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SALAIRE. MORALITE OBJECTIVE DU SALARIAT


tiel rapport de subordination entre les travailleurs à domicile et l’cntn preneur qui leur passe régulièrement d p s command"s et retient leur production. On a écarté l’application de la règle du délai-congé ou celle de la loi sur les accidents du travail, lorsqu’il s’agissait de travailleurs à domicile. Mais ces demi' rs n’ont pu sans injustice et sans mensonge se voir ainsi discriminer ; la réalité imposait de les considérer comme salariés et d’aménager leur condition juridique en conséquence ; au surplus, la législation elle-même, notamment en France, à partir de la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, assimilait aux autres salariés les travaille urs à domicile et qualifiait implicitement de contrat de travail le contrat qui les lie aux industriels. Cette évolution juridique achève de préciser la signification essentielle du contrat de travail comme contrat de louage de services, par opposition au contrat d louage d’ouvrage proprement dit ou mieux contrat d’entreprise. Ce qui caractérise le contrat de travail, quel que soit le mode de rémunération au temps ou à la tâche, quelle que soit la subordination technique du salarié à l’employeur dans l’exécution même du travail, c’est le rapport de dépendance économique qui lie nécessairement à l’entrepreneur le prestataire d’un tel travail. Cette dépendance économique ne se vérifie pas dans le cas des artisans, ni dans celui des travailleurs à façon ou à l’entreprise, qui ne sont pas liés économiquement à tel patron, mais travaillent en principe pour le public ; elle se vérifie lorsque l’embaucheur utilise régulièrement et entièrement l’activité du travailleur et que, par suite, celui-ci tire de ce travail, autrement dit attend de cet entrepreneur, son unique ou du moins son principal moyen d’existence.

La locatio operarum ainsi évoluée offre donc toujours le même trait caractéristique ; en dépit d’apparences extérieures qui peuvent varier, l’ancienne stipulatio operarum, la locatio servi, la datio operarum in servitutem, l’obligation de l’affranchi aux operæ /abrites et le moderne contrat de travail se ressemblent en ceci que le prestataire de travail se trouve toujours par rapport à l’employeur dans une condition inférieure et dépendante. Au terme de cette analyse juridique du contrat de travail, il faut noter soigneusement ce trait essentiel : c’est lui qui premièrement nous permettra d’apprécier la légitimité, en valeur morale, d’un régime de salariat, lié par essence à une structure sociale hiérarchiquement différenciée et nettement inégalitaire ; c’est lui, en second lieu, qui nous rév lera, un tel régime étant donné et admis, ce qu’il faut entendre par dette de salaire, c’est-à-dire la signification morale et la juste portée des obligations assumées par l’entrepreneur, dans le contrat de travail. II. Moralité objective du salariat.

Position du problème.

Deux thèses opposées s’affrontent

ici. La première condamne le régime de salariat comme injuste en lui-même ; elle tire argument d’une incompatibilité absolue entre la dignité personnelle du travailleur et la sujétion qui définit la condition de salarié ; d’où il s’ensuit que l’organisation du travail fondée sur le régime du salariat doit être rejetée et remplacée par une autre forme d’organisation. Inversement, plusieurs, qui, à juste titre, écartent une telle condamnation de principe, se croient par là autorisés, sans autre discussion, à adtrn ttre et se croient tenus de défendre le régime d î salariat ; à les entendre, ce régime, qui ne soutire d’aucune malice intrinsèque, est bon en lui-même ; on peut et on doit sans doute s’efforcer d’amender les vices accidentels qui le paralysent, d’en améliorer toujours les conditions d’exercice, mais on ne pourrait sans injustice le m> ttre luimême en question, concevoir et préconiser une organisation du travail fondée sur une autre base.

On ne peut pas se contenter de chercher une voie moyenne entre ces deux excès symétriques. En réalité, il convient de critiquer l'énoncé même du problème qui a le tort d" mettre en balance d"s réalités situées sur des plans différents et non comparables entre elles. On sait en effet que la bonté ou la malice morales affectent d’abord et el" soi les actes humains ; ensuite et par dérivation analogique les principes habituels (vertus, vices) et les règles ordonnatrices (lois, techniques) d’actes humains. Le régime du salariat n’est pas un acte bon, ou mauvais ; c’est une règle technique, un type d’organisation propre à ordonner selon certains rapports juridiquement définis, une multitude d’actes humains. Sa bonté ou sa malice consiste donc dans la bonté ou la malice des actes humains qu’il ordonne. Bien loin que la règle technique juitifie ou condamne les actes humains, ce sont les actes humains, bons ou mauvais en eux-mêmes selon le jugement de la droite raison, qui doivent servir de critère en vue de justifier ou d" condamner moralement l’institution et l’application d’une règle technique. Or, une telle règle est bonne moralement lorsque, dans son exercice et dans ses effets, elle ouvre à l’homme un champ d’activité moralement bonne. La bonté morale objective d’une règle requiert donc plusieurs conditions : 1. Unecondition négative d’abord : la règle ne doit prescrire l’accomplissement d’aucun acte immoral de soi ; ainsi faudrait-il rejeter tout procédé artistique ou industriel, toute combinaison politique, toute formule de jeu qui inclurait un acte déshonnête, par exemple une injustice ou un mensonge. — 2. Comme condition positive, il faut que l’effet visé par la règle (eeuvre d’art à contempler, produit utile, ordre et progrès politique, délassement et plaisir des joueurs, etc.) soit de bonne qualité morale, objectivement ou intentionnellement, et puisse donc s’intégrer comme élément essentiel, nécessaire ou utile, à la vie raisonnable. — 3. Enfin, autre condition positive, on admettra que la règle doit être douée d’une réelle efficacité à l'égarel du résultat à obtenir. Nous nous trouvons en effet ici en matière d’action pratique : une règle impraticable, vouée à l'échec, même si elle est in ffensive, ne participe point à la bonté objective d’un but qu’elle n’a pas le mérite de servir réellement. Si le succès ne suffit pas à légitimer moralement une technique, du moins celle-ci doit-elle être pratiquement efficace, abstraction faite des accidents exceptionnels. Une technique doit, sinon toujours réussir, du moins avoir des chances raisonnables d" réussir, pour qu’il soit raisonnable, donc moral, d" l’appliquer. A défaut de cette efficacité technique qui lui est essentielle, elle se voi par le fait même et à fortiori refuser toute qualification morale dont l'œuvre à réaliser, comme telle, serait le principe.

Discussion.

1. Légitimité intrinsèque de la

condition de salarié. — a) L’objection. — Contre la légitimité du salariat, on objecte l'état de sujétion où se trouve tenue la personne du salarié. Cette objection procède d’une observation exacte. Quoi qu’on en dise, il est vrai que le travailleur salarié est en rapports ele subordination personnelle à l'égard du chef d’entreprise e|ui l’emploie. Cette subordination se présente tout d’abord sous un aspect technique, car la collaboration efficace des producteurs suppose d’une part l’exercice d’un commandement, de l’autre la reconnaissance d’une soumission effective ; sous cette forme, la subordination du salarié ne soulève aucune difficulté sérieuse, car nul n’en peut méconnaître la nécessité ni la convenance rationnelle. Aussi bien cette sorte d’inégalité se retrouve en toute collaboration, en toute vie commune et n’est pas propre au salariat ; il ne saurait être question de la supprimer au nom de la dignité personnelle ; bien au contraire le progrès