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SA NCHEZ (THOMAS)


Petrus Aurelius paraît bien n’avoir pas été autre que Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran ; s’il n’a pas écrit les Vindiciæ de sa propre tnain.il en fut en tout cas le véritable inspirateur : cf. ici art. DuVER(iif.r de Hauranne, t. IV, col. 1969, et (loin Clémencet, Histoire littéraire de Port-Royal, édit. de l’abbé Guettée, t. i, 1808, p. 289 sq.

Les attaques de Petrus Aurelius ne furent pas sans impressionner les milieux ecclésiastiques catholiques. L'évêque de Belley, J.-P. Camus, y faisait par exemple écho, en 1642, dans des Animadoersiones dirigées contre le P. A. Sirmond. Cf. A. De Meyer, Les premières controverses jansénistes en France, 1040-1649, Louvain, 1917, p. 371. Elles furent recueillies avec un soin particulier par les protestants, par exemple Jurieu, .André Rivet (cités dans Bayle) ; mais ce fut surtout Pierre Bayle qui, dans son Dictionnaire historique et critique, les a utilisées et vulgarisées dans les milieux intellectuels de son temps. La notice consacrée à Thomas Sanchez les résume : « L'érudition (de Sanchez), écrivait Bayle, n’est pas douteuse… (mais) il serait à souhaiter que l’ouvrage (le De matrimonio) donnât autant de preuves de son jugement que de son esprit et de son savoir, car la témérité qu’il a eue d’y expliquer une multitude de questions sales et horribles, peut produire de grands désordres. On s’en est plaint amèrement et tout ce qui a été écrit pour sa justification est faible… » On sait assez l’influence de Bayle et de son Dictionnaire pour ne pas s'étonner que ces attaques contre Sanchez et sa casuistique scandaleuse aient passé en nombre d'écrits, de dictionnaires, de pamphlets, où même de nos jours elles se retrouvent.

Quant au jugement à porter sur elles, il nous suffira de présenter ces brèves remarques. 1. Il ne faut pas oublier en quel temps écrivaient Sanchez et les casuistes de sa génération ; les mœurs, le langage aussi, y étaient sans doute plus rudes que de nos jours. En outre, Sanchez n’est pas un modèle de brièveté et de concision. On peut donc très bien estimer qu’il y eut dans ses analyses quelque manque de délicatesse et une certaine abondance de détails qui paraissent, aujourd’hui surtout, à bon droit regrettables. C’est ce qu’il faut concéder à Saint-Cyran et à Bayle. 2. Mais, d’une part, c’est proprement une injustice que suspecter, comme ils l’ont fait, les intentions et la moralité personnelle de Sanchez : le témoignage de ceux qui vécurent avec lui les mettent audessus de tout soupçon. D’autre part, il faut revendiquer hautement le droit pour la théologie morale de traiter une telle matière. Elle est trop importante pour la vie chrétienne et pour la vie tout court. Sous ce rapport, les observations de Th. Raynaud gardent toute leur valeur. De même que les livres de droit pénal, les ouvrages de médecine légale, les traités de sexologie ont à décrire et à examiner les crimes et les anormalités sexuelles, la théologie morale doit, en vue de la confession, envisager les fautes de tout genre contre la chasteté. Sanchez le faisait en une langue et avec un vocabulaire techniques, dans un ouvrage destiné aux seuls spécialistes, et, somme toute, peu abordable à d’autres. Ses analyses s’adressaient aux confesseurs dont l’instruction est nécessaire s’ils veulent exercer leur ministère en toute justice et toute facilité à l'égard des pénitents, en toute sécurité aussi pour eux-mêmes. Et c’est Bayle qui vient reprocheràce gros traité latin et compliqué d'être un danger pour la moralité publique, lui dont le dictionnaire présente, en français, au grand public intellectuel de son temps tant de pages licencieuses ou même obscènes ! Il n’est pas plus sérieux de la part de Saint-Cyran de prétendre que Sanchez fut un innovateur dans cette voie : les nombreuses références d’auteurs anciens qu’il apporte le montrent assez.

Saint Alphonse s’est expliqué sur ce point en un passage de sa Théologie morale (I. VI, tr. VI, n. 900, éd. Gaudé, t. iv, p. 82), où la défense de Sanchez est présentée par un auteur du xviie siècle très estimé pour sa prudence et sa vertu : Quod si cui mirum videatur, auctores celeroqui prudentes ac pios de hac re fusius perlractasse ri minutas etiam variorum casuum circumslantias descripsisse, audiat clarissimum viruni Ludovicum Bail, qui ab hac censura doctissimi Thomse Sanchez egregium opus de matrimonio uindicat, his verbis : Licet quæiam de materia feedorum acluum lanqcl lurpior …in/ernus ; et si fœdus est sermo, fœdius est in peccalo putresecre, ut Petrus Blesensis ajebat. llle auctor… aliquas spurcitias movet, sed ad sejrotanlium curalionem. Si angeli essent homines, talibus non indigerent.

4° Les attaques de Pascal, de Petrus Aurelius et de Hayle n’ont pas été sans jeter un réel discrédit sur Sanchez soit dans les milieux jansénistes et rigoristes des xvii c et xviir 3 siècles, soit jusqu'à nos âges dans le grand public lettré de notre pays. Elles ne l’ont guère desservi auprès des théologiens moralistes et des canonistes. Le De matrimonio, après l’avoir rendu célèbre dès sa publication, lui a maintenu jusqu'à ces derniers temps une solide et brillante réputation, à laquelle ses écrits posthumes n’ont pas ajouté grand' chose. Du vivant même de Sanchez, au témoignage de Sotwcl (Biblioth. script. S. J., p. 767), le pape Clément VIII déclarait qu'à son avis personne n’avait encore examiné ni éclairci avec plus d’exactitude les controverses se rapportant au sacrement du mariage. (L’exactitude des citations, rare dans les auteurs du temps, est spécialement relevée chez Sanchez par Antonio, Biblioth. hispana, t. ii, 1788, p. 312, et elle est reconnue par Bayle.) Théophile Raynaud, dans la défense qu’il présentait de Sanchez contre Petrus Aurelius, l’appelait : grauissimus auctor et in morali theologia secio suo facile princeps.

Nous avons déjà cité l'éloge donné par saint Alphonse de Liguori dans sa Théologie morale au De matrimonio et à son auteur. Plus près de nous, le cardinal d’Annibale dit de Sanchez, avec la forme concise qui lui est habituelle : mulla laie et dilucide, sed in primis de matrimonio tam plane, accurale ac solide scripsit ut nihit supra. Summula theol. rnor., part. I, ô 1 éd., 1908, p. 4, n. 32. Même jugement dans Bouquillon, Theol. mor. fundarn., 3e éd., 1903, p. 121, n. 11.

A côté de ce jugement d’un moraliste, mettons celui d’un canoniste — un des plus savants et des plus mesurés parmi ceux qui ont immédiatement précédé et préparé le Code — le P. F.-X. Wernz. Dans son Jus Decretalium, t. iv, n. 20, Rome, 1901, il témoignait de la valeur pratique qui était encore reconnue à la fin du xix c siècle aux exposés canoniques de Sanchez.

Enfin, faisant écho aux éloges des moralistes et des canonistes, le récent historien des jésuites en Espagne, le P. Ant. Astrain, mettait Sanchez au rang des tout premiers théologiens qu’avait vu naître dans ce pays la Compagnie sous le généralat d’Acquaviva (trois Andalous : Tolet, Suarez, Sanchez et trois Castillans : Molina, Valencia et Vasquez) et croyait pouvoir écrire du De matrimonio : « La solidité de la doctrine, la très copieuse érudition, l’acuité du génie et l’intelligence de l’objet font de ce traité le roi de tous ceux qui ont été écrits sur le sacrement du mariage. »

5° En conclusion, si nous essayons de juger en toute mesure l'œuvre de Sanchez nous dirons qu’il faut d’abord distinguer du De matrimonio les écrits posthumes ; en réalité ces derniers ne sont plus guère consultes, il reste assez difficile d’y distinguer ce qui est vraiment la pensée de Sanchez des additions ou remaniements de ses éditeurs, de plus il est exact qu’il s’y rencontre, en un nombre du reste qu’il ne faudrait