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SAINTS (CULTE DES). MARQUES DE CULTE


empreint de la vénération qu’ils portaient à leur Maître ? Et, quand parurent les évangiles et que la vierge Marie fut disparue, le respect ne prit-il pas un caractère plus spirituel et déjà religieux ? D’ailleurs, pour le cas particulier, mais si important, de la première des saintes, l'Église était en possession d’une révélation contenue, non dans des paroles, mais dans des actes : l’exemple parlant de Jésus et des apôtres. Origènc l’avait déjà bien vii, Hom. in l.ucam., vu et ix, P. G., t. xiil, col. 1817 et 1822. En clïct. < à n’en pas douter, ce qui a été dit déborde ce qui a été écrit. Il faut ajouter : ce qui a été dit déborde ce qui a été écrit en mots… Lin maître dit formellement quelque chose, quand, même sans articuler une parole, il suggère une idée par un geste, quand il approuve d’un signe un acte dont il est témoin… On sait le rôle de Marie à Cana. Il y a bien des motifs de croire qu’elle ne le remplit pas en cette occasion unique, le Sauveur se plaisant à autoriser l’intercession de sa mère, en agréant toutes ses requêtes. Était-il bien nécessaire qu’il vînt après cela, en termes comptés, enseigner son pouvoir de médiatrice ? » M. Pinard, art. Dogme, dans Dictionn. apo.1., t. r, col. 1 15 1. Voilà le geste qui fonde en foi chrétienne l’invocation de Marie.

1. Cependant nous voudrions bien avoir quelques témoignages écrits de ce culte primitif pour Marie et les apôtres. Peut-être les trouvons-nous, au début du ii c siècle, dans les Odes de Salomon. Certains critiques ont pensé que « ces Odes formaient un recueil d’hymnes d' alléluia composées pour être chantées dans les agapes », dom Connolly, Journal o/ theological studics, 1920, p. 8.1 Or, il y est question de Marie :

L’Esprit étendit ses ailes sur le sein de la Vierge

Et elle conçut et elle enfanta.

Et par grande miséricorde, elle devint Mère, la Vierge.

Elle l’enfanta en ostension.

Elle le posséda eu grande puissance,

Et l’aima en salut

Et le garda dans la suavité.

Et le montra dans la grandeur.

Alléluia ! (Ode xix).

Ce texte, qui avait déjà frappé Lactancc, Instit. divin., I. IV, c. xii, suit assez bien l'Évangile de saint Luc, mais avec une note admirative très accentuée. La Vierge-Mère ! Quand on observe, dans de nombreux écrits de cette époque, à quel degré la chasteté chrétienne a frappé les premiers convertis, on voit bien que c’est la morale chrétienne qui engageait ainsi les fidèles à admirer la sainteté suréminente de la sainte Vierge et à lui donner leur culte. Dans les mêmes Odes de Salomon, il est plusieurs fois question des élus, des saints vivant au ciel, par exemple : ode xvii : « J’ai été couronné par mon Dieu. J’ai semé mes fruits dans les cœurs, et je lésai changés en moi… » ; ode x, 8 : « Ils ont marché dans ma vie et ont été sauvés ; ils sont avec moi pour l'éternité, alléluia ». Et encore ode vxii, 1 1 : « Ils se sont rassemblés vers moi et ils sont sauvés, Parce qu’ils sont pour moi des membres, et moi leur lète. Gloire à toi, gloire à notre lète. Seigneur Christ. Alléluia !

f.a prière et la doxologic s’adressent au Christ, non aux saints, l’ourlant l’ode iv, 12, béatifie les chefs de ces élus, Sldbcovoi, les apôtres, pour leur donner leur nom définitif :

Bienheureux donc les ministres de cette boisson. Ceux a qui a été confiée son eau :

Ils oui calmé les lèvres desséchées,

Kt redressé la volonté paralysée…

Car tout homme 1 les a connus dans le Seigneur.

El ils vivent par les eaux vivantes pour l'éternité,

Alléluia !

Même bénédiction pour les ouvriers évailgéliques

dans l’ode xi, 15-18 ; beaucoup moins sûrement est-il

question des martyrs dans l’ode xvii, 11. Ainsi, ces cantiques auraient été chantés dans des assemblées de la grande Église, ou dans des conventicules de mystiques chrétiens, avant d'être incorporés comme écrits inspirés dans la Pislis Sophia gnostique du iiie siècle. Cela nous donne à penser qu’avant les persécutions et l’extension du culte des martyrs, on pratiqua en certains cercles le culte de Marie et des apôtres, avec un lyrisme qui de prime abord est assez près du culte des saints du iv° siècle.

Les actes apocryphes des apôtres qui s'échelonnent à partir du milieu du iie siècle, paraissent dès lors comme un prolongement imaginatif de ce culte des apôtres : Actes de Jean, vers 140 ; Actes de Paul et de Thècle, vers 160 ; Actes de Pierre, vers 180 ; et le Prolévangile de Jacques, ou de son vrai nom, l’Histoire de la nativité de Marie, au milieu du iie siècle, a rempli le même rôle pour le culte de la sainte Vierge. On sait « l'énorme influence qu’a exercée sur la pensée chrétienne la littérature apocryphe néo-testamentaire ». Malgré la lutte inaugurée contre elle par l'Église latine au iv c et au ve siècle, « les Pères ne réussirent qu'à demi à l'éliminer ; eux-mêmes en seront dupes plus d’une fois ». En Orient, tous les chroniqueurs byzantins et les poètes ecclésiastiques s’en sont inspirés à l’cnvi ; en Occident, elles finiront par prendre place dans l'énorme compilation de Vincent de Beauvais qu’on appelle le Spéculum hisloriale ; Jacques de Voragine ira les y chercher pour sa Légende dorée, et les sermonnaires en feront autant. Nos apocryphes ont été aussi largement exploités au Moyen Age par les arts plastiques. « Bref, avec les Gesta marti/rum, avec les Vies des moines du désert et quelques autres productions hagiographiques, ces vieux textes ont contribué à former le monde d’images où nos ancêtres ont coulé une bonne part de leur théologie », et ont alimenté leur culte des saints. É. Amann, art. Apocryphes du N. T., dans Dictionn. de la Bible, Supplément, t. i, col. 467468. Pour le moment, remarquons qu’ils dénoncent un culte de Marie et des apôtres dont nous ne connaissons pas malheureusement les manifestations officielles.

2. Le plus ancien témoignage sur le culte des saints concerne Polycarpe, évêque de Smyrne, martyrisé dans cette ville en 155. Le Marti/rium Polycarpi, rédigé un ou deux ans plus tard pour » l’Kglise de Philomélium et toutes les autres para>ciiv de l'Église sainte et catholique dans tout l’univers », compense par sa précision le silence de l'âge précédent. On a montré à l’article Reliques, t. xiii, col. 2319-2322, comment ce culte était religieux, voire ecclésiastique, et s’adressait à un martyr, « à un didascale apostolique et prophétique », à qui était dévolu l’honneur assuré désormais aux prophètes et aux apôtres ; c'était un culte d’honneur, mais aussi d’imitation « soit pour honorer le souvenir de ceux qui ont lutté, soit pour exciter les combattants futurs ». On ne parle pas de l’invocation du saint.

Après ce témoignage si complet, il faut se contenter, pour les ii° et iii c siècles, de documents épars et fragmentaires, portant soit sur une pratique, du culte des martyrs, soit sur un point de doctrine les concernant. Témoignages épais sur deux siècles d’une vie religieuse en plein bouillonnement, mal documentée, et attestant tout juste l’usage de telle Église particulière ; mais il faut bien remarquer qu’aucun de ces documents ne donne son culte ou son idée comme personnelle, locale mi même nouvelle : il n’y a donc pas grand risque à étendre la portée de ces attestations concordantes, et à conclure pour toute l'Église primitive.

II. CES DIVERSES MARQUES DE CULTE.

° Les anniversaires funéraires. — C’est la plus ancienne forme du culte des martyrs. Voir art. Reliques, t. xiii, col. 2325 sq.