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SALAIRE. RÉGULATION MORALE, POSSIBILITÉ


teurs psychologiques sont tellement influents que des travailleurs, gratifiés de hauts salaires et de confortables avantages matériels accessoires, s’estiment dans la gêne, alors que d’autres, moins favorisés matériellement, mais de goûts plus modestes ou ménageant mieux leur budget, se trouvent à l’aise.

Il n’en est pas moins vrai que l’on doit chercher à résoudre le problème économique posé par l’élévation des salaires. Ce problème consiste dans l’opposition manifeste des deux points de vue sous lesquels se présente économiquement toute hausse des salaires. Le salaire en effet a deux aspects. Il entre d’abord comme élément important dans le prix de revient ; de ce chef, toute hausse des salaires alourdit ce prix de revient et porte atteinte à la rentabilité de l’entreprise, par diminution de son revenu net. D’autre part le salaire se présente comme un des modes de répartition du revenu net, c’est-à-dire, en faveur de l’ouvrier, comme un mode de participation à la rentabilité de l’entreprise. Le nœud du problème, lorsque l’on parie de hausser le salaire pour permettre à l’ouvrier de participer plus largement à la rentabilité de l’entreprise, va donc consister à ne pas atteindre dangereusement cette rentabilité par l’aggravation du prix de revient.

a) Conditions économiques négatives, d’ordre quantitatif, permettant une hausse des salaires par un accroissement du revenu net. — Le revenu net ne peut pratiquement varier que si l’on modifie l’écart entre le prix de revient et le prix de vente. Tout ce qui contribue à réduire le premier et à hausser le second contribue à accroître le revenu net de l’entreprise, ce qui permet en principe d’élever le taux des salaires.

La réduction du prix de revient, si l’on exclut la réduction des salaires, est obtenue par un ensemble de mesures techniques, économiques et commerciales. Du point de vue technique, il y a lieu de tabler sur l’effort des inventeurs, sur les ressources de la rationalisation, sur le dosage relatif optimum, au sein de l’entreprise, du capital et du travail. Parmi les conditions d’ordre économique qui sont de nature à diminuer le prix de revient, mentionnons : une politique de concentration qui, par la fabrication en grande série, tend à réduire le prix de revient unitaire des articles produits ; une politique de crédit, permettant de mobiliser à bon compte les capitaux reconnus d’un emploi fructueux ; un choix judicieux entre les modes de rémunération, au temps, aux pièces, avec primes à l’économie ou au rendement, qui, suivant les cas, obtiennent de la maind’œuvre la productivité optima. Du point de vue commercial enfin, il est avéré que l’ouverture ou la conquête de nombreux débouchés, par une habile publicité, par une connaissance précise des besoins à satisfaire, l’exploitation exhaustive des possibilités de la clientèle par une sériation de prix permettant d’intéresser jusqu’à épuisement les différentes couches du marché, accélèrent la rotation des capitaux, rendent plus avantageuse la production et diminuent le prix de revient.

Les procédés économiques assurant la fermeté et permettant même la hausse des prix de vente se ramènent tous, au fond, à atténuer l’effet naturel de la loi de l’offre et de la demande. Pour cela on s’écarte le plus possible des conditions idéales d’un marché parfaitement homogène soumis à la libre concurrence. Telle est la signification économique du protectionnisme. C’est à quoi aboutissent également les monopoles de droit ou de fait (trusts). De même les cartels, comptoirs de vente, les ententes professionnelles limitent la concurrence entre les offres, de manière à éviter l’avilissement des prix. Enfin les éléments de monopole que constituent les brevets, les marques, les labels, permettent d’élever le prix des articles ainsi garantis ou recommandés.

b) Conditions économiques positives, d’ordre psychologique, tendant ù hausser les salaires. — On n’aura pas la naïveté de croire qu’un accroissement de produit net entraîne nécessairement une hausse des salaires payés par l’entreprise. La marge conquise permet la hausse : elle ne l’impose pas. En fait ce revenu accru peut servir à l’augmentation du seul profit de l’entrepreneur, ou encore à l’augmentation des dividendes, ou encore à l’augmentation parallèle de toutes les participations à la rentabilité de l’entreprise, celle de l’entrepreneur, celle des actionnaires, celle des salariés. Mais, étant donné une certaine augmentation du revenu net, pour procurer aux salaires une hausse indépendante ou proportionnellement supérieure à celle du profit et des dividendes, il faut agir positivement sur la répartition et en modifier le principe. Cette action est-elle possible et à quelles conditions ?

On ne peut modifier le principe de la répartition que par des interventions psychologiques. Assurément des considérations quantitatives pourront être mises en jeu pour déclencher ces interventions ; par exemple, on remarquera qu’une légère hausse des salaires, accroissant le pouvoir d’achat d’une catégorie nouvelle de consommateurs, peut favoriser grandement la rentabilité de l’entreprise. Mais cette remarque et toute considération du même genre doit faire l’objet d’une libre appréciation ; c’est à la suite d’une décision volontaire que le plan de répartition peut être modifié. Il faut une estimation, un jugement. Pour obtenir cette décision en faveur des salaires, pour peser sur l’estimation en ce sens, on comptera avant tout sur les influences morales et psychologiques : idée de collaboration entre patrons et ouvriers ; solidarité entre eux ; sens de la justice ; désintéressement ; dignité, ambition, éducation de la classe ouvrière ; organisation syndicale ; majorité et puissance politique accordée à la classe ouvrière dans les formes du gouvernement démocratique ; législation sociale qui éduque et qui contraint. À défaut de ces influences morales ou pour les appuyer et les rendre plus efficaces, reste la force : menaces, grèves, voies de faits. Par là aussi on pèse sur la décision de l’entreprise et l’on peut faire varier la formule de répartition.

c) Condition décisive ou le choix prudenliel. — Les deux sortes d’influences, quantitatives et psychologiques, doivent se cumuler pour que les salaires croissent effectivement : l’extension quantitative du revenu net demeure sans effet sur les salaires tant que ceux-ci ne font pas l’objet d’une nouvelle estimation ; inversement, les estimations favorables obtenues par pression ou extorquées par violence n’aboutiraient qu’à diminuer et à ruiner la rentabilité de l’entreprise si elles ne se soutenaient pas de possibilités quantitatives. Les facteurs psychologiques et les facteurs quantitatifs ne constituent donc pas deux forces antagonistes entre lesquelles s’établirait un équilibre de compromis ; il est plus juste de les considérer comme deux ordres réciproques de causalité économique dont la conjugaison se produit efficacement au point de productivité optima. Tout le problème de la hausse des salaires se ramène ainsi à déterminer le point de productivité optima, en tenant compte des deux séries de facteurs et de leur ordre réciproque de causalité. Les entrepreneurs sont trop souvent sensibles aux seuls facteurs quantitatifs et confondent par suite le point optimum de productivité avec le maximum de rentabilité ; inversement les tempéraments dits « sociaux » ou de tendance « moralisante » sont portés à méconnaître les exigences de la rentabilité, condition matérielle mais pourtant inéluctable de la productivité économique. Les uns se flattent de réaliser une prospérité matérielle dont on pourra ensuite tirer les conséquences sociales : ils ne se doutent pas que la renta-