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SAINTS (CULTE DES). MARQUES DE CULTE


sont extrêmement curieux sur la question : et celui qui de tous est le plus authentique, le Règlement ecclésiastique égyptien, traduction de l"A7ro<rroX(.>cï) TtocpâSoaiç, est aussi le plus généreux pour les martyrs : « Au confesseur qui a été enchaîné pour le nom de Dieu, on n’imposera pas la main pour la fonction de diacre ou de prêtre, car il possède la dignité (Ttji.7)) du sacerdoce par sa confession. Mais s’il est installé évêque, la main lui sera pourtant imposée. » Règlement, c. iv, n. 1-2. Un simple persécuté (lignas est omni elero (?), n. 3. Pour ces vocations tardives, on sera indulgent dans la célébration de l’eucharistie, modo intègre oret in orthodoxia, n. 4. Les Canons d’Hippolyte sont déjà moins catégoriques : « Si quelqu’un souffre une peine et est ensuite relâché, il mérite le rang de prêtre devant Dieu, non par l’ordination de l'évêque. S’il n’a pas été torturé, il faut qu’il soit ordonné par l'évêque, qui omettra seulement la partie de l’oraison qui a trait au SaintKsprit », ce qu’elle implore étant déjà acquis par l’acte même de la confession. Canon. Hippolyti, c. vi, n. 4347, dans Cabrol, Monum. eccles. lilurgica, t. i b, introd., p. li. Cette bizarrerie liturgique n’est déjà plus comprise par le rédacteur du Testamentum Domini, t. I, c. xxxix, et elle est formellement récusée par celui de VEpitome : Constitutions per Hippolytum, c. xiv, et par le compilateur du 1. VIII des Constitutions apostoliques, c. xxiii. n. 2-3, loc. cit., p. xci et cxiii. Cependant ces derniers regardent toujours les confesseurs comme « dignes d’un grand honneur », et la place qu’ils leur donnent à la suite des sous-diacres et des lecteurs, marque bien que, « sans ordination », les martyrs occupent cependant un rang plus élevé que les fidèles.

C’est surtout la correspondance de saint Cyprien qui montre les confesseurs en possession de la prærogativa martyrii : ils seront agrégés au clergé, comme prêtres, s’ils sont en état de l'être, comme lecteurs, s’ils sont encore jeunes, mais toujours par l’ordination de l'évêque. Epist., xxxviii-xl et xlix-lv. Le droit primitif est devenu un honneur, mais l’honneur est officiellement concédé par la hiérarchie, jusqu'à la fin de l'âge des persécutions.

Martyrs dotés de pouvoirs penitentiels.

L’aspect

proprement pénitentiel de cette question controversée a été exposé à l’art. Pénitence, t.xii, col. 757 sq. Mais de ces pouvoirs extraordinaires qu’on leur reconnaissait pour le pardon des fautes, il est permis de conclure avec quelle force et quelle unanimité s’imposa à la foi chrétienne l’intercession des martyrs, dès qu’elle apparaît dans l’histoire, à Lyon comme à Carthage, à Rome comme à Alexandrie. En somme, d’Irénée à Cyprien, de 177 à 250, l'Église croit que les martyrs ont, de par le mérite de leur confession et de leurs souffrances, un crédit spécial auprès de Dieu, qu’ils ont droit d’intercéder pour les pécheurs et que Dieu, par leur ministère efficace, reçoit en grâce les coupables. D’où vient ce pouvoir de pardon ? La lettre des chrétiens de Lyon, en 177, lui assigne un fondement mystique : les martyrs ont été sacrés par l’Esprit. Cf. Eusèbe, Hist. eccl., t. II, c. i, 19 et t. V, c. ii, 3. Origène et Denys d’Alexandrie y voient un ministère de pardon subordonné, semble-t-il, à quelque autorité, et au repentir des pécheurs : Ataxovoûcfi. [fxdepTupsç] toïç eùy_o[xévoiç octpEaiv âp.ap"uà>v. Exhortatio ad mar~ tyrium, c. 30, et Eusèbe, Hist. eccl., t. VI, c. xlii. A en croire Tertullien, le pape Calliste aurait été plus loin, faisant des martyrs des espèces de rédempteurs. De pudicitia, c. i, P. L., t. ii, col. 980.

Mais, pour Tertullien lui-même, les martyrs ont leur mot à dire dans la question : les pénitents « s’agenouillent aux pieds des bien-aimés de Dieu », De psenitentia, c. ix, P. L., t. i, col. 1243 ; et les confesseurs peuvent solliciter des évêques le pardon des coupables. » Ad martyras, c. 1, P. L., t. i, col. 021. Mais,

vers 250, toute trace de pouvoir pénitentiel a disparu à Rome. En Afrique pareillement, saint Cyprien ne nie pas le bien-fondé de l’intervention des martyrs ; mais il la réglemente et en élague les abus. De lapsis. c. xxxvi, éd. Hartel, t. i, p. 264 ; Epist., xv. xvi, xviii, t. ii, p. 514, 518, 523. Y eut-il, de la part des grands évoques du iiie siècle, un refus de suivre l’indulgence de leurs prédécesseurs ? Il y eut plutôt dans leur geslr un retour à la discipline antique, comme l’insinue Cyprien. Epist., xv, 3, éd. Hartel, p. 515. En fait, les libelles impératifs d’indulgence n’apparaissent clairement qu’en Afrique, au temps de Cyprien. mais sous diverses formes. Seulement, comme il est toujours difficile de supprimer une racine bien vivante, il vaut mieux reconnaître que l'Église, en supprimant les interventions autoritaires des « confesseurs » dans l’administration du pardon, a par compensation reconnu leur pouvoir d’intercession posthume devant Dieu. C’est ainsi que s’explique au mieux l’insistance dis docteurs de l'âge suivant pour recommander aux pécheurs le recours aux martyrs dans la gloire. D’un autre côte. le pouvoir d’outre-tombe des martyrs et des justes sera désormais attribué, non plus à leurs prérogatives charismatiques, mais bien à leurs mérites, ce qui est tout l’essentiel de la doctrine catholique sur l’intercession des saints. On trouve déjà tout cet enseignement dans la conclusion que saint Cyprien donne, en 251, à ce long débat sur la prérogative du martyre : Solus Dominus misereri potest. Veniain peccalis quae in ipsum commissa sunt solus potest ille largiri… Credimus quidem posse apud Judicem plurimum martyrum mérita et opéra justorum, sed cum judicii dies venerit. De lapsis, c. xvii, éd. Hartel, t. i, p. 249.

Prières aux martyrs glorieux.

Cette fois, il ne

s’agit plus de pratiques semi-profanes comme les anniversaires des martyrs, ou de prérogatives ecclésiastiques passagères ; c’est tout à fait l’invocation des saints telle que l’entend l'Église contemporaine. Nous ne prétendons pas, pour autant, en faire une pratique spécifiquement chrétienne. En voici des antécédents lointains. Qu’on se rappelle Electre dans les Choéphores implorant son père mort, acte v, vers 125-1 11, 470-478, et Platon parlant des intermédiaires qui transmettent aux dieux les prières des hommes et rapportent à ceux-ci les réponses divines. Ilanquet, c. xxiii. Aurélius Festus « honore » sa bru, Furcia Flavia, et un père place cet appel sur l'épitaphe qui couvre la tombe de ses deux Mlles : « Toi qui lis cela et doutes que les Mânes existent, fais une promesse, invoque-les et tu verras ! » Corp. inscr. latin., t. vi, n. 13101 et n. 27 305.

Malgré des différences essentielles, la pensée chrétienne avait des principes analogues sur le sort des âmes et « l’analogie des principes devait engendrer l’analogie des pratiques » ; cette invocation des simples fidèles devint la règle commune parmi les chrétiens. Voici un choix d'épitaphes, toutes relativement anciennes : Vincentia, in Christo pelas pro Phœbe et pro Virginia ejus. De Rossi, Roma sotlerranea, t. ii, pl. xlvii, n. 53 ; Januaria, bene réfrigéra et roga pro nos, De Rossi, op. cit., t. iii, pl. xxviii, 22 et p. 244-245 ; t. ii, p. 276, pi. xlvii, n. 25 ; Bollet. di arch. crisl., 1873, p. 71 ; 1892, p. 114 ; 1898, p. 233. Voir Marucchi, / monumenti de ! musco crist. Pio Lateranense, pl. li, n. 15, 18, 19, 21.

Évidemment l’efficacité de la prière à ces morts est suspendue à la condition qu' « ils vivent en Dieu », qu’ils soient « en paix », qu’ils soient « avec les saints ». Cf. Marucchi, Epigrafta cristiana, p. 113. Mais on n’attend pas une assurance absolue : Juliane, vibas in Christo et roga, Muratori, Novus thésaurus veterum inscriptionum, 1892, p. 9. Ainsi Grégoire de Nazianze montre sa mère Nonna répondant aux prières de ses enfants ; il exprime la confiance dans l’intercession de son père. Carm., ii, 78, P. G., t. xxxviii, col. 52 ;