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SAINTS (CULTE DES). LA LITURGIE


aux saints : jusqu’au VIIIe siècle, en effet, la supplicatio litaniæ dont parle saint Benoit est une liste d’intentions conclue par l’invocation Kyrie eleison ; et les hymnaires de saint Césaire et d’Aurélien, comme celui de saint Benoît, ne contiennent qu’une douzaine d’hymnes « ambrosiennes » adressées à Dieu également. En Gaule et en Espagne, comme à Borne, les conciles et les papes interdisent de « chanter rien de poétique » dans les églises séculières (concile de Braga de 503). Ce n’est qu’au viie siècle que les hymnes sanct orales de Prudence et nos litanies des saints entreront, par les moines irlandais, dans l’usage liturgique de la Gaule et de la Germanie.

Mais au viiie siècle, on donna une place dans l’office de matines aux vies de saints et aux passions des martyrs. C’est sans doute à cette nouvelle discipline que se réfère le pape Hadrien, dans sa lettre de 794 à Charlemagne, P. L., t. xcviii, col. 1284. Nous avons du reste une preuve directe de l’introduction des pussiones martyrum dès le vine siècle, dans VOrdu canonis decantaiidi in ecclesiu sancti Pétri, où l’on prescrit : tractatus, passiones martyrum et vitæ Patrum eaiholicorum teguntur, ms. de Paris 3836 du viiie siècle. L. Duchesne, Le Liber pontiftealis, t. i, p. ci, n. 2. Quant aux leçons historiques, ce serait une erreur de croire que chaque fête de saints, aux ve et vie siècles, était comme aujourd’hui, accompagnée d’une légende de ce saint. D’aucuns prétendent même que « cette manie germa bien plus tard que le viiie siècle et ne s’épanouit qu’au xiie et au xiiie siècle ». Dom Chamard, Les reliques de saint Benoît, p. 04. Admettons que les passionnaires pléniers ne datent guère, en effet, que du xiie siècle ; mais, bien avant Charlemagne, on copiait pour l’ofïice de nuit, et même, pour la messe, des séries aussi copieuses que possible d’Acte et de Passiones séparées. Le Décret de Gélase, pose des exclusions sévères contre certaines légendes apocryphes sur les apôtres et les martyrs : il y avait donc déjà l’usage et

(les abus. Cependant « les apôtres et saint Pierre lui-même n’ont eu pendant de longs siècles aucune légende liturgique. Quant aux saints confesseurs, une multitude innombrable ont reçu un culte public et parfois Imême assez étendu, avant qu’on ait songé à faiie, pendant l’office divin, la lecture de leur Vita ». Dom Chamard, ibid., p. 65.

7° Objection : Les saints sont-ils les successeurs des dieux ? — C’est le titre d’un livre de P. Saintyves, [E. Nourry], 1907. L’auteur y dénonce le culte des saints comme une prolongation du paganisme idolâtrique. Cette objection n’aurait eu aucune vraisemblance à l’époque des persécution. À ses premières origines, la religion du Christ se garde pure de tout mélange et repousse tout ce qui eût pu obscurcir la notion du Dieu unique. « Mais, lorsque les fidèles cessèrent d’être une élite, l’Église dut se relâcher de sa sévérité, céder aux instincts de la multitude et accorder quelque chose aux idées polythéistes. Par l’introduction du culte des saints, elle ouvrit les barrières à un courant païen des mieux caractérisés. Il n’y a pas de différence essentielle, en effet, entre les saints de l’Église et les héros du polythéisme grec. Cf. Deubner, De incubatione, p. 57 ; Wobbermin, Pelifiionsgeschichtliche Studien, Berlin, 1890, p. 18 ; Maas, Orpheus, Munich, 1895, p. 244… Les héros, chez les Grecs, sont des mortels supérieurs au vulgaire par les dons qu’ils ont reçus des dieux… Ils disposent d’une partie de la puissance des immortels et il leur est donné d’intervenir efficacement dans les affaires humaines. » P. Saintyves, op. cit.

1. La première partie de cette thèse déborde le titre de cet article, puisqu’elle ne concerne pas tant le culte des saints que la personnalité et le rôle des saints dans le christianisme. Mais, comme cette question n’a pas trouvé place ailleurs, et qu’elle concerne en somme

l’objet et la raison d’être de notre culte, on en dira iri quelques mots, d’autant que l’objection est tombée dans le grand public avec les grossissements d’usage. A propos de divers saints, « on s’est appliqué à montrer que tel saint célèbre n’est qu’un dieu déguisé, un échappé du Panthéon habillé d’une défroque chrétienne ». Ce n’est point faire tort à la nouvelle école que de se refuser à admettre les rapprochements futiles par quoi elle a réussi à retrouver Aphrodite dans sainte Pélagie, les Dioscures dans les saints Gervais et Protais, les saints Cosme et Damien, etc. Malgré ces applications, qu’on pourrait croire simplement malheureuses, examinons la théorie d’ensemble et distinguons : la personnalité des saints et leur légende.

Pour la personne des saints, l’ensemble de notre martyrologe échappe à toute confusion avec les dieux et les héros de la mythologie. Les martyrs locaux que les Églises honoraient au rve siècle, puis les ascètes et les évêques étaient toujours des individualités bien déterminées, bien connues du milieu qui rendait témoignage de leur courage et de leur dévouement. Parmi les saints « trouvés » après un long oubli, il y avait aussi bien des noms célèbres. On sait qu’à Borne la nomenclature des richesses de l’Église en martyrs avait été dressée sous le pape Libère, dans le férial romain, qui réunissait deux catalogues, la Deposilio martyrum et la Deposilio episcoporum. On trouva alors que plusieurs de ces gloires manquaient à l’appel, soit que la haine vigilante des persécuteurs eût nivelé le tombeau du martyr, soit que les chrétiens, craignant les profanations, eussent pris des dispositions matérielles pour masquer la tombe, et l’eussent en somme fait oublier des pèlerins. Hors de l’Italie, telle invasion ou telle catastrophe avait pu aboutir au même résultat. Le pape Damase se mit en devoir de compléter l’inventaire : « C’est lui, dit le Liber pontiftealis, qui chercha et retrouva nombre de corps saints et orna de vers leurs tombeaux. » Que les procédés d’invention de Damase, ou d’Ambroise qui opérait à la même époque, à Milan, donnent toujours pleine confiance, on ne saurait l’affirmer. Mais, quand le saint était connu par ailleurs, les seuls doutes qui puissent s’élever ont trait à l’authenticité des reliques retrouvées, et ceci est en dehors de notre sujet. « D’autres fois, il est vrai, ce sont des inconnus que l’on voit surgir, des noms nouveaux que l’on entend pour la première fois. Mais, parmi eux, on chercherait en vain un exemple qui donne quelque appui au système que nous combattons. Nulle part, avant le Moyen Age, parmi les saints « trouvés », on n’en signale dont le nom fasse songer à un dieu de l’Olympe ; nulle circonstance n’invite à regarder de ce côté. » 1 1. Delehave, Les origines…, p. 465.

Mais l’Église ne s’est-elle pas servie du culte des saints comme d’un moyen de christianisation ? Et l’une des méthodes employées n’était-elle pas de substituer à l’idole locale un saint dont le nom rappelait celui de la divinité ? Ici encore, distinguons entre l’introduction officielle du nouveau culte et ses développements populaires. Pour enrayer une propagande païenne trop active, on élève autel contre autel ; mais c’est là une arme loyale de la concurrence chrétienne ; on prévient les populations. A Daphné, aux portes d’Antioche, le culte de saint Babylas fut introduit, sous le césar Gallus, pour contrebalancer le succès du sanctuaire d’Apollon ; dans le Gévaudan, ce fut le culte de saint Hilaire qui eut raison de la superstition ; à Menouthi, sous saint Cyrille d’Alexandrie, les martyrs Cyr et Jean achevèrent de faire oublier Isis et son temple. Mais Cyr n’était pas Isis ; et, si l’évêque, par un innocent calembour, opposait Cyr, Kûpoç, à « madame » Isis, Kupà, qui oserait dire qu’il eût compté sur la