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    1. SALAIRE##


SALAIRE. MORALITÉ OBJECTIVE 1)1 SALARIAT

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moral consiste à en mieux percevoir la valeur humaine pour en agréer les conséquences et en observer les règles rationnelles.

Mais la subordination « lu salarié et en général de la classe salariée se présente aussi sous un aspect économique. En fait, cette subordination hypothétique et relative se mue en une sujétion absolue et nécessaire s’il devient pratiquement impossible pour le salarié d’envisager un autre sort et si toute sa condition économique dépend inexorablement de son salaire. Ainsi apparaît la sujétion économique, parce que du travail salarié dépend l’existence économique, condition de la vie tout court. Théoriquement l’ouvrier mécontent demeure libre de refuser sa collaboration technique ; mais cette faculté paraît dérisoire s’il ne peut l’exercer sans se condamner lui et les siens à la misère. En fait donc le salarié dépend économiquement de l’employeur qui pèse à son gré sur son destin d’homme ; l’employeur embauche ou exclut la main-d'œuvre, élève ou abaisse le niveau de la vie ouvrière selon ses propres possibilités, dont il est le seul juge. Et cette sujétion se traduit vitalement, aux yeux de l’ouvrier, comme une nécessité inéluctable.

b) Observations. — Pour achever de poser le problème dans toute sa réalité concrète, il faut faire deux observations importantes : Et d’abord la sujétion économique sera d’autant plus lourdement ressentie que l’aspect économique de la vie humaine sera prépondérant. L’artiste, le contemplatif, le sage, satisfaits de peu, placent leur félicité dans un monde spirituel d’absolue liberté ; aussi ne souffrent-ils pas, c’est à peine s’ils ont conscience de leur dépendance économique. Ils se sentent pour l’essentiel plus riches, plus nobles, plus libres humainement que leurs mécènes. Au contraire, dans la mesure où l’opinion commune identifie richesse humaine et richesse économique, dans la mesure où « vivre sa vie » consiste à consommer des biens économiques et à dépenser de l’argent, il est clair que la dépendance économique passe pour une insupportable et honteuse indignité. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de s'étonner si la société moderne manifeste un vif mépris pour les situations économiquement dépendantes. Si l'échelle des valeurs était conçue, différemment, la considération sociale attachée à l’argent serait toute relative, nul ne confondrait la liberté avec l’indépendance économique ou la subordination économique avec l’infériorité sociale.

En second lieu, il faut noter qu’aucune nécessité à priori ne lie ces deux notions aujourd’hui inséparables : condition économique inférieure et condition de salarié. Leur union actuelle tient à ce que les relations économiques, depuis deux siècles, se sont organisées en lait presque exclusivement sur le type du salariat. Ainsi l’inégalité hiérarchique, inhérente au contrat de travail, a fini par coïncider en lait avec une inégalité économique. La prépondérance du régime de salariat dans l'économie industrielle moderne est telle en effet que l’on imagine difficilement qu’elle puisse n'être pas nécessaire ; d’où il s’ensuit que l’on simplifie à l’extrême la hiérarchie des conditions, même au point de vue économique, en la modelant sur la hiérarchie du salariat : d’un côté ceux dont la situation se. ramène a la condition inférieure de salarié : de l’autre, ceux qui, directement ou par personne interposée, jouent dans l'économie le rôle d’employeurs. Mais cette condition n’a rien de nécessaire. Du jour où la vie économique admettrait, en concurrence avec le type formel du salariat, d’autres modes d’organisation, du jour par conséquent où la qualité d’employé ou d’employeur n'épuiserait pas la définition économique de chacun, on comprendrai ! ce qu’a de hasardeux et de simpliste la réduction de la hiérarchie

économique à la hiérarchie du salariat. La supériorité relative de l’employeur pourra s’accompagner alors d’une réelle médiocrité économique et inversement le salarié, inférieur comme tel, pourra sous d’autres rapports jouer dans la vie économique un rôle prépondérant.

c) Solution. — Sous le bénéfice de ces deux remarques, l 'objection peut être abordée et résolue. L'état de sujétion où se trouve le salarié, du point de vue technique et économique, ne vicie pas moralement le régime du salariat. On peut dire que tout homme est naturellement dépendant d’autrui dans son existence, dans son éducation, sa subsistance, son activité et que la liberté morale de la personne humaine ne consiste aucunement à trancher ces liens conformes à la nature et à la raison, mais au contraire à les agréer, à les assurer, à les reconnaître expressément par une déférence juste et proportionnée à l'égard des supérieurs, auteurs, bienfaiteurs, collaborateurs nécessaires. La liberté humaine ne peut faire que l’homme ne soit pas un être engendré, nourri, élevé, aidé, guidé, gouverné ; elle ne peut qu’ordonner, en s’appuyant sur elles, ces données de nature. La dépendance du salarié à l'égard de l’employeur ne soulève de ce chef aucune difficulté de principe : si la vie du premier est conditionnée rigoureusement par cette dépendance, elle y trouve aussi son point d’appui. Il est du reste banal d’observer que tous les hommes, toutes les conditions se trouvent en rapports mutuels de dépendance, indispensables à la vie physique, morale, intellectuelle, surnaturelle de tous.

Outre cette nécessité inéluctable il convient de rappeler l’honnêteté proprement dite, c’est-à-dire la convenance humaine, profondément rationnelle et naturelle, de cette situation. C’est un bel ordre humain qui par là s’institue librement, formule spirituelle, expression intelligible des liens vitaux ébauchés obscurément dans la nécessité de l’ordre physique. On ne peut être pleinement homme que si l’on collabore, en y tenant sa juste place, à la construction de cet univers spirituel. Il est donc moral et honnête de respecter et de cultiver dans les rapports humains les hiérarchies qui constituent l’ordre social ; c’est un champ ouvert aux responsabilités les plus nobles et aux vertus les plus dignes de l’homme.

Toutefois l’objection ne disparaît pas tout entière. Comme objection de principe, elle ne fait pas échec à la légitimité morale de la condition de salarié. Mais elle subsiste, comme un écueil, sur le plan de la prudence politique. S’il est vrai que le partage inégal de la puissance et la concentration de l’autorité sociale en quelques mains peuvent se légitimer en principe par le meilleur ordre humain qui doit s’ensuivre, encore faut-il, pour que cet effet soit obtenu, que, du haut en bas de la hiérarchie sociale, les hommes, grands et petits exercent humainement leurs fonctions. Si l’on avait lieu de craindre l’usage vicieux du pouvoir chez les uns, une attitude basse et envieuse chez les autres, l’inégalité poussée à un certain degré pourrait être considérée comme un brandon tle discorde, et donc comme l’ennemie de l’ordre social humain. Or, l’expérience prouve que cette crainte n’est pas chimérique. Dès lors, sans faire au salarial un grief décisif de l’inégalité qu’il institue entre les hommes et qui peut se justifier, on devra néanmoins exercer sur ce régime. uw contrôle modérateur et veiller à ce que l’inégalité qui le caractérise, la puissance économique qu’il assure a certains, la sujétion économique où il tient la multitude, se justifient par leurs bons olliccs sociaux, sans atteindre le point où ils compromettraient l’ordre essentiel de la communauté humaine.

2. Finalité objective du régime de salariat : une organisation rationnelle du travail humain. — Sur la foi