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SAINTS (CULTE DES). MANIFESTATIONS DIVERSES


de tous les martyrs ; la fête de la Toussaint instituée à Antioche au Ve siècle, et à Rome en 608.

4. Voici maintenant des cas de dissémination de culte dans le lieu d’origine. Rome, qui, au ve siècle, accueillait des saints étrangers — ce furent même eux qui reçurent les premiers le patronage des sanctuaires inlra muros — Rome ne pouvait oublier ses propres martyrs ensevelis et honorés à ses portes. À saint Laurent, par exemple, furent dédiés alors, à l’intérieur de la ville, deux anciennes paroisses, le litulus Lucinæ et le titulus Damasi, qui s’appelèrent désormais : SaintLaurent in Lucina et Saint-Laurent in Damaso, et en plus l'église Saint-Laurent in Panisperna, élevée à l’endroit de son martyre, enfin un oratoire : SaintLaurent super Clementem : cela demandait quatre ou cinq fêtes au lieu d’une, et à quatre jours différents.

Sans se préoccuper d'élever aux saints des sanctuaires, certaines églises adoptaient souvent les dates de l'êtes des églises voisines. Dans la première rédaction latine du martyrologe hiéronymien, qui doit avoir été faite au début du ve siècle, dans la Haute-Italie, on relève plusieurs de ces emprunts : ainsi, au 27 janvier, dedicatio basilics Sancti Victoris ; au 9 avril, in Ravenna, dedicatio vralorii Sancti Poliucti ; au 2 novembre, la fête toute romaine dedicatio basilicæ Sanctorum Sixti, Ippolyti et Laurenti : ici, comme on le voit, les Églises italiennes ajoutent à leur calendrier une fête d’hiver de dédicace, qui fait double emploi avec les fêtes d’anniversaires des 6, 10 et 13 août que le martyrologe maintient.

5. Les saints deviennent, au cours des v et vie siècles, titulaires d'églises qui n’ont pas été bâties pour eux. Saint Augustin répudiait bien, un peu hâtivement, le mot de basilica martyrum : « À nos martyrs, nous n'élevons pas d’autels, ni de temples. » Serm., cclxxiii, 7. C’est que l’usage, en Afrique, était de donner aux oratoires, aux domus Dei, le nom profane du lieu où elles étaient situées. A Milan, au iiie siècle, la basilique, domus Philippi, avait pris le nom de la famille qui lui avait donné asile en son palais. A Rome également, au rv 9 siècle, on donnait aux églises le nom de leur fondateur : on parlait de la basilique constantinienne, de l'église de Pudens, connue dès le n c siècle sous le nom de titulus Pudentis, ou encore sous celui de titulus Pastoris.

Mais la dévotion populaire fut la plus forte. Déjà Damase (366-384) sentait venir la vogue des vocables de saints, quand il dédiait sa propre maison : Hœc Damasus libi, Christe Deus, nova tecta dicavi, Laurenti sseptus martyris auxilio. Sixte III en 432 y cédait, à Sainte-Marie Majeure : Yiryo Maria, tibi Sextus novaiempla dicavi.

Le Liber diurnus du v 9 siècle emploie de fait l’expression : « consacrer en l’honneur des saints » ; et les exemples ne manquent pas de pareilles transformations. Le sénateur Pammachius, fils ou petit-iils de Byzantus, avait, après la mort de sa femme, en 396, transformé son habitation en basilique. Mais, dès le début du v c siècle, les martyrs Jean et Paul y étaient l’objet d’un culte. Qu’arriva-t-il ? Une inscription du temps d’Innocent I er (401-417) donne à cette église le nom de titulus Byzanti, le propriétaire vivait encore ; le concile romain de 499 lui donne celui de titulus Pammachii ; mais le Liber pontificalis, vers 530, l’appelle définitivement Titulus Joannis et Pauli. « Nous avons, dans les signatures du concile romain de 499, une liste des titres presbytéraux, qu’il est intéressant de comparer à la série parallèle de 595. Dans la première, la très grande majorité des titres est désignée par le nom du fondateur et quelques-uns seulement sous le vocable d’un saint : S. Clementis, S. Matthœi. Mais, en 595, la transformation est accomplie : là toutes les églises ont un patron. Pour les unes, on

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

voit paraître un vocable inconnu jusque-là : le titulus Lucinæ est devenu le titre de Saint-Laurent, etc. ; mais pour d’autres, on voit reparaître le nom du fondateur, précédé du titre sanctus : titulus sancti Eusebii. Il est assez probable que la commémoraison solennelle du fondateur se fit dans chacune des Églises de Rome comme elle se faisait en Afrique. » H. Delehaye, op. cit., p. 338-339. Ce qui s’observait à Rome au cours du ve siècle s'était pratiqué en Afrique dès le IVe et se trouvait implanté en Gaule au temps de Gennade. qui énumère vers 470, parmi les Ecclesiastica dogmata : basilicas sanctorum nominibus appellatas, velut toca divino cultui mancipala, afjectu piissimo et devolione fidelissima adeundas esse. Liber ecclesiasticorum doc/matum, n. 40. P. L., t. lviii, col. 997.

On voit comment cette coutume des vocables des 'saints manifeste une extension de leur culte. Attaché quelque temps encore à une relique jalousement gardée, le moment arrive où le culte s’adressera au saint luimême. La dévotion se spiritualise, si l’on peut dire et aussi la figure du martyr. Car on ne l’honore plus comme un compatriote, mais bien comme un héros de l’Kglise catholique. Mais quel est-il ? Quels sont ses titres à venir demander ainsi des honneurs'?

6. C’est l’occasion de signaler une conséquence inattendue de l’extension du culte des martyrs à de nouveaux pays ou de nouveaux édifices : la composition de certains Gesta, soit pour les faire connaître dans les régions où s'étendait leur culte, soit même pour revendiquer pour eux dans leur pays de nouveaux sanctuaires. Ainsi, « on écrit à Rome les légendes des saints orientaux inconnus. C’est là qu’ont été rédigés les gestes latins des trois apôtres grecs dont les corps reposent à Patras, à Éphèse, . à Édesse. » Dufourq, Études sur les Gesta martyrum romains, p. 345. On ne négligea pas la renommée des saints du terroir ; pour chaque titre romain nouvellement baptisé, on eut soin de rédiger les gesta du saint protecteur : « Les Gesta Eusebii (Acta sanctorum, 14 août), sont au titulus Eusebii ce que les documents de Pastor et Timothée sont au titulus Pudentianæ et au titulus Praxedis. ce que la passion de sainte Suzanne et celle de sainte Cécile sont aux lituli Suzannæ et Cœciliœ… L’intention principale de ces récits est de glorifier les fondateurs de ces titres. » Il est très possible que ces saints personnages aient eu en effet des attaches historiques avec ces églises ou ces lieux de culte : « Sur ces choses-là, les légendes romaines sont toujours exactes… Ce qui est inacceptable, c’est le paysage historique des Gesta. » L. Duchesne, Le Liber ponlificalis, t. i, p. cxxiv.

Au reste, ce qui nous intéresse, pour la présente enquête, ce n’est pas l’historicité de ces plaidoyers, mais la date ancienne de leur publication et, par conséquent, des vocables qu’ils veulent justifier. Il est même possible de montrer par là que cette coutume, que l’on date habituellement du v siècle, parce que l’on est alors assez bien documenté par les signatures du concile de 499, doit remonter, pour certaines églises, jusqu'à l'époque constantinienne. A Rome, du moins, le nom ecclesia Pudentianæ se lit dans une épitaphe de l’an 384 ; et, comme l’appellation dépend des Acta S. Pudentianæ et S. Praxedis (Acta sanctorum, mai. t. iv, p. 299), qui relatent aussi le titre de Praxède, il est à croire que ce second vocable était aussi du iv c siècle. L. Duchesne, Le Liber ponti/icalis, 1. 1, p. 1 33. qui cite encore d’autres cas aussi anciens. Quand le donateur, même saint et martyr, n’avait pas de légende, il devait immanquablement céder le titre. D’aucuns, sachant bien ce qui devait arriver, mettaient tout de suite leur église sous l’invocation de leur saint préféré. Loc. cit., p. 236. Pour d’autres églises, au contraire, le nom du fondateur fit concurrence au nouveau titu T.

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