Spectacle Lambercier, de 1722 à 1724. Apprenti graveur en 1725, il se perd dans la lecture et tombe quelque peu dans la polissonnerie.

Enfin le dimanche Il mars 1728, par crainte d’un châtiment, il s’enfuit de Genève, (.f. Confessions, I. I ; L. Ritter. La famille et la jeunesse de Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1896, in-16.

2. La période « catholique ». Autour de Mme de Warens (1728-1741). — Celle période est commandée par l’influence de Mme de Warcns. Cette Vaudoise de vingt-neuf ans, séparée de son mari, convertie, vit à Annecy, d’une pension que lui font l’évèquc de Genève, M. de LSernex, et le roi de Sardaigne, pour qu’elle s’occupe des transfuges du calvinisme. Elle adresse Jean-Jacques, que lui a envoyé le curé de Pontverre, chez qui il s’est réfugié lors de sa fuite et qui recueille tous les Genevois dans le même cas, à l’hospice des catéchumènes à Turin. Il y abjure, sans résistance, même intérieure, le 21 avril 1728, après neuf jours d’une vie dont les Confessions disent beaucoup de mal. Graveur, laquais, il finit par revenir chez Mme de Warens. Dans l’intervalle, il a connu à Turin, l’abbé Gaime qui cherche à lui donner une formation morale et religieuse et dont il prendra, prétend-il, des traits pour les donner au vicaire savoyard ; cf. F. Mugnier, Madame de Warens et J.-J. Rousseau, Paris, s. d. (1891), in-8°, p. 46-55 et 424-429 ; P. -M. Masson, La profession de foi du vicaire savoyard, édit. crit., in-8°, Paris, 1914, Préface, p. xxixxxxi ; il a connu aussi l’abbé Gouvon qui lui apprend un peu de latin et d’italien et s’est lui-même intéressé à la musique. Entré au séminaire d’Annecy, où il rencontra l’abbé Gàtier, autre type du vicaire savoyard, puis attaché à la maîtrise d’Annecy, il reprit bientôt sa vie vagabonde. Avec des aventures de comédie, il va à Lyon, à Fribourg, à Lausanne, à Neuchàtel, jusqu’à Paris, d’où il revient à Chambéry, auprès de Mme de Warens, qui s’y est installée en 1731.

Ce sont alors « les années catholiques ». Mme de Warens exerce sur Rousseau une influence profonde, à Chambéry l’hiver, aux Charmettes l’été. Initiée dans sa jeunesse par le pasteur Magny à ce piétisme protestant qu’avait propagé l’Alsacien Spener, elle était restée piétiste, selon Mme Guyon, qui avait amené plus d’un Vaudois « à la sainte liberté des enfants de Dieu ». Elle se piquait aussi de philosophie et, en elle, la philosophie rejoignait la piété pour bannir la morale. Elle n’avait pas la notion du péché et ne croyait pas à l’enfer.

Évincé d’auprès de Mme de Warens, Rousseau pendant les deux hivers de 1738 et 1739 qu’il passe aux Charmettes, lit sans critique et sans choix Descartes. Malebranchc, Leibnitz, qui le dégoûtent de la meta physique, Fénelon, où il trouve la conception idyllique du « inonde primitif », Locke, qui lui apporte la théorie du contrat social, Pascal et Montaigne, qui lui apprennent l’insuffisance de la raison, les tenants d’un christianisme sans mystères, Clarke, Pope, Addison, et même sans dogmes, Béai de Murait, l’auteur de l’Instinct divin recommandé aux hommes, 1727, in-8°, s. 1., et surtout Marie Iluber, une Genevoise, qu’on peut considérer comme la mère spirituelle du vicaire savoyard et dont viennent de paraître les Lettres sur lu religion essentielle à l’homme, distinguée de ce qui n’en est que l’accessoire ; Les 2 premières parties, Amsterdam, 1738, in-12 ; 2e édit., contenant les 4 parties, 2 vol. in-8°, Londres, 1739. Cf. A. Metzger, Marie Iluber, 1695-1753 ; sa vie, ses œuvres, su théologie, Genève, 1887, in-8° ; P.-M. Masson, La religion de Jean-Jacques Rousseau, 3 vol. in-16, t. i, Fribourg, 1916, Lu formation religieuse de Rousseau, p. 208 ; L. Ritter, J.-J. J{ousscau et Marie Iluber, dans Annales J.-J. Rousseau, t. iii, 1907, p. 207 sq. Il lit enfin Bayle,

Saint-Évremond et Voltaire. Puis las de sa fausse situation, il accepte en avril 1740 un préceptorat chez le grand prévôt de Mably, frère de l’abbé et de Condillac ; il n’y fait que passer et en 1741, il gagne Paris. Sur cette période, voir Confessions, t. II, III, IV, V, VI ; Correspondance générale de Jean-Jacques Rousseau, annotée et commentée par Th. Dufour et publiée par P. Plan, 20 in-8°, Paris, 1924-1935, t. i, Rousseau cl Mme de Warens ; F. Mugnier, op. cit. : Masson, op. cit.

3. Rousseau chez les philosophes. Venise et Paris (1741-1749). — Il compte sur la musique, mais l’Académie des sciences rejette son Projet de nouveaux signes sur la musique. Il obtient la protection de quelques grandes dames. L’ambassadeur de France à Venise, M. de Montaigu, le prend comme secrétaire, mais ils ne s’entendent pas. Revenu à Paris en septembre 1744, il s’occupe de musique, se lie avec Thérèse Levasseur, dont il mettra les enfants aux Enfants trouvés, et entre par Diderot dans le monde fie Y Encyclopédie. Cf. ici D’Alembert, t. i, col. 706-708 ; Rationalisme, t. xiii, col. 1752. Il se charge des articles du Dictionnaire concernant la musique et y donne l’article Économie politique, qui annonce de loin le Contrat social. Il est alors recherché par d’Holbach. Dans ce milieu, son catholicisme déjà bien ébranlé s’effondre. En 1748, sans cesser, semble-t-il, de croire en Dieu, il n’est plus catholique que de nom. Cf. Confessions, 1. VII ; Correspondance, t. i, Rousseau à Venise, …à Paris.

2° Vie et œuvres de 1749 à 1765. — 1. La crise intérieure. Le discours sur les sciences. La « conversion et la rentrée à Genève (1719-1751). — On ne peut comprendre les œuvres de Rousseau si on les sépare de sa vie. II y expose, en effet, sa réaction à l’égard des milieux qu’il traverse, ses idées, ses sentiments, ses rêves.

A ce moment, il ne s’accommode pas de son existence. La vie mondaine se résume pour lui en contraintes, en déconvenues, en un sentiment d’infériorité pénible. Puis, l’on peut ne pas accepter certains dogmes, mais le philosophisme qu’aucun blasphème n’arrête, dépasse la mesure. N’y aurait-il donc pas, au lieu de cette vie artificielle, où la société dicte à l’homme ses jugements et règle ses pas, une vie naturelle où l’homme serait lui-même ? Justement, cette question mise au concours par l’Académie de Dijon en octobre 1749 : Si le progrès des sciences et des arts a contribué « corrompre ou à épurer les mœurs, lui fournit l’occasion de préciser ses idées. Cf. R. Tisserand, L’Académie de Dijon de 1740 ù 1793, 1936, in-8°. La question signifiait : Quels ont été les effets moraux de la Renaissance ? Rousseau la prit dans un sens général : Rapports entre la civilisât ion d’une part et d’autre part la morale et le bonheur ? Tout le xvin’siècle fera dépendre morale et bonheur du progrès i des lumières », mais fera disparaître l’individu dans une société uniforme. Avec-L’approbation et non, quoi qu’en ait dit Marmontel, Mémoires, I. VII, sur le conseil déterminant de Diderot, il soutient que la civilisation a corrompu les mœurs. L’homme tel que l’a fait la nature dans la simplicité, l’indépendance, la croyance en Dieu… est infiniment supérieur ù l’homme tel que le fait la civilisation, dans l’artifice de la vie sociale, dans le luxe qui détruit toute vertu, toute moralité, dans le scepticisme. Toutes les sciences n’ont-elles pas une origine fâcheuse ? L’astronomie est née de la superstition, la physique d’une vaine curiosité, la morale de l’orgueil humain. Nés des vices, les arts et les sciences 1rs alimentent. Une réserve cependant. Dans l’état présent des choses, les lumières sont utiles, à la condition qu’elles viennent de grands savants et « non de cette foule d’auteurs élémentaires », qui revendiquent les noms de philosophes et de