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SALAIRE. ANALYSE JURIDIQUE


l’expression « contrat de salariat » ; son argumentation est fort pertinente : puisque le travail (tel est son point de départ) n’est que l’objet du contrat, c’est-àdire, dans son langage, la réalité à propos de laquelle on contracte et la chose que l’une des parties s’engage à fournir à l’autre, cet objet ne peut définir la nature de l’engagement dont il est la matière ; seule la réalité juridique, c’est-à-dire l'état de droit créé par les volontés contractantes, permet de définir et donc de nommer le contrat. Or, cet état de droit institué par les volontés contractantes porte un nom, c’est l'état de salariat. On doit donc dire ici « contrat de salariat », comme on dit « contrat de mariage » pour désigner le contrat qui crée et inaugure entre les parties l'état de « personnes mariées ». Le régime juridique du salariat comporte à la charge des parties et à leur profit tout un ensemble de devoirs et de droits réciproques, comme fait l'état de mariage entre les époux. Mais cet ensemble est un ; c’est une situation acceptée et retenue d’un commun accord ; voilà le point précis de rencontre entre les volontés et leur accord sur ce point constitue formellement le contrat. Le d' mande ur et le donneur de travail, le donneur et le demandeur de salaire ne s’entendent vraiment que pour instituer entre eux cet état juridique qu’on nomme le salariat.

On ne fera aucune objection à cette analyse. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que, dans l’expression « contrat de travail », le mot « travail » signifie exactement la même chose que le salariat dont on nous parle ici, c’est l’illusion de nombreux économistes et juristes de ne voir dans le travail que la prestation à fournir par l’ouvrier. Une telle vue, abstraite et technique, se légitime souvent dans leurs études et dans leurs analyses ; mais elle n’est pas admissible dans le cas présent où il s’agit de discerner la signification réelle du mot dans l’usage. Or, lorsqu’il s’agit de conclure un contrat de travail, qui ne voit que le demandeur de travail est précisément l’ouvrier ? C’est le patron qui offre ou qui refuse du travail. Le premier cherche du travail, il est sans travail. Il serait ridicule d’interpréter ces formules si courantes en donnant au mot travail le sens philosophique d’activité fabricatrice transitive, ou le sens économique d'énergie productrice de valeur. Du travail en ce sens-là. l’ouvrier sans emploi n’en manque pas, il en a à revendre ; qui pourrait donner du travail en ce sens à quelqu’un ? Et qui pourrait davantage priver l’ouvrier de son travail en ce sens et qui pourrait l’empêcher de travailler ? Dès que l’on renonce aux définitions livresques, on sent bien que le travail est compris tout autrement. Il ne tiendrait qu’au chômeur de travailler, si l’on donnait purement et simplement au travail sa signification philosophique et économique. Mais c’est un travail rétribué, c’est-à-dire un emploi, que cherche le chômeur. Qu’est-ce à dire ? Il demande à insérer son activité personnelle dans une activité plus vaste, à occuper un poste dans un ordre productif, sous des conditions de subordination et de sécurité parfaitement aperçues de lui. S’il était capable de suffire à ses besoins par un travail indépendant et autonome, il ne demanderait pas du travail à autrui ; il travaillerait pour son compte. En réalité, mieux vaut le déclarer franchement, en demandant dutravail, en acceptant du travail, on se met positivement sous l’autorité d’un autre, on promet non pas de travailler purement et simplement, ni même de travailler pour lui, mais de travailler sous sa direction. Et celui qui donne du travail, en ce sens-là, introduit quelqu’un dans son travail, à titre d’aide subalterne ; l’aide est assumé dans l’affaire, mais il sert ; l’entrepreneur lui commande, mais il le prend en charge. Le contrat, les coutumes, les lois, les mœurs, précisent le détail

contingent des obligations réciproques engendrées pour les deux parties par une telle situation ; mais d’abord le contrat de travail ou de salariat met les parties dans cette situation ; cela lui est essentiel et le reste en découle. Bien entendu, on peut imaginer une organisation du travail qui repose sur des bases différentes ; mais on doit constater que.de nos jours encore, l’organisation du travail est fondée sur le régime du salariat, au point que la condition de travailleur se confond presque avec la condition de salarié.

I-Zn conclusion, la critique soulevée par Ch. Gide contre l’expression « contrat de travail » peut s’expliquer par l’idée que se font du travail les économistes. Mais cette critique reste inopérante en ce qui concerne le concept réel exprimé par cette formule et qui coïncide exactement avec ce que Ch. Gide appelle le salariat. Il n’y a donc pas lieu de s'émouvoir si le langage courant adopte ele préférence l’expression « contrat de travail » ; le travail étant organisé comme il l’est, le contrat de travail prend naturellement la signification que Ch. Gide attache à « contrat de salariat ».

2° Le contrat de travail est un contint de louage. Qu’on l’appelle contrat ele travail ou contrat de salariat, encore faut-il analyser ce contrat et le classer à son rang dans les catégories traditionnelles des contrats. Les juristes ne peuvent hésiter ; le contrat de travail, qu’ils appellent volontiers avec M. Planiol, contrat de louage ele services ou parfois contrat delouage d’ouvrage, est un « contrat par leepiel l’une êtes parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles ». Code civil, art. 1710. La personne qui fait travailler s’appelle maître ou patron ; on ne peut du reste distinguer le maître du patron qu’au point de vue économique, en ce que le patron est un producteur qui fait travailler des salariés (ouvriers, employés), en vue d’une production de richesses destinées au marché, tandis que le maître est un consommateur qui fait travailler eles salariés (serviteurs, elomestiques), pour jouir lui-même de leurs services et des utilités qui en proviennent. Mais cette distinction économique ne change rien à la nature juridie|ue des relations et du contrat entre le maître ou patron et les domestiques, serviteurs, ouvriers ou employés.

Une certaine sensiblerie voudrait dissimuler la réalité de ce contrat. Non seulement on évite de dire « contrat de louage de services », pour se borner à l’euphémisme « contrat de travail », mais nombre d’auteurs s’efforcent d’interpréter ce contrat par réduction au contrat de vente ou au contrat de société, ou d’en faire tout simplement un contrat sui generis, empruntant différents traits à plusieurs types de contrats. Mais il n’est pas possible de les suivre. Certes, on peut avouer ses préférences pour un régime qui ne serait pas un régime de salariat. Mais il serait puéril de fermer les yeux à l'évidence et de nier la réalité présente du régime ele salariat. Or, ce régime est tel que le contrat passé entre l’entrepreneur et les salariés ne peut se ramener ni à un contrat de vente, ni à un contrat de société, mais doit être analysé comme un contrat de louage.

1. Vain essai de réduction au contrat de vente. — Les socialistes, à la suite des économistes libéraux, assimilent le contrat de travail à un contrat de vente, parce que les rapports du vendeur et de l’acheteur excluent toute subordination et même toute idée de lien permanent ele l’un à l’autre. Ce que donnerait ici l’acheteur, c’est-à-dire k-patron, on le voit sans peine : c’est le salaire, considéré comme un prix. Mais quelle marchandise fournit le vendeur, entendez l’ouvrier ou l’employé?

a) Vente de la force de travail ? — L’ouvrier vend-il