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SAINTS (CULTE DES). LES SENTENTI AIRES
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Cherchons des intercesseurs près de Dieu ? Que voulezvous de plus ? » Quant à leur bonne volonté, elle est entière, dit-il : « Vous craignez qu’ils ne prient pas, eux qui prient continuellement ? Pourquoi ne prieraient-ils pas quand vous priez, puisqu’ils le font quand vous ne priez pas ? » Une première objection, toute dans les mots : < Mais ils n’entendent pas, dites-vous. À cela deux réponses au choix : Ils n’entendent pas les paroles des solliciteurs, mais cela n’importe pas à leur béatitude. Donc ils n’entendent pas ? Kst-ce que Dieu, lui, n’entend pas ?… Dieu voit bien votre humilité, et il récompensera votre dévotion. Mais, au Fond, entendre pour les saints, c’est savoir… » Deuxième objection : « On trouve quelques Pères qui ont dit - - c’est saint Grégoire mal compris — qu’il n’y a rien dans la créalion que les saints ne voient en Dieu. » Réponse : » Je n’ose décider plus que je n’ai dit : ils ne voient que ce qu’il plaît à Dieu. Loc. cil. Sur l’imitation des saints, cf. De institutione novitiorum, c. vii, /'. L., t. clxxvi, col. 933.

2° Pierre Lombard revient sur la question au I. IV, dist. XI.V des Sentences ; il reprend la solution quia est d’Hugues de Saint-Victor, mais avec une nuance d’affirmation qui étonne : Non est incredibile animas sanctorum… ea quee foris aguntur intclligere, quantum vel illis ad gaudium, vel nobis ad auxilium pertinet. C’est sans doute que la discussion du Victorin ne lui avait pas parue convaincante ; par malheur, celle qu’il apporte lui-même ne l’est pas davantage : il cite saint Augustin, Epist., cxx et cxxx, P. L., t. xxxiii, col. 568 et 501, et De Trinil., t. XV, c. xiii, trois textes pris à une chaîne, mais tous orientés à dire que Dieu n’a pas besoin des anges pour connaître, nos prières. Il conclut cependant : Sicut angelis, ila et sanctis qui Deo assistunt, petiliones nostræ innoteseunt in Verbo Dei quod contemplantur. Le moyen de connaissance était ainsi indiqué. On se rendra compte, par cet exemple, de la situation défavorable des maîtres qui devront, pour exprimer leur doctrine sur les saints, commenter les Sentences ; et on comprendra que plusieurs ne tarderont pas à. s’en plaindre. Avant d’aborder ces sententiaires, signalons un ouvrage original de Guillaume d’Auvergne, Rhetorica divina, qui donne un traité de la prière chrétienne calqué sur Voratio des rhéteurs classiques : or, dans ce schéma, l’intercession des saints et de la Vierge a une place très marquée, bien que la prière de Guillaume soit essentiellement christocentrique.

II. LEèt 8EXTENTIAIRE8. — Avec les sententiaires de génie qui vont être étudiés, la discussion tourne autour de deux difficultés presque indéchiffrables : moyen de connaissance des saints au ciel, et moyen d’assistance. Pierre Lombard, sur ce dernier point, se bornait à reproduire Hugues : intercédant merilo et afjectu, loc. cit., et par affectas, il désignait les prières : dum nota nostra cupiunt impleri. Mais cette distinction n'était pas expliquée : ce fut encore la source de belles passes d’armes.

Intercession des saints.

Saint Bonaventure en

traite surtout Sentent., I. IV, dist. XLV, a. 3, q. ii, éd. Vives, t. vi, p. 520 : « Il s’agit du mérite précédent, de leur service de Dieu (sur la terre), qui leur a valu une telle place dans le ciel, qu’ils ont obtenu non seulement la béatitude et la gloire pour eux, mais le pouvoir de secourir les autres. » « Ils ne sont pas au ciel en étal de mériter — c'était l’objection d’Hugues de SaintVictor— mais ils sont écoutés à cause du mérite qu’ils ont acquis précédemment ; ils ont mérité de nous obtenir cette grâce, non pas absolument, mais à condition que nous demanderions leur secours et qu’ils intercéderaient. Ad i, in < ci 2™. Cette condition amène saint Honavenlure à dire que les saints offrent aussi leurs prières ; mais il le fait par un long détour, à cause du texte du Lombard.

Saint Thomas prend plus de liberté avec la lettre du Maître, / » / V, , m Sent., dist. XLV, q. iii, art. 3, éd. Vives, t. xi, p. 382. D’abord il complète heureusement l’essentiel de la preuve positive par un texte d'Écriture, II Mach., xv, 14, et deux de tradition : saint Jérôme. Contra Vigilantium. et surtout « la coutume de l'Église. qui prie fréquemment pour être aidée par les prières des saints >. Les passages de l’Lcriture qui semblent dire que les saints ne sont pas écoutés, Apoc, vi, 11 ; .1er., xv, 1 ; Dan., x, 12, sont examinés ad l" iii, 2° iii, 3° m. L’ad 1'"" ramène l’objection courante : les saints ne sont pas en état de mériter : « de mériter pour soi, non ; mais bien de mériter pour autrui. » C'était, semble-t-il, la première réponse de saint Thomas ; il l’a complétée, peut-être dans la seconde édition que nous possédons seule, par la distinction de saint Bonaventure : vel potins ex merilo præcedenli alios juvandi : ils ont mérité que leurs prières fussent exaucées après la mort. La même question, saint Thomas l’a disposée d’une façon bien plus claire, encore qu’avec les mêmes matériaux, dans la Somme théologique, H a -II", q. lxxxiii, a. 1 1 : « Fins les saints ont une charité parfaite, plusils prient pour nous ; plus ils sont proches de Dieu, plus leur prière est efficace : ainsi se réalise l’ordre divin qui fait relluer le bien des supérieurs sur les inférieurs. »

Mais on a vu que la lettre du Maître posait ces questions bien théoriques : les Saints sont-ils toujours écoutés de Dieu ? Comment connaissent-ils les prières des hommes ? La distinction que saint Thomas institue entre prières formelles et prières interprétatives, lui permet de dire, avec son auteur, que les prières formelles des saints sont toujours exaucées, quia non volunt nisi quod Deus vult. Quant au moyen par quoi ils connaissent nos prières, Sent., loc. cit., a. 1, saint Thomas reproduit les réponses de Pierre Lombard, c’est-à-dire de saint Grégoire, en y mettant de l’ordre et des nuances : « Chaque saint doit voir dans l’essence divine autant qu’il est nécessaire pour sa béatitude. » Par le même principe, saint Thomas, dépassant saint Augustin et suivant la piété de son temps, enseigne qu' « il convient à la gloire des saints d’apporter secours à ceux qui en ont besoin ; ainsi deviennent-ils coopérateurs de Dieu, quo nihil est divinius, ut dicit Dionysius, Cælest. hierarch., c. iii, 2°. Naturellement, tous les textes de l'Écriture et des Pères sont ramenés à cette notion. Une objection philosophique, a. 1. ad 5um, vient de ce que « Dieu seul voit par lui-même les pensées et donc les prières ; mais les saints peuvent les atteindre quatenus eis revclatur, vel per visionem Yerbi, vel quoeumque alio modo ». Ainsi ils voient nos prières en Dieu et sans pour cela se distraire de leur contemplation, ce qui répondait à la difficulté de saint Bernard.

Albert le Grand, bien que premier maître de saint Thomas, rédigea son commentaire des Sentences bien après lui, vers 1272 : il laissa de côté toute la documentation théologique, pour ne s’intéresser qu’au côté philosophique de la connaissance naturelle des saints dans le ciel, où leur mémoireétait abolie, prétend-il, et leur intellect actif paralysé. In IVum Sent., dist. XLV, a. 12, ad 2um. lit Albert suppose que dans cet état, les âmes séparées retrouvent la connaissance originelle des purs esprits. Tout cela est loin du texte du Lombard, comme il le remarque, et loin des préoccupations des chrétiens, ajouterons-nous.

Invocation des suints.

Après l’intercession des

saints, les sententiaires étudient l’invocation dis saints. Leur grande preuve, ici encore, c’est la tradition de l'Église « qui ne peut errer ». Mais saint Honavenlure, loc. cit., q. iii, considère les dispositions des acteurs ; notre indigence pour mériter les grâces cl pour contempler le bien à faire, la gloire des saints.