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SAINTS (CULTE DESj. LES PRÉSCOLASTIQUES

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pour les imparfaits, non pas comme en cette vie, par des gémissements misérables, mais bien par de saintes affections ». Col. 827. « J’arrive ainsi, continue-t-il, à la dernière partie de ma division : les biens des morts peuvent aider les vivants. Quel exemple plus clair que l’apparition du prophète Jérémie (II Mach., xv, 14)? Ces justes déjà morts prient Dieu pour les Juifs encore vivants, et on ne croirait pas que les prières des saints peuvent nous servir ?… (".'est un songe évidemment ; mais tous les songes notés dans l'Écriture sont vrais, et celui-ci a été suivi d’une victoire le lendemain. Autre témoignage, celui de l’Apocalypse, vi. Les morts ici se plaignent des vivants ; et ils ne pourraient pas. s’ils le veulent, prier pour eux ? Cette liberté de demander ce qui est juste, l’auraient-ils perdue, les saints du ciel, alors que le mauvais riche l’a gardée dans l’enfer ? Abraham n’a pas exaucé sa prière, mais il l’a repoussée par la raison, non pas impérativement, pour indiquer que parfois les morts peuvent être écoutés. Je n’oublie pas que la situation des saints est différente sur la terre et dans le ciel ; ici, leur prière est un mélange de piété et de misère, là-haut, c’est une miséricorde qui n’enlève rien à leur gloire… Il ne leur est plus nécessaire de fléchir les genoux, de pleurer, de se fatiguer par de nombreuses paroles ; ce sont de pieux désirs qui sont connus de Dieu ; ils n’ont qu'à se présenter pour aider, Dieu les exauçant, ceux qui en sont dignes. L'Église le comprend bien ainsi, qui mul tiplie les prières, les litanies, non seulement à Dieu, niiiis aux saints. » Ibid., col. 842-8 1 1. Ces pages pleines de logique et de bon sens sont peut-être la meilleure démonstration que le Moyen Age ait fournie de l’intercession des saints. On verra une marque de la discrétion théologique de l’abbé de Cluny dans le soin qu’il prend de n’apporter que comme une confirmation (col. 845-8-HS) les arguments d'Écriture qui demandent leur efficacité à un raisonnement humain. La sainte Église comprend, Christo suo doceide, que ces morts qu’elle supplie vivent en Dieu (Luc, xx, lit) ; elle se rappelle aussi que les saints antiques demandaient miséricorde à Dieu par les mérites des patriarches défunts, dont les mérites survivaient (Ex., xxxii, 13 ; IIReg., xi, 13 ; Dan., iii, 35 ; II Mach., i, 2) ; toutes ces prières reviennent à ceci : Pour que Dieu VOUS soit favorable, qu’il se souvienne de ces saints d’autrefois, et qu’il vous accorde ses bienfaits, tant à cause de son alliance avec eux que des mérites de ces justes. » Col. 846.

Dans un autre passage, l’abbé de Cluny essaie, avec le même bonheur, de définir le culte dû aux saints : « Il y a un honneur qu’on peut donner à la créature, et un honneur qui n’est dû qu’au Créateur seulement. Entre hommes on se rend un honneur ; de Dieu, l'Écriture dit : Dominum tuum adorabis ; elle dit aussi : Honora Dominum de tua substantiel. Pour exprimer plus clairement la distinction, selon saint Augustin, on dit en grec latrie et en latin culte divin. À ce culte-là répondent les sacrifices de l’ancienne et de la nouvelle Loi et aussi le mot adoration, qui, au sens propre, s’adresse à Dieu comme auteur et maître de tout. Dieu n’en a accordé le privilège ni aux esprits célestes, ni à aucun homme, ni à la plus haute des créatures, à la vierge Marie : il était dans l’ordre que son excellence, parût dans un mot. » Ibid., col. 784. Mais, faute d’un mot approprié, il ne distingue pas assez nettement l’honneur qu’on donne aux saints de celui que l’on rend aux parents, aux chefs… Pourquoi rendre aux saints ce culte d’honneur ? « C’est qu’il se rapporte à la gloire de Dieu, dont le jugement guide en toutes choses son Église : elle a soin d’honorer de multiples façons sur la terre, ceux qu’elle croit honorés d’une manière ineffable par Dieu dans le ciel. » Serm., iv, P. L., t. clxxxix, col. 1001.

Si l’on voulait porter un jugement d’ensemble sur la doctrine des auteurs de cette époque, exception honorable étant faite pour saint Bernard et Pierre le Vénérable, il faudrait constater qu’elle manque de profondeur et d’envergure. Au lieu de considérer cette dévotion aux saints, pourtant si vigoureuse dans l'Église d’Occident à cette époque, dans ses rapports avec Notre-Seigneur et l'Église, c’est-à-dire dans la communion des saints, ils l’envisagent dans la prière des chrétiens et dans la béatitude des saints, au risque d’exagérer son efficacité quoad nos et d’opposer dans les saints la vision de Dieu à la connaissance des prières de la terre. Au reste, on ne trouve dans les sermons et les Vies de saints, aucune vue vraiment neuve, bien que les accents des prédicateurs se fassent de plus en plus pressants, admiratifs, et parfois excessifs, depuis l'âge de Charlemagne jusqu'à celui de Grégoire VII. On remarquera, avec infiniment plus de modération dans le ton, le même éparpillement et le même piétinement de la spéculation dans l’enseignement des premiers scolastiques.

V. Dans l’enseignement scolastiouk. - Nous réunissons sous cette commune rubrique les sommistes et sententiaires des xue et xiiie siècles avec les commentateurs des deux siècles suivants, et même avec les théologiens d’après la Réforme, parce que les questions qu’ils traitent à propos du culte des saints sont tics particulières, et assez étrangères au vif du débat du xvi 1 e siècle pour n’avoir pas influé sur lui, ni reçu de lui d'élargissement substantiel. Cela tient à la nature de la question, qui se fonde sur la tradition ecclésiastique et sur le sens chrétien, beaucoup plus que sur la froide raison et l'Écriture sainte. Cela tient aussi a la façon tout à lait indirecte dont le culte et l’invocation des saints fut envisagé par le Maître des Sentences et d’abord par Hugues de Saint-Victor : au lieu de traiter la question dans toute l’ampleur que la croyance et la pratique commune suggéraient, ils n'étudièrent, d’après saint Augustin et saint Grégoire, que le problème de la connaissance des saints et des limites de leur pouvoir.

I. LES PRÉ3C0LA.8TIQDE8. 1° Hugues de Saint-Victur touche, a propos du purgatoire, la question de l’invocation et de l’intercession. « Les chrétiens ont accoutume de dire, lorsqu’ils se recommandent humblement à un saint : Memor este met ; et ils obtiennent que le saint se souvienne d’eux promerendo. » De sacramentis, 1. IL part. II, e. vii, /'. L.. t. CLXXVi, col. 594. Ce mot « mérite » lui était suggéré, dit-il, par un vers de Virgile, mais sans doute aussi par certaines oraisons du missel, où il n’avait pas un sens technique : il ne signifiait certainement pas cette intervention pénible que relevait contre Hugues Pierre le Vénérable, cité plus haut. Mais comment est assurée cette intervention paisible des saints ? Hugues répond qu’elle est conditionnée par l'état « véniel » de l'âme du priant, nunc vero durn venialis iniquitatis ignoratur modus ; qu’elle s’obtient « par la prière, la prière instante et les aumônes, par quoi l’on se fait des saints des amis ». Loc. cit. Mais elle a une limite : « Elle fait seulement que l’on ne tombe pas en enfer, mais elle ne peut retirer une âme, après n’importe quel temps, du feu éternel. » Loc. cit. Le problème de la connaissance des prières est traité ensuite en une forme presque seolastique : « Quelquesuns demandent si les âmes séparées de leurs corps connaissent ce qui se passe en cette vie, principalement les âmes des saints qui sont dans la joie de leur Seigneur. » Loc. cit., c. xi, col. 596. Voici la thèse et les deux objections : « Il est difficile de porter un jugement en cette matière. Il n’y a qu’une chose certaine ; c’est que les âmes des saints, dans le secret de la contemplation de Dieu, savent, des choses du dehors, juste ce qui importe à leur joie et à notre secours. Nous