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SAINTS (CULTE DES). LES ADVERSAIRES


grands et moins grands, la grandeur de Dieu, quasi non audeat peccalor Deum in propria persona adiré ; et saint Thomas, loc. cit., q. iii, a. 2, réunit les trois raisons dans la notion d’ordre providentiel, qui veut que les derniers soient ramenés à Dieu par des intermédiaires plus proches de lui.

Saint Thomas essaie d’expliquer le patronage particulier de certains saints ; mais, au lieu de prendre la question ex parte Dei, parce qu’alors il aurait dû en revenir à l’aveu de saint Augustin : lia Deus voluit, qui dividit propria unicuique prout vult, Epist., lxxviii, n. 3, le théologien, contre son habitude, la prend d’abord ex parte hominis : « Il est utile cependant de s’adresser de temps en temps à des saints moindres pour cinq raisons : 1° parce que quelqu’un a parfois plus de dévotion (on remarquera les nuances de cette observation) pour tel saint que pour tel autre ; 2° pour dissiper la monotonie et exciter une nouvelle ferveur ; 3° parce qu’il a été donné [par Dieu] à certains saints de patronner surtout certaines choses… ; 4° pour que tous les saints reçoivent ainsi de nous l’honneur qui leur est dû ; 5° parce que la prière de plusieurs peut obtenir quelquefois ce que ne peut la prière d’un seul. » Loc. cit., ad 2um, ou Suppl., q. lxxii, a. 2, ad 2um. On voit que les raisons données sont de valeur fort inégale. Saint Thomas a repris la question et l’a simplifiée dans la Somme théologique, à propos de la vertu de religion et de la prière, 1 1 3 — II æ, q. î.xxxiii, a. 4 : Utrum solus Deus debeat orari : la prière ne s’adresse pas aux saints comme aux auteurs de nos biens, mais comme à des intermédiaires qui les obtiennent ; elle n’est donc pas un acte de la vertu de religion proprement dite, qui ne concerne que le culte de Dieu. C’est le côté moral de la question.

Culte des saints.

Cette dernière question, qui

fait un chapitre spécial de nos théologies modernes, n’est jamais examinée à part par les scolastiques anciens. Saint Thomas, quand il en parle incidemment, lui donne la même solution qu'à la précédente : Servimus sanctis non quasi obnoxii eis, sed virtute reverentise, quia sunt noslri doctores, administratores, inlercessores et exemplum. In III am Sent., dist. IX, q. ii, a. 3, ad 7um. Cette révérence se ramène à la vertu « de dulie ; vertu différente de la latrie qui honore le souverain domaine de Dieu, celle-ci est une espèce de Vobservantia, ou révérence dont nous honorons toute personne constituée en dignité » (même en dignité civile, II a II®, q. ciii, a. 3) ; et, comme la dulie a elle-même plusieurs espèces, il semble à saint Thomas que l’ensemble des saints mérite de quelque façon l’hyperdulie : « L’hyperdulie semble un milieu entre la latrie et la (simple) dulie ; on la donne aux créatures qui ont une spéciale affinité avec Dieu, comme à la bienheureuse Vierge, en tant que mère de Dieu. « Loc. cit., a. 4, ad 2um. Cependant l’usage a plutôt réservé le mot de dulie à cette révérence maxima due aux saints, et l’hyperdulie à la très sainte Vierge ; saint Bonaventure s’est toujours conformé à l’usage. Ailleurs saint Thomas rapproche le culte des saints de celui de Dieu sous le don de piété, « qui rend ses hommages, non seulement à Dieu, mais encore à tous les hommes, en tant qu’ils se rapportent à Dieu ; et.àcause de cela.il appartient au don de piété d’honorer les saints… Enfin c’est par ce don que maintenant, avant le jugement, ces saints ont pitié de ceux qui vivent dans notre état de misère ». IIMI", q. cxxi, a. 1, ad 3um. Saint Thomas ne sépare jamais les saints, et à juste raison, ni de Dieu ni du Christ, IIP-, q. xxv, a. 6 ; cf. art. Reliques, t. xiii, col. 1361.

Cette piété interchangée n’est que l’exercice de la communion des saints. Saint Thomas, cependant, quoi qu’on en ait dit (Dictionn. apologétique, au mot Saints), n’entend pas le mot sanctorum au masculin,

DICT. DE THÉOL. CATOHL.

mais bien au neutre, de tous les bona qui circulent « dans l'Ég’ise », entre les membres visés expressément par saint Paul, mais, logiquement, d’abord entre le Christ et les fidèles. Il n’inclut donc pas dans la signification première de cet article du symbole, la communion avec les saints, comme nous l’entendons maintenant ; mais il est loin de l’exclure, puisque les saints, il l’a dit plus haut, sont les premiers « à avoir pitié des humains ». Opuscul. vii, In Symbol, apostol., a. 10 ; cf. In 111°™ Sent., dist. XXV, q. i, a. 1, qu. 2, et II » - 11°, q. i, a. 9. Voir ici l’art. Communion des saints, t. iii, col. 446. Saint Bonaventure est plus proche de nous sur ce point : « Les fidèles sont mystiquement unis entre eux dans le corps social du Christ, unis comme sont unies les personnes divines, comme est un le corps eucharistique avant sa fraction en trois parties. Entre les trois catégories d’une même Église universelle, qui comprend tous les temps et se continue jusqu’au ciel, règne une étroite connexion, comme entre les organes du corps naturel. Tous les fidèles dépendent les uns des autres, le bien de chacun est le bien de tous. L'Église, par les satisfactions surérogatoires des saints et par leurs mérites, acquitte une partie de notre dette pénitentielle envers Dieu. » Ainsi parle saint Bonaventure en différents endroits de ses œuvres ; cités dans l’article susdit, col. 446. Si l’on y ajoute les passages indiqués plus haut sur l’intercession des saints, on conclura « que personne n’a mieux parlé de la communion des saints, au Moyen Age, que le Docteur séraphique ». P. Bernard, loc. cit.

Voilà un résumé de l’enseignement des scolastiques du xii c au xve siècle : il a mis en sûreté les grandes lignes dogmatiques de l’invocation des saints, qui ne doivent pas être priés comme Dieu, etc. ; il a mis en lumière plusieurs façons de concevoir l’intercession des bienheureux dans la gloire ; mais on retiendra la réserve de saint Thomas sur ce point où l’unanimité des Pères n’avait pu se faire et où la raison était assez balbutiante : per visionem Verbi, vel quoeumque alio modo. Tout cela était fort bien ; mais on ne peut se défendre de regretter que leur méthode les ait amenés tous, après Pierre Lombard, à diviser la question du culte des saints entre deux ou trois traités, au lieu de la mettre dans la lumière chaude de la communion des saints, formulée désormais dans le Credo populaire.

VI. Attaque et défense de la doctrine au xvie siècle. — I. LES ADVERKAIRKS. — 1° Les prédécesseurs de la Réforme. — Le mouvement protestant contre la dévotion aux saints, a cherché des ancêtres dans les cathares ; assez mal connus, ceux-ci rejetaient les images des saints comme une invention démoniaque et donnaient aux fêtes des saints qu’ils conservaient, un sens très différent de celui de l'Église : c'étaient les fils spirituels des bogomiles de Bulgarie. Les vaudois, supprimèrent les fêtes et les statues des saints et même les chapelles. Mais il est vraisemblable que ces négations ne leur vinrent qu’après le mouvement de mauvaise humeur qui les faisait déserter les églises ; et finalement ils refusaient l’obéissance à leurs prêtres et évêques, en s’autorisant des abus qu’ils voyaient autour d’eux dans le culte des saints. « Ils se moquent de nous, disait déjà saint Bernard des apostoliques du midi de la France, quand nous baptisons les enfants et que nous demandons les suffrages des" saints. » S. Bernard, Sup. Cantica, nom. lxvi, n. 9, P. L., t. clxxxiii, col. 1098.

Évidemment ils refusaient leurs enfants et leurs honoraires de messes. Les vaudois, eux, refusaient même « de visiter les loca sancta et sanctorum miracula ». Evrard, Contra Valdenses, c.xii, dans liibl. Patrum, édit. 1644, t. iv, p. 1131. Ensuite ils firent passer leurs pratiques en maximes : « Les vaudois, écrivait Ermengaud, disent que les saints et leurs prières ne servent

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