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SALAIRE. MOH A LIT ! ’: OBJECTIVE DU SALARIAT


une autre question ; en tout tas cette prétention constitue le titre fondamental du régime.

î. Efficacité technique du régime de salariat. - La

loi fondamentale qui ordonne le régime de salariat à la saine mise en œuvre du travail, si elle justifie ce régime en principe, en règle aussi l’application et en juge les effets. Nous pouvons dès lors nous demander si le régime de salariat atteint le but qu’on doit lui assigner ou s’il n’est pas, dans une certaine mesure, inégal à ses prétentions.

a) L’expérience du régime de salariat. On lil dans un ouvrage estimable : « I.e contrat de travail a été pratiqué de tout temps, sans qu’on y ait trouvé à redire. Il s’est pratiqué de plus en plus, à mesure que l’esclavage et le servage disparaissaient. Dans la corporation du Moyen Age, tous les compagnons étaient des salariés. » Val. Fallon, Principes d’économie sociale. 5e éd., Couvain, 1935, p. 249. Inscrivons cette antiquité, cette universalité au crédit du salariat, car il est invraisemblable qu’une institution entièrement inefficace et plus encore une institution nocive et inhumaine ait traversé tant de siècles sans encombre. Mais, si les notions juridiques de contrat de travail, de salaire, sont anciennes, il faut convenir que la réalité sociale du salariat, sa fonction dans la vie humaine, s’est modifiée.

I.e contrat de travail jouait un rôle infime dans la société antique, au sein d’une économie fondée sur l’esclavage ; son rôle était à peine plus marqué dans la société féodale, qui avait résolu par le servage le problème des productions essentielles. Si l’esclavage et le servage prêtent à la critique, s’ils présentent des tares condamnables, il n’en est pas moins vrai qu’ils furent pendant des millénaires la réponse la plus satisfaisante, peut-être la seule réponse possible de l’humanité civilisée au problème social et économique. Ils furent l’occasion de crimes nombreux et d’odieuses injustices, mais ne sont pas responsables de tout ce que le vice peut inspirer aux hommes revêtus d’un pouvoir sur leurs semblables. Somme toute, en dépit de défaillances incontestables et au prix de sacrifices qu’il ne saurait être question de renouveler, le régime de l’esclavage comme celui du servage, furent instruments efficaces de labeur et de progrès ; l’humanité leur dut de vivre. Fendant tout ce laps de temps, le contrat de travail ne fut qu’un accessoire ; l’organisation humaine du travail, la vie économique, la vie tout court, n’en dépendaient pas. Quant aux compagnons du régime corporatif, c’est une gageure que de lis assimiler aux salariés modernes, car l’insertion dans la corporation conférait au travailleur un statut, une condition générale de vie, un ensemble d’obligations et de droits. Certes, le salaire y figurait en bonne place, mais il n’y revêtait pas l’importance décisive et exclusive qui permet de définir aujourd’hui la condition absolue de salarié. Au surplus le régime corporatif n’intéressait que l’économie urbaine, c’est-à-dire commerciale et surtout artisanale ; la production agricole, de loin prépondérante, labeur essentiel, ne reposait pas encore sur le contrat de travail.

I.e problème social et moral du salariat ne se posa historiquement que du jour où les faits économiques et les idées courantes consacrèrent la prépondérance et le triomphe quasi exclusif d’un mode de collaboration industrielle, commerciale et enfin agricole fondé sur la technique et uniquement sur la technique <u contrat de travail. L’on peut parler d’une promotion sociale du régime de pur salarial dès l’époque, relativement récente, où l’immense majorité des travailleurs, réunis pour les tâches essentielles, s’organisent sous la loi exclusive du contrat de travail. On sali que, pour l’Occident, le xviir et surtout le xix’siècle virent cette Incorporation massive de la

population dans l’économie de salariat. On sait d’autre part que, dès la seconde moitié du xix c siècle et surtout au XXe, par une convergence d’interventions politiques el religieuses, par l’organisation de la classe ouvrière, le statut des travailleurs n’est plus un statut de pur salarié. I.a logique propre du contrat de travail a subi des retouches, des compléments : le salaire proprement dit reste l’élément caractéristique, mais il n’est plus le tout de la condition ouvrière. Il faut donc pour l’Europe occidentale se retourner vers le passé, vers les quelques décades qui marquèrent l’apogée du libéralisme économique », si l’on veut étudier une expérience « pure » du strict régime de salariat.

b) I.e bilan de l’expérience. — Or le bilan d’un tel régime, du point de vue humain qui est celui du moraliste, fait ressortir un déficit certain. Comme il s’agit là d’une question de fait dont la preuve détaillée n’entre pas dans notre propos, nous nous bornerons à admettre les conclusions les plus générales et les moins contestables des spécialistes en matière d’histoire sociale et économique.

Ils constatent un progrès matériel de grande portée, et la morale n’en fait pas fi ; ce régime a rendu possible l’application en grand des inventions techniques les plus efficaces, en même temps que leur exploitation économique la plus avantageuse, au profit de la société

civilisée », c’est-à-dire occidentale, qui disposait, par son avance technique et par sa prépondérance politique, d’un quasi-monopole de fournisseur mondial. Il est certain que ce progrès économique n’a pu manquer de faire ressentir ses bienfaits, peu à peu et à des degrés divers, à toutes les classes sociales et jusqu’à la multitude, puisque, comme consommateur, chacun trouvait sur le marché des produits meilleurs et plus variés à un prix plus bas, tandis que, comme salarié ou entrepreneur, on recevait de l’entreprise elle-même le numéraire permettant la consommation, bai l’ait, cette période vit s’élever le niveau général de l’existence et cela dans toutes les classes, vit croître le chilîre de la population, vit l’institution de grands services d’utilité publique et d’intérêt commun.

Mais l’appréciation de ces résultats reste délicate : une part n’en revient-elle pas à l’influence d’autres causes, et tout d’abord au développement scientifique et aux inventions techniques ? Surtout le circuit d’argent qui devait naître de l’entreprise, se déverser sur le salarié et lui ouvrir les portes du marché n’a pas répondu à l’attente, puisque la classe ouvrière, mise au régime du contrat de salaire, connut en diverses circonstances la détresse et la misère. Certaines enquêtes du temps nous parlent de salaires de famine, de taudis innommables, de nourriture insuffisante, d’hébétude physique et morale, d’enfants en bas-âge, de jeunes filles, de femmes travaillant pour quelques sous, de familles disloquées, d’une énorme mortalité. Non sans quelque paradoxe et en recourant à des généralisations hâtives, on a pu instituer une comparaison entre l’esclavage antique et le salariat industriel du xix’siècle qui n’était pas toujours à la faveur de ce dernier.

c) Remarque sur la portée de l’expérience dite libérale en matière de salariat. — I.e bilan du pur salariat se présente donc sous un jour assez fâcheux et l’on pourrait être tenté de conclure à la faillite du régime. Mais cette conclusion serait hâtive et injuste et, au surplus, elle ne dégagerait pas tout l’enseignement de l’expérience, si l’on imputait au régime de salariat comme tel, défini par la prépondérance du contrat de travail dans les rapports économiques, les effets lamentables et odieux d’une interprétation « libérale », en réalité déterministe, du salariat. Avant donc de préciser dans quelle mesure le régime de salariat soutient à