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SAINTS (GULTE DES). LES DÉFENSEURS


veau genre de vertu morale. Et le culte de dulie, qui est donné aux saints, ne se fonde pas immédiatement sur l’excellence de Dieu, mais bien sur cette excellence créée, qui leur est. communiquée. » Loc. cit., n. 5.

Le culte donné aux saints est distinct du culte religieux de Dieu. « Cette raison est tirée ex diversa ratione debiti » ; c’est le point de vue formel, que saint Thomas maintient toujours, par exemple II a -II aJ, q. lxxxv, a. 1 ; q. ciii, a. 3. Les théologiens moins philosophes ont tenté de distinguer les deux cultes par leurs actes propres. Mais ici Suarcz prévient qu’il faut discerner dans les actes des deux cultes « surtout les actes internes et les intentions qui les dirigent. Car, dans les actes externes, il se trouve souvent des ressemblances et des points de rapprochement. Le culte de Dieu et celui des saints se marque donc dans leurs actes primaires et les affections intimes qui les commandent ». Loc. cit., n. 4, p. 54. La religion nous incline per se sola et immédiate vers la majesté divine, mais non vers les saints, en tant qu’ils ont leur propre excellence ; ceci est la charge d’une autre vertu, celle de dulie. (De Lugo fait pourtant à ce sujet deux remarques d’ordre pratique : « D’abord le culte des saints est sacré et religieux : car, bien qu’il ne procède pas de la vertu spéciale de religion, il a cependant un rapport étroit avec le culte divin, quatenus ex hoc sanctorum cullu arguitioe cotligitur cultus ipsius Dei. Ensuite le culte des saints a les mêmes manières de s’exprimer que le culte de Dieu, à savoirles prières, les lumières, l’encens, etc…. i Lugo, De mysterio incarnationis, disp. XXXV, n. 1, éd. Vives, t. iii, p. 140. Mais Lugo voit si bien que ce culte a un autre motif que celui de latrie qu’il apporte cette supposition assurément étonnante : « Comme il ne semble pas impossible que quelqu’un soit aimé, parce qu’ami du roi, alors que le roi serait détesté…, ainsi pourquoi ne pourrai-je pas honorer un saint sans pour cela honorer Dieu ? Car Dieu n’est pas la raison formelle immédiate du culte des saints. » Loc. cit., p. 136.]

Ainsi le culte dû aux saints est, pour Suarez, un culte absolu, inférieur au culte de latrie dû à Dieu ; pourtant la prière aux saints s’adresse en somme à Dieu ? Dans un souci apologétique, Suarez distingue péniblement « l’intention de la demande et l’intention du culte : celui qui prie le saint doit nécessairement avoir l’intention de lui demander à lui immédiatement, pour qu’il obtienne de Dieu ; mais il ne semble pas nécessaire qu’il veuille par cette prière [de demande] honorer immédiatement le saint lui-même à cause de sa sainteté créée, mais il peut vouloir par cela honorer principalement Dieu. Manière de prier spéculativement non impossible, mais qui n’est ni facile ni pratique, ni à conseiller ! » Loc. cit., n. 9. Aussi, au traité de la vertu de religion, Op. omnia, t. III, De sacrilegio, éd. Vives, t. xiii, p. 616, il revient sur sa distinction : « La personne sainte peut être considérée comme excellente en elle-même, d’une certaine sainteté absolue, ou être envisagée selon sa sainteté relative, secundum sanctitalem respectivam pertinentem speciali modo ad cultum Dei. Si on voulait parler des saints du premier point de vue, il est bien vrai que, les saints étant honorés pour eux-mêmes à cause de leur sainteté créée, leur culte se réfère non à la vertu de religion, mais à la « dulie » ; et l’irrévérence à leur égard, l’irrévérence envers des hommes excellents, n’est pas un sacrilège contre la religion, comme l’a bien fait observer Grégoire de Valence, In III™, disp. I, q. xiv, p. 2. Mais, si les saints sont considérés comme des amis de Dieu, et si c’est Dieu qui est honoré en eux, et eux par rapport à Dieu, ainsi le culte des saints revient à la religion de Dieu et l’irrévérence à leur égard est un sacrilège… Or, pour adorer ainsi les saints, il faut y ordonner spécialement son intention, tandis que pour manquer à cette vertu, il suffit que la malice se trouve dans l’ob jet, comme l’injure retombe sur le prince malgré l’absence d’intention. »

b) Invocation des saints. — Suarez étudie la question aux deux endroits de la Somme qui les concernent, c’est-à-dire au traité de la religion en général et à celui de la prière ; de là quelques redites quand il passe à ce second point. « C’est un point de doctrine vrai et de foi certaine, que les saints, tant les bienheureux que les anges, sont priés par nous utilement et saintement, si cette prière est faite avec l’intention et en la manière voulue, comme elle se fait par l’Église et ses membres en droite foi. La démonstration en sera brève, d’autant plus… que l’usage de l’Église, qui est la colonne et le fondement de la vérité, suffirait à rendre certaine cette thèse. » Cette vérité a son fondement dans l’Écriture. Suarez, sagement, ne cite que le Nouveau Testament : Apoc, viii, 3-4 et xxi ; Matth., xxii, 32 ; Luc, xx, 3637 ; et l’Ancien Testament seulement Tob., xii, 12. Il s’explique la pauvreté des autres livres de la Bible juive, « parce que, au temps de la Loi ancienne, les hommes justes n’étaient pas admis à la béatitude avant la mort du Christ, c’est pour cela que, dans l’Ancien Testament, nous ne voyons pas qu’il fût accoutumé de prier les saints en ces temps-là, bien que nous y lisions que quelques fidèles fussent habitués à demander les prières des vivants… Mais, maintenant, nous tenons pour certain que les hommes justes après leur mort sont élevés à la béatitude, immédiatement et parfaitement purifiés ; et nous avons de ce fait un excellent argument pour prouver que les saints défunts, eux aussi, peuvent être priés par nous licitement et avecfruit ». Suarez, De oratione in communi, c. x, n. 3, Opéra omnia, éd. Vives, t. xiv, p. 36-37.

Suarez prévoit surtout deux objections : la prière aux saints fait injure à Dieu ; elle fait injure à la médiation du Christ. « Les protestants disent que l’invocation des saints n’est ni utile, ni efficace : Dieu est en effet plus prêt à nous exaucer que n’importe quel bienheureux ; il vaut donc mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. Mais alors il faudrait aussi négliger les prières des vivants, ce qui va contre la sainte Écriture. Cela irait même contre toute prière : puisque Dieu désire plus notre salut que nous-mêmes, laissons-le l’opérer pour nous. Donc, Dieu a bien la volonté préparée à donner, mais il veut donner ordinalo modo selon la disposition de sa providence ; ainsi, certaines choses, il les donnera sans être prié ; d’autres, grâce à nos propres prières ; d’autres enfin, grâce à nos prières unies à celles des autres, vivants ou morts dans la gloire. En priant les saints, nous ne doutons pas de la bonté de Dieu, mais nous accomplissons l’ordre de sa providence ; puisque aussi bien nous ne savons pas comment il a disposé de nous accorder cette chose, nous employons plusieurs intercesseurs. La prière est soumise à des conditions multiples, qui peuvent se trouver réunies avec l’appoint de la prière des saints et qui resteraient incomplètes propter defectum nostrum. » Loc. cit., n. 21, p. 42.

La deuxième objection est que l’invocation des saints fait injure à notre unique médiateur. Le Christ est médiateur entre Dieu et nous de deux manières : vel per modum advocali et orantis, vel per modum merentis nobis aul satisfacientis pro nobis. Ces deux dernières manières, mérite et satisfaction, bien que légèrement différentes, sont à rapprocher, parce que ni l’une ni l’autre ne s’exercent dans la béatitude, et que le Christ a fait ce double office durant sa vie terrestre ; il ne peut plus maintenant que présenter ses mérites et satisfactions à son Père. Au contraire, la médiation par mode de demande, d’impétration, peut s’exercer encore dans le ciel. Ainsi 1. nous demandons au Christ de présenter ses mérites quand nous disons : Per Christum Dominum nostrum. Mais jamais nous ne recourons aux