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SAINTS (CULTE DES). L’ANCIEN TESTAMENT

’fait dire. Cependant, sous les Juges et les Rois, il semble qu’on n’ait pas voulu perdre ce trésor de prières.

L’invocation des ancêtres défunts jusqu’à l’exil.


Mais, si les patriarches et les autres chefs d’Israël ont été invoqués durant cette période, ce ne pouvait être au même titre que, dans l’Église, nous invoquons les apôtres et les martyrs. Le culte des saints ne pouvait pas avoir exactement le même fond doctrinal dans l’Israël de la chair et dans l’Israël de l’Esprit : chez les héritiers d’une promesse raciale, les patriarches étaient les représentants attitrés du culte ancestral et, par suite, les bénéficiaires-nés des promesses de Dieu et les témoins de l’alliance, invoqués fièrement par leurs fils ; chez les chrétiens, les saints de Dieu seront, avec les patriarches, tous les héros qui auront imité « la foi d’Abraham », cf. Gal., n-m ; Eph., ii-m, et qui seront devenus avec lui, héritiers par grâce de la promesse. Mais, à entrer a, fond dans l’enseignement de l’Apôtre, on constate que l’extension des promesses a transposé intégralement dans la nouvelle Alliance tout ce qu’il y avait de religieux dans l’ancienne : si nous honorons les saints comme membres du Christ et imitateurs de sa mort et de ses vertus, il y avait déjà aussi, dans l’Ancien Testament, une raison mystique d’honorer les patriarches : c’étaient les promesses de protection dont ils étaient les bénéficiaires. Il y avait également une raison morale : ils avaient été fidèles au culte de Jahvé et avaient observé les ordonnances de leur Dieu ; il fallait les honorer comme des ancêtres de la vraie foi et marcher, comme eux, en présence de Dieu. Ce second aspect du culte des chefs d’Israël sera mis en relief à l’époque de la Loi et au fur et à mesure que son observation imprégnera les esprits et les formules de prière de plus en plus explicites.

1. Moïse formulait sa prière au nom, par l’intercession des patriarches : « Souvenez-vous d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, vos serviteurs, à qui vous avez juré par vous-même. » Ex., xxxii, 13. Pourquoi rappelle-t-il les noms des ancêtres ? Est-ce parce qu’ils furent « des serviteurs » de Dieu, ou parce que Dieu les a gratifiés de promesses d’avenir ? À juger les choses objectivement, c’est pour les deux motifs à la fois. En tous cas, la prière personnelle du législateur des Hébreux sauva sa nation et Jahvé « fut apaisé » par cette intercession, et décida « de ne pas exécuter le mal qu’il avait parlé de faire à son peuple » Ibid., 14. Magnifique exemple de la puissance des saints sur la providence de Dieu, qui n’est pas près d’être oublié dans toute l’ancienne Alliance, cf. Num., xii, 13 ; xiv, 13 sq. ; Ps., evi, 23, ni dans la nouvelle, cf. Jac, v, 16. Moïse et Samuel, I Reg., vii, 8 ; xii, 23, sont regardés comme des intercesseurs officiels ; mais il faudra attendre au moins six siècles avant de trouver un appel un peu net aux saints descendus dans la mort.

Ce qu’on trouve, dès l’époque des Juges, en faveur du culte religieux — non point de l’invocation — des morts célèbres, en dehors de l’évocation fort équivoque de l’ombre de Samuel par le roi Saiil réprouvé de Dieu, I Reg., xxviii, 11-25, ce sont les honneurs mi-civils, mi-religieux à leurs tombeaux, du moins pour Débora. Voir art. Reliques, t. xiii, col. 2315. A l’époque de la royauté, on ajoutait aux noms d’Abraham et de Moïse, et plus souvent on y substituait ceux de Samuel, de Nathan le prophète, et surtout celui du roi David : « Tu parlas jadis en vision à ton bien-aimé, en disant : … J’ai trouvé David, mon serviteur. » Ps., lxxxix, 20. Bien plus, au lieu d’en appeler seulement à la fidélité de Jahvé envers David, ibid., 50, au dernier livre des Psaumes, le psalmiste fait appel à la fidélité de David envers Dieu : Mémento, Domine, David, et omnis mansuetudinis ejus. Ps., cxxxii, 1. C’est ainsi du moins que tradui saient la Yulgate, et auparavant les Septante, persuadés que la patience de David était un motif à rappeler à Dieu pour obtenir sa miséricorde. On ne peut sans doute conclure de ce seul texte, comme le voudrait Corneille de Lapierre, Deum orari velle per mérita hominum juslorum, et propter eadem mérita, mulla concedere quæ alioqui minime concessisset, parce que le texte hébreu, porte seulement : « Souvenez-vous, Jahvé, de David et de toutes ses peines ! » Il n’y a donc pas précisément rappel de la vertu et des mérites de David ; mais il y a plus qu’une simple « présentation des promesses faites par Dieu au grand roi » (Théodoret, Quæst. in Script, sacr., P. G., t. lxxx, col. 1010) : la forme même du psaume laisse entendre que ces promesses divines ne furent confirmées à David qu’en raison de son zèle pour le temple et que le serment de Dieu était une réponse au serment de David : Sicut juravit Domino (David]…, v. 2 ; Juravit, Dominus David veritatem, t. 11. Pour les rois ses fils, ce zèle passé est encore un motif de confiance : « À cause de David, ton serviteur ne repousse pas la présence de ton.oint. » La fidélité de David est donc bien une raison, au moins partielle, de la générosité de Dieu.

Mais s’agit-il dans ces temps lointains, éduqués par la Loi mosaïque, d’une intercession spontanée de David et de Moïse ? L’Écriture ne le dit point. N’est-ce pas plutôt un rappel de cette solidarité des générations humaines et de la dynastie davidique, dans le bien comme dans le mal, devant ce Dieu qui « récompense et punit jusqu’à la troisième et quatrième génération » ? Cf. Ex., xx, 6 ; et qui « fait le bonheur de tout le peuple à cause de la multiplication des justes ». Prov., xxix, 2. Jusqu’à la ruine de Jérusalem, et donc jusqu’à la dixième génération, c’est la main de David qui s’étend sur le royaume : lors de l’invasion de Sennachérib. Dieu fait dire au roi Ézéchias par le prophète Isaïe : « Je protégerai cette ville, et je la sauverai à cause de moi et à cause de David, mon serviteur. » IV Reg., xix, 34. David est donné comme le protecteur de la cité, après Dieu sans doute et à titre de « serviteur de Dieu » et de témoin de ses promesses : prérogative unique encore, que ne peuvent lui disputer ni le prophète Isaïe, ni le saint roi Ézéchias, qui ne sont pas nommés ici. Il resterait à montrer que c’est à cause des mérites de David et non à cause des promesses gratuites de Dieu qu’il a reçues. Calvin pensait à cette seconde explication, et il n’avait peut-être pas tout à fait tort pour ces temps anciens et pour la généralité des juifs, pour qui la notion de mérite personnel était encore si obnubilée par la pensée de la solidarité de tous dans l’alliance du peuple avec Dieu. Mais, à l’époque suivante, quand les vertus de chacun seront reconnues comme condition de son salut, elles apparaîtront bientôt aussi comme gage de salut pour les autres. On le constate à quelques modifications de la formule de prière : au lieu de dire, comme le roi Ézéchias : « A cause de toi et de David, ton serviteur [à qui tu as fait des promesses collectives], » les trois enfants dans la fournaise disent, en Daniel, iii, 35 : Neque aujeras misericordiam [non pas ton alliance], a nobis propter Abraham dilectum tuum, et Isaac servum luum, et Israël sanctum tuum. Il y a là une nuance qui était apparue dès avant l’exil.

2. Dans certains psaumes, ceux du règne de Dieu en particulier, la solidarité automatique des familles et des générations successives semble mise en doute : autrefois Dieu exauçait les justes, maintenant il protège ceux qui le méritent. « Moïse et Aaron furent au rang de ses prêtres, et Samuel parmi ceux qui invoquaient son nom. Ils invoquaient le Seigneur et celui-ci les exauçait. » Ps., xcix, 6-8 ; ou cherche en vain la conclusion : « Exaucez-nous maintenant encore à cause d’eux ! » Voici, au contraire celle du ps. xcvii, 10 :