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SAINTS (CULTE DES). MARTYRS ET SAINTS NON MARTYRS


Il ne faut pas d’ailleurs exagérer la nocivité de ces pratiques, ni leur diffusion. Jamais les évêques n’ont obligé leurs fidèles à ajouter foi même aux grandes lignes de ces Gesta marlyrum. Notre conviction personnelle est même que beaucoup de personnes d’éducation moyenne apercevaient la part de convention littéraire qui avait présidé à la rédaction de ces actes : c’étaient des romans pieux destinés à remplacer dans les bibliothèques des églises et des familles chrétiennes les élucubrations hérétiques ou immorales qui se publiaient au iv c et au ve siècle.

Élargissement du eulte aux saints non-martyrs.


Jusque vers la fin du rve siècle, les martyrs seuls étaient admis aux honneurs du culte. Mais, l’âge des persécutions fini, on trouva dans la vie mortifiée des ascètes, des évêques et des vierges, l’équivalent d’une passion et on leur lit une place à côté des martyrs. Cet élargissement du culte se fit parallèlement sur le terrain doctrinal et sur celui de la pratique.

1. On se souvint, dans les commentaires de l’Evangile, que Jésus n’avait pas accordé ses béatitudes aux seuls martyrs, mais aux apôtres et aux persécutés, Matth., v, 10-12 ; que saint Paul se glorifiait de porter par ses souffrances « la mort de Jésus dans son corps ». II Cor., iv. 10 ; Col., i, 24 ; Rom., viii, 35. Aussi, de même que Polycarpe avait été jadis égalé aux apôtres, Clément d’Alexandrie avait appelé martyr le gnostique qui renonçait à toutes les jouissances de ce monde. Stromata, t. IV, c. iv. P. G., t. viii, col 1225 ; cf. Méthode, Convivium, t. VII, c. iii, P. G., t. xviii, col. 128-129. Au ive siècle, cette idée se répète, et toujours sous la même forme : « Basile a été martyr sans verser son sang et couronné sans la torture. » Grégoire de Nazianze, In S. Basilium, c. 80. « La servitude sans lâche d’une vie dévote n’est-elle pas un martyre quotidien ? » S. Jérôme, Vita Paulse, c. 31. Sulpice-Sévère estimait que saint Martin, » avait, sans répandre son sang, subi le martyre et que toutes sis privations, la faim, les veilles, la nullité, les jeûnes, étaient une vraie passion ». Epist., ii, P. L., t. xx, col. 180 A. Cf. S. Ambroise, De virginibus, t. I, c. ni ; pseudo-Chrysostome, Laudatio Theclæ, P. G., t. i, col. 45. Plus tard, saint Grégoire le Grand résumera la doctrine : Bien que l’occasion de la persécution nous manque, la paix, elle aussi, a son martyre : nous ne portons pas notre tête sous le glaive, mais nous exterminons les désirs charnels par le glaive spirituel. » Homil., iii, in Evang. ; cf. Dialog., t. III, c. xxvi.P. L., t. lxxvii, col. 281. On aperçoit les saints en compagnie des martyrs dans le ciel. S. Grégoire de Nazianze, Orat. in S. Athanasium, c xxxvii, P. G., t. xxxv, col. 1128 ; Oral, in S. Basilium, c. lxxx, t. xxxvi, col. 601.

2. Avant même que ces explications du martyre par équivalence, leur fussent données, et peut-être dès le milieu du ive siècle, les populations d’Orient donnaient à leurs ascètes les honneurs réservés jusque-là aux martyrs. C’est pour essayer de s’y dérober que saint Antoine († 350) s’enfonça avant de mourir dans la montagne. Vita Antonii, 91, P. G., t. xxvi, col. 972. Saint Hilarion eut les mêmes honneurs en Palestine peu après sa mort († 371) et il n’était pas le premier. Sozomène, Hist. eccl., t. III, c. xiv. Voir d’autres exemples dans H. Delehaye, Les origines du culte des martyrs, p. 118-119. L’Occident suivit l’exemple de l’Orient, mais plutôt pour ses évêques : saint Martin de Tours († 397) n’est peut-être pas le premier confesseur qui jouit d’un culte officiel tout de suite après sa mort ; saint Augustin († 430) était honoré d’un culte à Carthage avant 475.

3. Ce culte consistait, comme pour les martyrs, en anniversaires, panégyriques, Vilæ, patronages d’églises. L’anniversaire de saint Antoine se faisait avant 372.

Le panégyrique de saint Éphrem fut prononcé par Grégoire de Nysse, ceux d’Athanase et de Basile par Grégoire de Nazianze, celui de saint Philastre par Gaudence de Brescia, etc. En Orient, on éleva très vite des oratoires en l’honneur des saints moines ; mais a Rome, la première basilique élevée à des confesseurs. celle des Saints-Sylvestre et Martin ne date que du pontificat de Symmaque vers 500. La vie de saint Antoine fut composée par saint Athanase, celles de Paul et d’Hilarion et de plusieurs saintes femmes par Jérôme. Ce fut le début de ces merveilleuses Vitæ Palrum, que Palladius († 425) devait enrichir de son Histoire lausiague. qui s’augmenta rapidement, tandis que Rufin mettait en latin d’autres récits analogues. Évagre du Pont († 393) avait déjà traduit en latin la Vie de saint Antoine. Ces additions et traductions montrent le succès de ces biographies de moines chez les chrétiens du v c siècle. Bientôt, on fit des collections plus ou moins complètes de ces Vilæ Palrum, qui furent répandues dans toutes les langues de la chrétienté. Au vi° siècle, on y joignait des sentences ; Apophtegmes des Pères, Paroles des vieillards, etc. L’Occident y collabora ; car, que sont les Dialogues de saint Grégoire sinon des Vita Palrum Ilaliæ ? On y adjoignait la vie de saint Martin et les livres de Cassien. C’était un livre d’enseignement et d’édification, beaucoup plus qu’une histoire.

Les martyrologes nous renseignent sur l’introduction du culte des confesseurs. A Rome et à Carthage au IV siècle, la liste des évêques était encore distincte de celle des martyrs, ce qui « nous autorise à penser qu’il y avait entre la Depositio marlyrum et la Depositio confessorum une différence analogue à celle que nous mettons, de nos jours, entre le martyrologe et l’obiluaire ». H. Delehaye, Le témoignage des martyrologes, dans Analecta bollandiana, t. xxvi, p. 84. De fait, les primats d’Afrique, qui figurent au complet dans le martyrologe de Carthage des environs de 505, sont Iota lement absents du calendrier carthaginois du v siècle qui a servi au compilateur du martyrologe hiéronymien. L. Duchesne, Les sources du martyrologe hiéronymien, p. 144-149. Mais l’Orient grec axait déjà inséré à son martyrologe de la tin du iv siècle au moins deux confesseurs, le moine Sérapion et Jacques, évêque de Nisibe, et le martyrologe syriaque de 4Il est formé du mélange d’une liste d’évêques d’Antioche à celle des martyrs. Le martyrologe hiéronymien, vers le milieu du V siècle, recueille à travers l’Italie, non seulement les noms des martyrs locaux, mais ceux des papes et des évêques les plus célèbres du iv siècle. L. Duchesne, op. cit., p. 150. Le calendrier gaulois de Perpétue de Tours († 491) adjoint à saint Martin son prédécesseur Litorius († 371) et son successeur Brice († 444). « Jusqu’à la fin du vie siècle, au moins, toute la liste épiscopale, exception faite des évêques notoirement indignes, forme en général partie intégrante du martyrologe. » H. Delehaye, Les origines…, p. 114. On y ajoutait encore les saints personnages du Nouveau et de l’Ancien Testament.

4. Cependant une discrimination ne tarda pas à se faire entre évêques et évêques : comme le caractère de la sainteté — ce que nous appelons l’héroïcité des vertus — était de discernement délicat, on commença par examiner l’orthodoxie des candidats. Le martyrologe d’Orient qui, d’après L. Duchesne, fut rédigé à Nicomédie entre 303 et 412, et qui paraît être de tendance arienne, n’a admis dans sa rédaction primitive aucun des évêques orthodoxes du iv"-’siècle, mais seulement Eusèbe de Césarée, prélat fort connu pour ses tendances ariennes. Noir L. Duchesne, op. cit., p. 1 37. Quant au ménologe syriaque, résumé du précédent en 411, s’il est accueillant pour tous les évêques d’Antioche il est plus réservé pour ceux des autres sièges : et la