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    1. SALAIRE##


SALAIRE. RÉGULATION MORAL ! ' LKS SOLUTIONS

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pendamment de la volonté des parties et antérieurement à leurs libres conventions, déterminer entre le travail et le salaire une certaine égalité de droit, selon la justice commutative ? Par une adéquation directe entre deux rcs. équation existant objectivement, ne dépendant pas des conventions personnelles. De là tant d’analyses subtiles cherchant à déterminer d’après la nature des choses la valeur du travail, en vue de déterminer et d’imposer aux parties la juste valeur du salaire dû en justice commutative. Mais cette valeur du travail, comment l’apprécier ? Si l’on se contente de mesurer la valeur du travail par la valeur économique de la tâche accomplie, on évite difficilement la théorie de l'équilibre de fait, chère au libéralisme, mais répudiée par les moralistes chrétiens. Car la valeur économique de l'œuvre produite dépend de mille conditions extérieures sur lesquelles ni le patron ni l’ouvrier ne peuvent rien. On se trouve alors amené à apprécier la valeur du travail, à mesurer la prestation de l’ouvrier, d’après les fins objectives du travail : puisque le travail a pour but de procurer à l’ouvrier ce qui est nécessaire à sa vie, on peut mesurer la valeur du travail d’après les valeurs vitales qu’il sert, qu’il représente aux yeux de l’ouvrier. Ainsi l’on prend pour critérium du salaire dû en justice commutative les besoins que l’on peut considérer objectivement comme devant être satisfaits par le travail, les besoins normaux du travailleur. Par ce biais dialectique, on conclut « que la loi régulatrice du salaire, ce n’est ni le fait de l’offre et de la demande plus ou moins abondantes, ni le seul contrat passé entre les deux facteurs de la production, ni le prix courant, mais la vie du travailleur… Yis-à-vis du contrat, cette loi vient montrer que les volontés humaines qui sont libres ne sont pas absolument autonomes, précisément parce qu’elles sont spirituelles ; le contrat ne rend pas une chose juste, mais il la suppose juste, en la comparant à une idée, plus haute qui lui sert de mesure et à laquelle il tâche de la rendre conforme et, si l’on peut dire, de l’ajuster ». P. Six, art. Salaire et salariat, dans le Dictionn. pratique des connaissances religieuses, t. VI, col. 183.

Selon nous, cette argumentation n’est pas soute nable, quelque honorables qu’en soient les intentions. Elle méconnaît la liberté spirituelle et la responsabilité morale de la volonté rationnelle en ne lui reconnaissant pas compétence pour déterminer le droit au sens le plus effectif ; il ne s’agit pas seulement de découvrir ce cjui est juste et injuste ; il faut le formuler avec autorité dans les cas particuliers qui sont ceux de l’action concrète, en s’inspirant de la loi naturelle inscrite à cet effet dans la raison et le cœur de l’homme. Précisément parce que la loi naturelle n’est pas reçue dans les natures spirituelles d’une façon purement passive et instinctive, mais à la façon d’un principe, comme une loi, comme une règle générale de libre activité, la volonté rationnelle de l’homme est parfaitement compétente pour instituer du droit, du juste, en fixant ce qu’il y a lieu de tenir pour « proportionné, adéquat », par rapport à autrui, selon un certain type d'égalité. Jus sii>e justum est aliquod opus adœquatum alteri secundum aliquem sequalitatis modum. Duplicitcr autem potest alicui homini esse aliquld adœquatum. l’un quidem modo ex ipsa natura rei, puta cum aliquis tantum dut, ut tantumdem recipiat, et hoi vocatur jus naturale. Alio modo aliquid est adœquatum vel commensuratum alteri ex condicto, sive ex communi placito, (/nantit) scilicet aliquis reputat se esse eontentum si tantum recipiat. Quod quidem potest /ieri dupliciter : uno modo per aliquod privatum condiclum, sicut quod /irmtitur aliquo paclo inter privalas personas ; ni m modo a condicio publiée, puta cum totus populus consentit quod aliquid habeatur quasi adœquatum ri comme nsu

ralum alteri, vel cum hoc ordinal princeps qui curam populi habet et ejus personam gerit ; et hoc dicitur jus positivum. Sum. theol., IIa-IIæ, q. lvti, art. 2.

Certes, nous ne prétendons pas que les statuts publics cl les conventions privées tirent leur valeur juridique du seul fait brut de leur position ; il en est qui déchoient de leur espèce juridique par suite d’une contradiction avec les principes du droit naturel. Mais le fonctionnement naturel et raisonnable des volontés, dans l’ordre privé comme dans l’ordre public, est capable d’instituer de vrais rapports de droit. Ce n’est rien (>l ii au droit naturel que de reconnaître à la raison cette faculté de légiférer, car c’est le vœu même de la nature humaine, nature rationnelle, qu’il en aille ainsi. Il faut admettre que les conventions librement ((inclues entre particuliers, si elles ne contredisent pas les principes fondamentaux de la nature, c’est-àdire de la raison humaine, peuvent non seulement déclarer ce qui est naturellement juste, mais décider positivement de ce qui sera juste ou injuste.

Ils font donc fausse route ceux qui, comme l’auteur de l’article cité, veulent que le contrat de travail se borne à exprimer ce qui d’avance et naturellement était déjà juste : « Le contrat, disent-ils, ne rend pas une chose juste, mais il la suppose juste. » Erreur. C’est le contrat et lui seul en dernier ressort qui institue positivement ce juste, ce droit : Justum quia positum. Évidemment la volonté a sa loi rationnelle, son autonomie n’est pas inconditionnée ; il faut qu’elle ait et elle a ses raisons (l’agir, de contracter : qui le niera ? Qu’il s’agisse de la loi civique ou d’une convention privée, l’acte de poser une loi ou de conclure un contrat, l’acte qui consiste à instituer fies règles de droit et à engendrer des obligations juridiques, doit être moralement bon dans tous ses éléments. Mais tout acte humain en est là ; c’est une doctrine générale ; nous devons supposer que le législateur ou les contractants ne l’ignorent pas et agissent vertueusement, à la lumière de leur prudence politique ou économique, sous l’attrait de toutes les vertus morales.

Cependant à mesurer la prestation réelle de l’ouvrier sur les fins naturelles et objectives du travail, les auteurs rencontrent des difficultés pratiques redoutables. Elles se ramènent à une foncière indétermination. La convention des parties, si elle définissait l'étendue des obligations, aurait cet avantage de per mettre un équilibre certain ; le salaire précisé par un chiffre de monnaie serait, de par la volonté des parties contractantes, réputé équivalent à tant d’heures de travail, dans telles conditions connues. Les deux res entre lesquelles s'établirait conventionncllement une égalité selon la justice commutative seraient parfaitement déterminables puisque le premier soin d’une convention consiste à définir son objet, à. fixer une unité de mesure tant pour calculer la valeur de la prestation de travail que pour calculer le salaire. Mais si l’on tente de mesurer la valeur de la prestation de travail d’après la finalité objective et naturelle du travail, l’unité de mesure de la prestation n’est plus déterminée et l’on perd tout moyen de calculer avec certitude l'étendue de la prestation ouvrière. Il s’en suit que l’on étend ou que l’on restreint à peu près arbitrairement le quantum dit naturel du salaire, que l’on déplace verticalement le niveau du salaire mini muni, c’est -à diic le contenu naturel et minimum de la contre prestation patronale. « Que doit comprendre ce salaire minimum ? Pour répondre a cette ques tion, il suffit, puisque le salaire est compensation entre le donné et le revu, de chercher quel est le donné de l’ouvrier. Que donne l’ouvrier ? Il apporte au travail [notons au passage le gauchissement : ce « pie donne l’ouvrier est une chose, ce qu’il apporte au travail eu est une autre] : I" une partie de ses forces cor-