Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.1.djvu/452

Cette page n’a pas encore été corrigée
889
890
SAINTS CULTE DES). MARQUES DE CULTE


1. Rituel funèbre.

Il ne faut pas s’étonner de trouver les origines de notre culte des saints dans un rituel funèbre. « Sans vouloir nier qu’aux premiers assauts de la persécution sanglante, les fidèles n’aient admiré le courage des victimes, le sentiment qui paraît avoir dominé parmi eux n’est pas celui [de l’admiration ] qui se développa plus tard : il était bien naturel que le choc brutal, heurtant soudainement des âmes paisibles et candides, produisît tout d’abord une impression de stupeur et d’effroi. Le réveil, on peut le croire, fut douloureux, et les premières larmes qui coulèrent sur les tombes des martyrs furent des larmes amères. » H. Delehaye. Les origines du culte des martyrs, p. 1. Il fallait d’ailleurs éviter d’attirer de nouvelles rigueurs sur les Églises par des honneurs intempestifs. Au reste, « la loi chrétienne ne décrétait pas une manière déterminée de glorifier les victimes » des rescrits ou des insurrections populaires. « Les circonstances indiquèrent aux chrétiens la conduite à tenir « et leur conseillèrent de se contenter des honneurs funèbres communs. Ainsi les anniversaires des saints gardèrent toujours quelque chose, même aujourd’hui, de leur origine funéraire. Si l’Église proscrivait tout ce qui était contaminé par l’idolâtrie, elle permettait à toutes les aspirations de l’âme de s’extérioriser avec la sainte liberté des enfants de Dieu et conseillait de conserver tout ce qui relevait de sentiments respectables, comme l’affection des parents, le souvenir des grands hommes, les soins habituels pour les tombeaux, qui rappelaient aux païens eux-mêmes la survie des âmes de leurs amis.

Cette transfiguration des usages funéraires est à noter. Alors que le paganisme sceptique des derniers âges avait plutôt matérialisé et alourdi les conceptions spiritualistes héritées des vieilles religions, et qu’il se mettait de moins en moins en peine d’expliquer les avantages apportés par des rites immémoriaux à des être dolents et amoindris, qui rôdaient, pensaient-ils, autour de leurs tombeaux, le christianisme à l’état naissant revigorait ces rites inspirés primitivement par la pensée de l’immortalité. Malgré la répétition mécanique des mêmes gestes traditionnels, ils rendaient aux anniversaires la signification religieuse qu’ils avaient presque perdue. Bien plus, quand ils commémoraient des martyrs, ils sanctifiaient la cérémonie par la pensée de leur fraternité dans le Christ, ils l’ennoblissaient par l’idée que ces ancêtres glorieux, qui étaient morts pour Dieu, continuaient à vivre en Dieu et communiaient dans le Christ avec leurs frères de la terre. Ces idées très nouvelles transpiraient même pour les païens, témoins de leur ferveur pour les martyrs. Cf. Lucien, La mort de Pérégrinus, c. xiii.

Sans doute, à côté de ces pratiques traditionnelles se sont glissés, chez les premiers chrétiens, des usages funéraires d’origine païenne. C’est que « les chrétiens, vivant pendant des siècles parmi une société païenne et partageant sa civilisation, n’ont pas songé » — ou pas réussi, malgré leur réprobation — « à s’en séparer sur tous les points. Lorsqu’un usage n’offrait rien qui offensât la croyance des fidèles et la morale chrétienne, ils continuaient à le pratiquer et parfois avec un vif attachement à tout ce qu’il évoquait des traditions chéries ou respectées du passé. » Leur choix entre usages à conserver ou à rejeter peut nous surprendre, à vingt siècles de distance. Mais il faut croire que la signification religieuse de certains rites était désormais abolie, comme, hélas, celle de nos funérailles chrétiennes pour certains de nos contemporains, tandis que d’autres rites assez anodins avaient peut-être été brandis comme signes de ralliement dans les familles restées païennes. Pourquoi, par exemple, les chrétiens réprouvèrent-ils pour leurs martyrs l’usage de l’incinération ? Pourquoi, au contraire, continuèrent-ils à estamper

leurs tombeaux de l’invocation aux mânes : D. M. S. ? Nous sommes mauvais juges en la question ; et puis les abus ne sont pas inadmissibles, même à cette époque.

2. Rituel religieux.

Mais le culte des saints doit être autre chose que ce qu’on appelle un enterrement religieux. Comment peut-on déceler dans ces trois premiers siècles de l’Église, le caractère cultuel des anniversaires de martyrs ? La question vaut une réponse nette. Nous distinguerons donc comme trois étapes, qui, selon les Églises, ont été franchies plus ou moins rapidement. Dans une première période, d’un siècle et demi environ, les martyrs ont eu, ni plus ni moins, les honneurs funèbres accordés à tous les fidèles ; mais c’est que, justement, à cette époque, on admettait que tous les fidèles, en mourant dans la foi, allaient immédiatement au ciel, et on les priait comme des saints.

Dans une période d’incertitude commençante sur le sort des justes non martyrs, on se mit à prier pour eux à leurs anniversaires ; mais alors on continua à ne pas prier pour les martyrs, et même à les invoquer.

A la fin de l’âge des persécutions, les anniversaires des martyrs prirent un caractère tout différent de celui des morts ordinaires.

a) De la première manière, il ne nous est resté que peu de documents. Faut-il rappeler pourtant cet usage si caractéristique des chrétiens de toutes provinces de célébrer l’anniversaire, non point au jour de la naissance du défunt, mais au jour de sa déposition, de sa mort ? On lui garda son nom ancien de dies natalis, ce qui était une façon de marquer que, pour des chrétiens, pour tous les baptisés fidèles à leur foi, la mort était l’entrée dans la vie immortelle et bienheureuse. Encore une fois, les rites de service funèbre étaient les mêmes pour un martyr et pour un autre défunt ; mais, pour les deux, le service était une sorte d’apothéose au sens chrétien du mot. Pour les simples fidèles, les preuves ne manquent pas, dans ces deux siècles, de la note honorifique qui présidait à leurs funérailles et aux soins de leur tombeau. Peu après 175, à Porto, aux portes de Rome, des parents saluent leur fille déjà dans la gloire :

i Accipe nie, dixit, Domino, in tua limina, Cliriste. » Exaudita cito, fruitur modo lumine cœli. Zozime, sancta soror, magno defuncta periclo, Jam videt et socios sancti certaminis omnes… Tecum, Paule, tenens, calcata morte, coronam, Nam fide servata cursum cum puce peregit. (Carmina sepulchralia, dans II. Leclercq, Monumenta lilwgica, t. i, n. 5304.)

On Mira plus loin qu’on adressait des prières à ses morts. Si de simples chrétiens morts en paix sont appelés « saints » et « vainqueurs du saint combat » de la vie, s’ils méritent des honneurs religieux et si leur anniversaire prend déjà figure de culte, il n’y a pas de raison de faire un autre rite pour les martyrs. Tant qu’on a regardé tous les justes comme entrant au ciel au jour de leur mort, le culte assuré qu’on leur donnait pouvait très bien s’appliquer aux martyrs, qui n’étaient que l’élite de ces élus. Qu’on dise que les honneurs ainsi donnés aux simples chrétiens étaient trop grands pour notre conception actuelle, soit ; mais ils réalisaient très suffisamment la notion de culte des saints. Peut-être disait-on qu’on offrait l’oblation « pour eux » : du moins saint Cyprien dit semblablement : pro eis ofjerimus, quand il parle des défunts ordinaires, Epist., i, 2, et quand il parle des martyrs à commémorer, Epist., xxxix, 3 ; xii, 2. Les liturgies conservatrices d’Orient ont d’ailleurs encore la vieille formule : Ofjerimus pro apostolis. Cf. Brightman. Liturgies eastern and western, p. 331, 1. 12. Mais on a remarqué que, dans la mesure où elles ont gardé