Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.1.djvu/510

Cette page n’a pas encore été corrigée

1005

    1. SALAIRE##


SALAIRE. RÉGULATION MORALE, LE PROBLÈME

Hun ;

attaques « lu socialisme. Or, le problème était posé dans des conditions particulièrement ardues, au nombre desquelles il convient de placer la décadence de la pensée philosophique et théologique, la timidité, l’opportunisme, l’abstention des catholiques en matière politique, les équivoques et h s polémiques entretenues autour de la liberté et du libéralisme. De là des discussions dont il faut rappeler le souvenir, préciser l’enjeu et tirer les leçons.

2. Exposé et évolution des théories.

a) Les économistes purs (à tort, du seul point de vue de leur discipline propre) ne prenaient en considération que le taux de fait atteint par les salaires : ils niaient ou ignoraient le taux de droit, le juste taux des salaires. Les théologiens et les sociologues chrétiens, nu contraire, s’accordent tous à en reconnaître l’existence : pour eux, le salaire doit être juste et il ne l’est pas fatalement du seul fait qu’il a été stipulé sans contrainte juridique. La 'eule liberté contractuelle ne garantit évidemment pas la justice « les stipulations.

b) l’n certain nombre de catholiques groupés dans la " Société catholique d'économie politique, dans la dirnière décade du siècle dernier, admettaient une théorie assez proche de la théorie économique et connue sous le nom de théorie du prix courant. D’après cette théorie, le salaire payé par la majorité des employeurs, sans fraude ni violence, est à. considérer comme juste de plein droit. À cette conception, on reproche communément de traiter le travail comme une marchandise ordinaire et d’ignorer que le travail est inséparable de la personne du travailleur. Mais si, comme on semble l’insinuer, la théorie du prix courant convient au prix des marchandises ordinaires, ce ne peut être qu’en vertu d’une présomption ; on suppose en effet que le prix de vente demandé par la majorité des marchands, dans de saines conjonctures, représente assez exactement un juste prix. Pourquoi ne pas Faire bénéficier d’une semblable présomption la théorie du prix courant en matière de salaire'? Il nous semble que cette théorie pourrait être acceptée si l’on interprétait bénignement la notion de salaire courant et si l’on dégageait tout ce qu’elle implique. Certes, ce n’est pas le fait pur et simple de la stipulation qui justifie le taux stipulé ; mais pourquoi ne pas présumer qu’un taux généralement accepté, dans une société d’hommes raisonnables, n’a pu l'être que par une rencontre nullement fortuite de justes appréciations ? A la vérité, nous développons ici la pensée de ces auteurs ; il est regrettable qu’ils aient laissé dans l’ombre les principes moraux qui expliquent normalement la formation du salaire courant. Mais cette glose nous permet de comprendre comment des chrétiens purent accepter la théorie du salaire courant, sans verser dans la conception déterministe, de pur fait, toute quantitative, que l’on attribue au libéralisme économique. Ainsi le principe ancien de L’estimation commune serait sous-jacent au prix courant et lui vaudrait | une sorte de légitimité.

C) L’encyclique « Herum novarum » et les discussions ultérieures. — L’encyclique Herum novarum parut devoir être interprétée comme exclusive de la théorie précédente. L’encyclique en effet, avant d’exposer la tluse chrétienne dans le texte que nous avons cité plus haut, signale une doctrine que l’on a identifiée avec celle du prix courant. Voici le raisonnement auquel, dit Léon XIII, nul juge équitable ne voudra mlhérer sans réserve » et qu’il accuse d’omettre un côté important de la question : « C’est le libre consentement qui détermine le niveau du salaire ; aussi, dis là qu’il a payé ce qui est convenu, le maître est quitte de toute obligation et ne doit plus rien ; la justice ne serait lésée que si le maître refusait de fournir le prix intégral et l’ouvrier tout le travail auquel il s’est

engagé. Yidelicet salarii ile/initur libero consensu modus : itaque dominas rei, pacta mercede persoluta, libcravisse /idem, nec ultra debere qmdquam videatur. 'l’une solum fieri injuste, si vel prelium dominus solidum, vel obligatas artif ex opéras redderetotas récusant. (le texte, lu sans parti pris, condamne-t-il réellement la théorie du prix courant ? Oui, si cette théorie entend justifier le taux du salaire par le seul fait qu’il a été consenti librement. Non, si le caractère courant, habituel, reçu, de ce taux permet de présumer qu’il n’a pas été défini sans raison, mais selon une estimation commune que rien n’empêche d'être vertueuse.

Quoi qu’il en soit, le progrès de renseignement commun en matière de salaire, après Herum novarum, fut d’expliciter et de mettre hors de conteste le principe d’une régulation morale des salaires, puisque le fait brut de la stipulation ne saurait rien justifier par luimême, l’our tous, désormais, il existe un juste salaire, c’est -à-dire un salaire dû en justice « stricte », autrement dit en justice commutative selon la terminologie moderne, donnant lieu à revendication et éventuellement à restitution. Cette conclusion est universellement admise et paraît indubitable.

Remarquons toutefois en passant, chez les commentateurs, une singulière propension à dissocier du con 1 liât de salaire, librement conclu entre le patron et l’ouvrier, cette fameuse loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l’ouvrier sobre et honnête. On dirait qu’ils font peu de cas de ce côté personnel du contrat, qu’Us en abandonnent les stipulations au caprice des parties, au libre jeu de leurs intérêts antagonistes, pourvu « pie leurs oscillations se tiennent entre de certaines limites marquées par une loi supérieure, extérieure aux volontés contractantes : « Que le patron et l’ouvrier fassent donc tant et « le telles conventions qu’il leur plaira, qu’ils tombent d’accord notamment sur le chiffre du salaire : au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne… » À coup sur les commentateurs distinguent là deux sources dis tinctes d’obligations : le contrat d’une part et, de l’autre, au-dessus des volontés comme ils disent, cette loi plus élevée et plus ancienne. Le texte officiel latin de l’encyclique porte à cet endroit : Subest lumen semper aliquid ex justifia ludurali, idque, libéra paciscenlium voluntate ma. us et antiquius, scilicet alendo opiflei frugi quidem et bene monda, liaud imparem esse mercedem oportere. l’our <|ui connaît la nuance thomiste de la doctrine vulgarisée par Herum novarum et pour qui se rappelle la conception thomiste du droit naturel, nul doute <|ue le texte latin ne suggère une autre interprétation que celle des commentateurs. Subest aliquid ex justilia naturali semble indiscrète ment paraphrasé par cette version : « Au-dessus de leur libre volonté, il est une loi « le justice naturelle. Nous proposerions donc de réintroduire dans le jeu même des libres volontés ce principe de base et d'équilibre, qui inspire du dedans, comme par un développement naturel, leur juste exercice. Autrement « lit, ce principe de justice naturelle ne peut être conçu comme fixant des bornes extérieures aux stipulations contractuelles ; il gouverne au contraire ces stipulations, il leur confère valeur de droit ; dans toutes les oscillations particulières des volontés contractantes qui manifestent leur liberté, il ne faut pas voir une sorte de terrain neutre et indifférent, mais l’expression différenciée, orientée, d’une liberté dont la loi interne est la jus ticc, et qui cherche à réaliser toujours plus finement cette justice dans les circonstances concrètes.

La conséquence pratique d’un tel gauchissement théorique va nous apparaître immédiatement. Comment, demandent les auteurs, Léon XIII peut-il, indé-